35 A travers cet article, l’auteur propose de cerner les spécificités de l’écle
35 A travers cet article, l’auteur propose de cerner les spécificités de l’éclectisme en Didactique des Langues et Cultures Étrangères en Europe à travers un histori- que de la naissance de cette notion entendue au sens large. Les quelques jalons ainsi posés permettront de comprendre sous quelles modalités peut être présent l’éclectisme en Didactique des Langues et Cultures Étrangères en Chine. L’ana- lyse, conduite à travers un dialogue des cultures française et chinoise, s’appuiera principalement sur des questionnaires portant les représentations de l’enseigne- ment/apprentissage du FLE des enseignants qui seront mis en regard avec leurs pratiques de classe effectives. Introduction Les idées sont faites pour circuler, être confrontées, approuvées ou cri- tiquées. La communauté scientifique mondiale, grâce au dynamisme et à la di- versité des hommes qui manient les concepts, parvient à faire cheminer les idées d’une sphère culturelle à une autre, d’un espace-temps à un autre. La Didactique des Langues et Cultures Étrangères en France (désormais DLC), relève également de ce mouvement non linéaire et complexe, de ce dialogue fécond qui doit néces- sairement prendre en compte les cultures en présence, dont la culture scientifique fait partie, mais aussi l’histoire des idées propre à chaque pays qui contribue au développement d’une réflexion commune. Tel est le cas de la Chine et de la France, engagées dans un débat libre et commun en DLC, et principalement dans le domaine de l’enseignement/appren- tissage du FLE. Nous avons le devoir, en tant qu’acteurs du dit domaine en Chine, de nous interroger sur les concepts fondamentaux qui nourrissent la recherche en DLC à une plus vaste échelle. L’un de ces concepts fondamentaux, apparu il y a une vingtaine d’an- nées en France et qui est devenu central depuis la fin des années 90, est celui de l’éclectisme. Je tenterai donc de présenter les spécificités de l’éclectisme au sens large, c’est-à-dire non restreint au seul domaine de la DLC, à travers un exposé de l’origine de cette notion. Cet exposé m’amènera à penser les échanges concep- tuels possibles entre la Chine et la France autour de la notion d’éclectisme dans le contexte d’une réflexion sur la complexité et permettra de fixer un cadre mé- thodologique (déterminé en termes d’analyses préalables de terrain) pour penser cette notion en DLC en Chine. A travers l’examen d’une analyse particulière, celle des représentations de l’enseignement/ apprentissage du FLE des enseignants et de leur mise en regard avec leurs pratiques de classe effectives, je montrerai pour- quoi, malgré la «réforme communicative et fonctionnelle» de 1999 du Ministère de l’Education Nationale chinois, il est délicat aujourd’hui de penser un éclectisme en L’éclectisme méthodologique dans l’enseignement/ apprentissage du français en Chine: échanges conceptuels, représentations et pratiques de classe Eva Martin Ambassade de France en Chine Service de Coopération et d’Action Culturelle 36 DLC en Chine. Cependant, la Chine a, ou aura tôt ou tard, à penser la complexité, tant en DLC qu’au quotidien. Je tenterai par conséquent de proposer quelques solutions pour penser cette complexité dans le domaine qui nous intéresse. 1. L’origine de l’éclectisme au sens large 1.1 L’éclectisme: une spécificité française? La réponse à cette question ne peut être que négative. Cependant, si l’éclectisme n’est pas une spécificité française, il est en revanche un trait carac- téristique né des pensées européennes, voire occidentales. Pour comprendre cela, il faut faire un retour en arrière dans l’histoire des idées. 1.1.1 R. Descartes ou la genèse d’une Raison déifiée R. Descartes, penseur français, inaugure la pensée rationnelle moderne avec son Discours de la méthode (1637), ouvrage retraçant en quelque sorte son autobiographie intellectuelle, dont la célèbre formule «Cogito ergo sum»1 est devenue le symbole. Physicien et mathématicien de formation, R. Descartes est pourtant plus connu à travers sa métaphysique que pour ses travaux scientifiques. Rappelons que R. Descartes est contemporain de G. Galilei, célèbre as- tronome italien et partisan de N. Copernic (astronome polonais, père du système cosmologique héliocentrique, 1473-1543). La révolution copernicienne sera sou- tenue par G. Galilei qui s’attirera les foudres de l’Eglise, partisane du système cosmologique géocentrique de Ptolémée hérité de la scolastique grecque2. Il faut bien comprendre que l’astronomie de N. Copernic et G. Galilei engendra des sys- tèmes de pensée radicalement différents de ceux des Anciens, puisque avec les découvertes de ces deux savants, la terre n’est plus qu’une planète comme les autres dans un univers infini. Ces visions scientifiques, sont à l’origine de nombreux changements dans l’histoire des idées et d’un repositionnement de l’homme dans l’univers dont le centre est