Épistémologie de la communication : scepticisme et intelligibilité du savoir co

Épistémologie de la communication : scepticisme et intelligibilité du savoir communicationnel Article mis en ligne le 29 septembre 2003. Luiz C. Martino Professeur à la faculté de Communication de l’université de Brasília (UNB), titulaire d'un doctorat de l’université René Descartes (Paris 5), Luiz C. Martino est chercheur au CNPq (homologue brésilien du CNRS français) et fondateur du Groupe de travail Épistémologie de la communication de la Compos (homologue de la Sfsic française). Ses centres d’intérêt en recherche : épistémologie, théorie et technologie de la communication. Plan Introduction Quelle est la signification de ce scepticisme ? La difficulté de reconnaître les théories : extension et pertinence Les rapports entre théories : le problème de la systématisation Résumé. Quelles sont, finalement, les théories de la communication ? La disparité des réponses effectivement données dans les ouvrages consacrés à la matière nous montre la nécessité d’aller au-delà de la simple compilation des théories, afin d’instaurer une réflexion sur la systématisation du savoir auquel elles se rapportent. Le problème qui se pose à travers cet article consiste en une analyse et explicitation des fondements du scepticisme qui entoure la question, largement hégémonique entre les spécialistes de la communication et qui n’est pas sans conséquence pour la structuration de notre domaine de connaissance. INTRODUCTION En dépit de l’important volume de recherches sur la communication, les études sur ses fondements n’occupent pas un lieu privilégié dans la production des savants. Il n’est pas rare de trouver, parmi les plus renommés chercheurs de ce champ d’étude, des obser- vations sur la fragilité des connaissances produites en la matière. La première explication que l’on peut donner à cela se trouve dans quantité de théories qui s’attachent au sujet. Comme l’a constaté Robert Escarpit, « les domaines du savoir deviennent trop nombreux, trop spécialisés pour qu’un seul homme, même après de longues années de réflexions et de lectures, souvent d’apprentissages difficiles, puisse en appréhender ne fût-ce qu’une partie » (Escarpit, 1991, p. 7). Sur un ton dramatique, il invoque le besoin de systématisation de la connaissance et présente son travail comme « la dernière chance » pour réaliser une vision d’ensemble du champ d’étude de la communica- tion. Les difficultés, cependant, ne se limitent pas uniquement à l’extension de la production sur le sujet, elles mettent en jeu aussi l’organisation même de la connaissance de cette discipline, si bien qu’au problème de la quantité de publications se superpose celui de la qualité de la réflexion. Dans ce sens, Bernard Miège, par exemple, en faisant un bilan des connaissances de ce domaine de la connaissance, a fait ressortir l’abondance « d’oppositions logiques, la diversité des niveaux appréhendés et les contradictions », et en tire la conclusion que « bien LUIZ C. MARTINO Épistémologie de la communication : scepticisme et intelligibilité… © Les Enjeux de l’information et de la communication > http://www.u-grenoble3.fr/les_enjeux > Page 2 qu’elle ait atteint un certain niveau d’élaboration, qui lui permet d’ores et déjà d’appréhender la complexité des phénomènes dont elle entend rendre compte, la pensée communicationnelle n’est pas unifiée, et n’est pas prête à se présenter comme telle » (Miège, 1995, p. 111). Sceptique, il en arrive à mettre en doute la pertinence de la pensée communicationnelle elle-même (ibidem), encore que cela ne soit que pour la modérer d’un certain relativisme (compris dans la notion de champ). Cependant, le scepticisme à l’égard de l’organisation du domaine de connaissance semble être le centre de gravité de cette matière polémique, et cet état de fait se retrouve fréquemment. Miguel de Moragas, plus radical, n’économise pas les critiques en ce qui concerne la possibilité d’un « statut épistémologique propre » à la communication. D’après lui, « celle-ci n’a jamais été, ni n’est aujourd’hui non plus, la meilleure condition de notre objet » (Moragas, 1993, p. 17), indiquant avec clarté le manque de spécificité de la communication en tant que savoir autonome. Pour lui, il ne s’agit que « d’une investigation subsidiaire ». Pour Francis Balle, la communication porte plusieurs signes propres au savoir scientifique, notoirement ceux de son institutionnalisation (écoles, revues, sociétés savantes à niveau national et international...), néanmoins il hésite à en lui attribuer ce statut. Selon lui, la communication oscille entre un art (ou technique) et une science; finalement, il compare l’état des études sur les médias à un « patchwork », étant donnée l’abondance et la diversité des approches (Balle, 1992, p. 44). Il s’agirait donc d’un « savoir en mosaïque », lequel réclame une pluralité de disciplines. Parmi autant d’écueils pour la promotion au statut