Christus, scientia et sapientia nostra Le principe de cohérence de la doctrine
Christus, scientia et sapientia nostra Le principe de cohérence de la doctrine augustinienne* C’est en critique des études augustiniennes que je voudrais présenter et soumettre à votre jugement, i°, en guise d’introduction, quelques impressions générales suscitées par la production augustinienne récente ; 2°, un commentaire de trois phrases du.De Trinitate, XIII, 19, 24, dans lesquelles Augustin a formulé le principe de cohérence de sa doctrine ; 3°, pour conclure, quelques réflexions d’ordre méthologique. Au cours de quinze années de collaboration au « Bulletin augustinien » , j’ai souvent pensé, comme bien d’autres, que la production écrite sur Augustin était de nature à décourager, non seulement les lecteurs de bonne volonté, mais aussi les spécialistes, patrologues et même augustiniens. C’est une production pléthorique, partiellement médiocre, inévitablement dispersée et désordonnée dans son ensemble ; et ce désordre est lui-même cause de confusion sur la doctrine augustinienne. On dira que la faute en incombe d’abord à Augustin. Son activité doc trinale et littéraire s’est étendue sur plus de 40 années mouvementées. Ses œuvres sont diverses ; beaucoup sont occasionnelles ; certaines sont marquées par les contraintes de la polémique. Son esprit, en constante évolution, s’est exprimé dans un vocabulaire souvent imprécis, une rhétorique parfois bavarde, une argumentation relâchée, une composition déconcertante, etc. Je mêle ainsi sciemment les simples constatations et les jugements de valeur plus ou moins répandus, pour me donner l’occasion de préciser que le critique a le droit, sinon le devoir, de soupçonner que certaines idées reçues tiennent à l’insuffisance des recherches plutôt qu’aux défauts du discours augustinien. D’ensemble disparate des œuvres d’Augustin constitue, en effet, * Texte du « Master Thème » présenté le 1 1 septembre 1975 à la « Seventh Inter national Conférence on Patristie Studies » d’Oxford. 78 GOULVEN MADEC un fonds inépuisable pour les études spécialisées les plus diverses, suscitées par les différentes disciplines modernes : philologiques, historiques, litté raires, philosophiques, théologiques, et régies par leurs intérêts parti culiers. Ee corpus augustinien est ainsi passé au crible de problématiques diverses, plus rigoureuses, plus scientifiques les unes que les autres. Il y a en revanche, si je ne me trompe, peu de travaux qui analysent les ouvrages d’Augustin, ses procédés d’argumentation et de composition, le mouvement propre de son discours et de sa pensée, Ees études doctri nales dépendent trop souvent de catégories ou de problèmes étrangers à l’esprit d’Augustin : la distinction de la philosophie et de la théologie, la division de la théologie en traités scolastiques ou autres, les soucis théologiques actuels, etc. Il y a plus ; les résultats les plus sérieux acquis dans certains secteurs de recherche risquent de fausser la problématique des études doctrinales. C’est ainsi que, des enquêtes philologiques sur les Libri platonicorum, on conclut couramment qu’Augustin s’est livré à une entreprise de synthèse entre le néoplatonisme et le christianisme. Or cette formule me paraît doublement ambiguë; i°, parce qu’ elle tend à fixer les esprits sur le problème des sources néoplatoniciennes, au détriment des autres ; 2°, parce qu’elle implique logiquement l’idée qu’Augustin s’est dépensé pour modifier le néoplatonisme comme il l’a pu et l’adapter au christia nisme. Ce n’est pas ce qui ressort du récit du livre VII des Confessions, où Augustin affirme qu’il a trouvé dans les Libri platonicorum une doctrine partiellement identique à celle du Prologue johannique ; « Et ibi legi, non quidem his uerbis, sed hoc idem omnino multis et multiplicibus suaderi rationibus, quod in principio erat Verbum et Verbum erat apud Deum...» (Conf. VII, q, 13). Il s’applique à préciser l’identité et la différence entre les deux doctrines ; il ne s’occupe pas d’en faire le mélange et la synthèse. Il me paraît donc utile de récuser une opinion qui tend à devenir trop commune et d’y substituer une thèse qui devrait être un truisme : Augustin a considéré la doctrine qu’il a élaborée comme intégralement chrétienne, entièrement christologique. On en trouve un condensé admirable en De Trinitate, XIII, 19, 24 : « Scientia ergo nostra Christus est, sapientia quoque nostra idem Christus est. Ipse nobis fidem de rebus temporalibus inserit, ipse de sempitemis exhibet ueritatem. Per ipsum pergimus ad ipsum, tendimus per scientiam ad sapientiam ; ab uno tamen eodemque Christo non recedimus, in quo sunt omnes thesauri sapientiae etscientiae absconditi (Coloss. 