désormais le soleil. A partir de ce moment, l’homme se retrouve comme projeté dans un uni- vers sur lequel il n’a plus aucune prise et la religion, face aux progrès naissants de la science, est par conséquent mise en difficulté. Ces découvertes nourriront les réflexions des penseurs des Lumières qui ne cesseront d’opposer raison et religion, science et métaphysique. Dans le contexte défini plus haut, R. Descartes entend à la fois apporter les fondements de cette nouvelle science et redéfinir la place de l’homme dans l’univers. La métaphysique apparaît pour le philosophe comme un outil qui per- mettra de justifier ces sciences nouvelles et redéfinir la place de l’homme dans un monde en plein bouleversement. Pour mener à bien cette entreprise, il rompt radicalement avec les apports de la philosophie aristotélicienne en inaugurant la méthode du doute absolu, radical et hyperbolique pour distinguer les connaissan- ces certaines de celles qui sont vraisemblables. 37 La méthode du doute au sens cartésien consiste à remettre en cause d’une part le monde sensible (avec pour argument majeur que les sens sont parfois trompeurs), mais également les choses qu’il tient, en tant qu’homme de science, pour vraies: les vérités mathématiques. La vérité doit se mesurer par le biais des idées claires et distinctes. Ce doute généralisé et excessif n’a de sens que si l’on comprend l’entreprise de R. Descartes par rapport aux découvertes scientifiques de l’époque. Cette brève parenthèse est donc utile pour comprendre la notion d’éclectisme qui nous intéresse. Selon R. Descartes, le doute n’est que provisoire car si je peux douter de mes sens, du monde sensible et des vérités intellectuelles, je ne peux pas douter que je doute. Or, c’est moi qui doute: par conséquent, le moi qui doute existe. De là, R. Descartes tire la conclusion «Cogito ergo sum». Le cogito, c’est-à-dire mon existence comme pure pensée, devient donc le premier principe vrai de la philosophie cartésienne. Mais en disjoignant le Je pensant du monde sensible, Descartes aboutit finalement à séparer la philosophie de la science et à produire l’illusion tenace que le monde existe indépendamment du sujet et inversement. Ce dualisme s’exprime, selon E. Morin (2005a: 18), comme une véritable «patholo- gie du savoir»: l’articulation entre les différents domaines disciplinaires est brisée et il n’y a plus que des connaissances unidimensionnelles cloisonnées dans leur pré carré, qui ne communiquent finalement ni avec le réel, complexe par nature, ni entre elles. Cette pensée de la rationalisation à outrance nous a fait entrer dans le «paradigme de la simplicité» (Morin, 2005a: 79)3. 1.1.2 La pensée rationnelle et l’inauguration d’une ère nouvelle La pensée moderne, entendue comme rupture avec celle des Anciens, prend ainsi ses racines dans cette pure pensée, ce «Je qui pense», cette raison portée à son paroxysme qui vit dans l’oubli total de sa propre relation charnelle et originelle avec le réel. Le dualisme radical entre le Je et le réel, qui accable l’Oc- cident depuis R. Descartes, a abouti à la construction d’une image scientifique du monde entièrement déterminée où le hasard n’a pas cours. Le monde est objectif, explicable, rationnalisable et finalement victime de la simplification de la rai- son raisonnante. De raisonnable, il devient également quantifiable grâce aux pro- grès techniques et aux inventions d’outils de mesure de plus en plus sophistiqués. L’idée d’une connaissance absolue des causes des phénomènes s’installe dans le monde des idées: la diversité et la complexité du monde sont alors évacuées au profit d’une image scientifique mais simplifiée du réel. E. Morin (2005a: 54-55), a exprimé cette idée d’une manière remar- quable: «La science occidentale s’est fondée sur l’élimination positive du sujet à partir de l’idée que les objets, existant indépendamment du sujet, pouvaient être observés et expliqués en tant que tels. (…) Dans ce cadre, le sujet est soit le «bruit», c’est-à-dire la perturbation, la déformation, l’erreur qu’il faut éliminer afin d’atteindre la connaissance objective, soit le miroir, simple reflet de l’univers objectif. Le sujet est renvoyé, comme perturbation ou bruit, précisément parce qu’il est indescriptible 38 selon les critères de l’objectivisme (…) mais chassé de la science, le sujet prend sa revanche dans la morale, la métaphysique, l’idéologie.» Ce mode de pensée, aliénant parce qu’il sépare ce qui n’est pas sépara- ble, place en son cœur le déterminisme qui devient fondement et justification de la science. Mais les scientifiques, croyant éliminer le bruit, le flou, l’insondable, ont abouti à donner à cette Raison, des pouvoirs quasi sur-rationnels qui en font un sorte de Dieu qui n’ose dire son nom. La Raison déifiée devient en quelque uploads/Philosophie/ martin.pdf
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- Publié le Mai 05, 2022
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