de science, il souligne le manque « d’accord entre les chercheurs sur les contours du domaine étudié » (Balle, 1992, p. 45). Une des raisons de ce manque d’accord, comme l’observe José Marques de Melo, tient en ce que « au lieu effectuer leurs analyses du phénomène communicatif, chaque science et courant philosophique emploie sa propre perspective, sa propre terminologie, ses concepts spécifiques (Marques de Melo, 1973, p. 13), exposant ironiquement les chercheurs de ce champ d’étude à ce que, de notre part, nous pourrions appeler des « difficultés de communication » (confusion terminologique, univers conceptuel trop étendu, diversité et méconnaissance des paradigmes). Armand et Michèle Mattelart eux aussi suivent la même direction et font écho aux avis sceptiques. Pour eux, le domaine de la communication se trouve exposé et accumule « doctrines aux effets de la mode et prêt-à-penser aux néologismes météores (qui) font figure de schémas explicatifs définitifs, de leçons magistrales, gommant au passage les trouvailles d’une lente accumulation, contradictoire et pluridisciplinaire, des savoirs en la matière, et renforçant l’impression de la frivolité de l’objet » (Mattelart, 1995, p. 4). Comme tant d’autres, ils nous mettent en garde contre le manque de systématisation des connaissances et avertissent que le sujet ne reçoit pas de la part des chercheurs une attention proportionnelle à son importance. À la suite du texte cité, ils affirment : « Peut- être plus dans ce champ de connaissances que dans d’autres, l’illusion est forte de penser que l’on peut faire table rase de cette sédimentation et que, dans cette discipline, à la différence des autres, tout reste à créer » (ibidem). En général, les opinions convergent vers le diagnostic indiqué par Bernard Miège, selon lequel « les sciences de la communication ne peuvent pas prétendre avoir atteint une maturité suffisante et les chercheurs qui la réclament sont loin d’avoir abouti à un accord minimum sur leurs objets de recherche » (Miège, 1990). Il n’est absolument pas rare de trouver des affirmations de ce genre dans les pages des principaux auteurs de ce domaine de connaissance ; ainsi, plutôt que de multiplier les LUIZ C. MARTINO Épistémologie de la communication : scepticisme et intelligibilité… © Les Enjeux de l’information et de la communication > http://www.u-grenoble3.fr/les_enjeux > Page 3 exemples, il s’agit de s’interroger sur un point primordial : quelle est la signification de ce scepticisme ? QUELLE EST LA SIGNIFICATION DE CE SCEPTICISME ? L’analyse détaillée de cette question paradoxale échappe aux dimensions du présent texte. Cependant, même sans pouvoir traiter le sujet comme il se doit, il est difficile de se passer de son examen, étant donné qu’un positionnement sceptique met en jeu des problèmes qui ne sont pas seulement de cohérence, mais de la consistance même du domaine de connaissance de la communication. À la rigueur, il faudrait parler de « scepticismes », étant donné les différences de degré et d’orientation concernant les multiples aspects du problème. De façon un peu schématique, on peut distinguer deux attitudes. Dans une première version, le scepticisme nous amène à mettre en doute la possibilité d’une science de la communication. Bien entendu, il n’est pas question d’adopter une position auto-négatrice et donc contradictoire, comme pourrait le suggérer une première impression, mais seulement de nier à la communication un statut de science ou de savoir indépendant. Au centre de la question se trouve l’autonomie de cette discipline. Pour beaucoup de spécialistes il ne s’agirait que d’une branche de la sociologie ou de la psychologie. Dans ce cas, il n’existerait pas un savoir proprement communicationnel, mais des savoirs qui traitent de certains objets empiriques, en général désignés comme « phénomènes communicationnels », ou plus simplement « commu- nication ». Dans une seconde version, on reconnaît son autonomie, et le scepticisme se rapporte à l’état actuel de l’organisation de cette discipline. En effet, les doutes objectés par Francis Balle, mais principalement ceux formulés par Moragas, ont trait à la possibilité d’une science de la communication, tandis que pour des chercheurs comme Escarpit et Mattelart, il ne s’agirait que de l’étape actuelle de son développement, ou d’une condition de la nature de la discipline, comme l’affirme Bougnoux, qui la rapproche de la philosophie (Bougnoux, 1998). La tendance des chercheurs les plus sceptiques est de prendre le terme communication (écrit avec une minuscule) comme le synonyme de « phénomène communicationnel » et comprendre le terme Communication (écrit avec une majuscule) comme un champ d’études, celui-ci constitué par des approches hétérogènes, réunies sous un seul trait commun, l’analyse des « phénomènes communicationnels », uploads/Philosophie/epistemologie-des-sic-martino-221115-150944.pdf

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