2, 3). » « Notre science c’est le Christ ; notre sagesse aussi, c’est le même Christ. Il implante en nous la foi au sujet des réalités temporelles ; il nous révèle la vérité au sujet des réalités éternelles. C’est par lui que nous allons à lui ; nous tendons par la science à la sagesse ; mais nous ne nous écartons pas de l’unique et même Christ, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science. » CHRISTUS SCIENTIA ET SAPIENTIA 79 Telle est la structure de la théologie augustinienne : au rapport ontolo gique : éternité-temps, correspond le rapport épistémologique : sagesse- science ; et le tout s’unifie dans la personne du Christ. Augustin a posé la distinction : scientia-sapientia, en conclusion du livre XII De Trinitate (14, 22), en reprenant la distinction des deux fonctions de la raison : l’action et la contemplation ; il la précise à la fin du livre XIII (19, 24) et au début du livre XIV (1, 1-3), en la fondant sur le groupement scripturaire : 1 Cor. 12, 8 + Job 28, 28 + Col. 2, 3, groupement sur lequel A.-M. ha Bonnardière a attiré l’attention dans ses Recherches de chronologie augustinienne, p, 138-139. Ce schéma règle la composition des livres XIII et XIV De Trinitate, respectivement consacrés à la scientia et à la sapientia ; il est illustré, au début du livre XIII, par une analyse du Prologue johannique, qui traite d’une part de réalités éternelles, objets de contemplation et de sagesse, et d’autre part de réalités temporelles, objets de foi et de science ; distinction reprise en De Trinitate, XIII, 19, 24 : « Haec autem ontnia quae pro nobis Verbum caro factum temporaliter et localiter fecit et pertulit, secundum distinctionem quam demonstrare suscepi- mus, ad scientiam pertinent non ad sapientiam. Quod autem Verbum est sine tempore et sine loco, est Patri coaetemum et ubique totum ; de quo si quisquam potest, quantum potest, ueracem proferre sermonem ; sermo ille erit sapientiae ; ac per hoc Verbum caro factum, quod est Christus Iesus, et sapientiae thesauros habet et scientiae. » Voir la note complémentaire de P. Ag a ê s s e , Sapientia et scientia, dans B A 16, p. 620-623 ; l’appendice de H.-I. Ma r r o u , Scientia et sapientia dans la langue de saint Augustin, dans Saint Augustin et la fin de la culture antique, p. 561-569 ; et l’article de F. Ca y r é , La notion de sagesse chez saint Augustin, dans L'année théologique, 4, 1943, p. 433-456. Ce qu’il m’importe de souligner, pour ma part, c’est que la structure de la doctrine augustinienne s’appuie fermement sur des données scrip turaires : pauliniennes et johanniques surtout. Mais elle s’inspire aussi de données philosophiques. Elle exploite, en effet, une phrase du Timêe qu’Augustin a citée en deux textes d’une densité aussi remarquable que ceux que je viens de citer. En De Trinitate, IV, 18, 24 : « Mens autem rationalis, sicut purgata contemplationem debet rebus aetemis, sic purganda temporalibus fidem. Dixit quidam et illorum qui quondam apud graecos sapientes habiti sunt : ‘ Quantum ad id quod ortum est aeternitas ualet, tantum ad fidem ueritas ’ (Tintée 29 c). Et profecto est uera sententia. Quod enim nos temporale dicimus, hoc ille quod ortum est appellauit. » En De consensu euangelistarum, I, 35, 53 : « Ac per hoc, cum rebus aetemis contemplantium ueritas perfruatur, rebus autem ortis fides credentium debeatur, purgatur homo per rerum temporalium fidem, ut aetemarum percipiat ueritatem. Nam et quidam eorum nobilissimus philosophus Plato, in eo libro quetn Timaeum uocant, sic ait : ‘ Quantum ad id quod ortum est aeternitas ualet, tantum ad fidem ueritas ’. 8o GOULVEN MADEC Duo ilia sursum sunt : aeternitas et ueritas ; duo ista deorsum : quod ortum est et tides. Vt ergo ab imis ad sitmma reuoeemur atque id quod ortum est reeipiat aetemitatem, per fidem ueniendum est ad ueritatem. Et quia omnia quae in contrarium pergunt per aliquid medium reducuntur, et ab aeterna iustitia temporalis iniquitas nos alienabat, opus ergo erat media iustitia tempo ral ; quae medietas temporalis esset de imis, iusta de summis, atque ita se nec abrumpens a summis et contemperans imis, ima redderet summis. Ideo Christas mediator Dei et hominum dictas est, inter Deum immortalem et hominem mortalem Deus et homo (cf. i Tim. 2, 5), reconcilians hominem Deo, manens id quod erat, factus quod non erat. Ipse est nobis tides in rebus ortis qui est ueritas in aeternis. » Ces deux textes ont été commentés par P.-Th. Ca m e l o t , A l'éternel par le temporel, dans Mémorial Gustave Bardy, Revue des études augusti- niennes, 2,1956, p. uploads/Philosophie/ madec-christus-scientia-et-sapientia-nostra.pdf
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- Publié le Jui 30, 2022
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