MBEMBE Achille Qu'est-ce que la pensée postcoloniale? (Entretien) Entretien ave

MBEMBE Achille Qu'est-ce que la pensée postcoloniale? (Entretien) Entretien avec Achille Mbembe* Esprit – Pouvez-vous nous présenter l’école de pensée dite « postcoloniale » ? Elle est présente en Afrique, en Inde, en Grande- Bretagne, en Australie, aux États-Unis, mais peu en France. Pouvez-vous nous présenter sa substance, ses moteurs ? En quoi se distingue-t-elle notamment de mouvements de réflexions anti- occidentaux ou tiers-mondistes ? Achille MBEMBE Ŕ La configuration intellectuelle connue dans le monde anglo-saxon sous le vocable d’« études postcoloniales » ou de « théorie postcoloniale » se caractérise par son hétérogénéité, et il est difficile de résumer en quelques mots ce qui en constitue l’originalité. Peut-être faut-il commencer en précisant qu’elle n’a pas grand-chose à voir avec la caricature que le chœur des repentis a fait du « tiers-mondisme » en France. Il s’agit, en vérité, d’une pensée à plusieurs entrées, qui est loin d’être un système parce qu’en grande partie, elle se fait elle-même en même temps qu’elle fait sa route. Voilà pourquoi, à mon avis, il est exagéré d’en parler comme d’une « théorie ». Tributaire à la fois des luttes anticoloniales et anti-impérialistes d’un côté, et, de l’autre, des héritages de la philosophie occidentale et des disciplines constitutives des humanités européennes, elle est une pensée éclatée Ŕ ce qui fait sa force, mais aussi sa faiblesse. En dépit de son éclatement, il est possible de relever certaines manières de raisonner, ou certains arguments propres à ce courant de pensée, et dont la contribution à une lecture alternative de notre modernité est considérable. J’évoquerai pour commencer la critique, non pas de l’Occident sui generis, mais des effets d’aveuglement et de cruauté induits par une certaine conception Ŕ je dirais coloniale Ŕ de la raison, de l’humanisme et de l’universalisme. Cette critique se distingue de celle qui fut faite en son temps par les courants existentialiste, phénoménologique et poststructuraliste dans la France de l’après-guerre. Certes, la problématique de l’autocréation et de l’autogouvernement est sa préoccupation majeure. Mais sa démarche ne s’inscrit pas entièrement dans la problématique de la « mort de Dieu » selon Nietzsche. Elle se démarque, sur plusieurs plans, de l’idée sartrienne de « l’homme sans Dieu » qui prend la place laissée vide par le « Dieu mort». Elle ne souscrit presque pas au thème foucaldien selon lequel « Dieu étant mort, l’homme est mort aussi ». Elle met, en revanche, le doigt sur deux choses. En premier lieu, elle met à nu aussi bien la violence inhérente à une idée particulière de la raison que le fossé qui, dans les conditions coloniales, sépare la pensée éthique européenne de ses décisions pratiques, politiques et symboliques. Comment, en effet, réconcilier la foi proclamée en l’homme et la légèreté avec laquelle on sacrifie la vie, le travail des colonisés et leur monde de significations ? C’est, à titre d’exemple, la question que pose Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme. D’autre part, la pensée postcoloniale insiste sur l’humanité-à-venir, celle qui doit naître une fois que les figures coloniales de l’inhumain et de la différence raciale auront été abolies. Cette espérance dans l’avènement d’une communauté universelle et fraternelle est très proche de la pensée juive, du moins telle qu’elle se donne à voir chez Ernst Bloch, voire Walter Benjamin Ŕ la dimension théologico-politique en moins. Cela dit, la critique postcoloniale se déroule à plusieurs niveaux. D’une part, elle déconstruit, comme le fait Edward Said dans Orientalisme, la prose coloniale, c’est-à-dire le montage mental, les représentations et formes symboliques ayant servi d’infrastructure au projet impérial. Elle démasque également la puissance de falsification de cette prose Ŕ en un mot la réserve de mensonge et le poids des fonctions de fabulation sans lesquels le colonialisme en tant que configuration historique de pouvoir eût échoué. On apprend ainsi comment ce qui passait pour l’humanisme européen chaque fois apparut, dans les colonies, sous la figure de la duplicité, du double langage et du travestissement du réel. De fait, la colonisation ne cessa de mentir à son propre sujet et au sujet d’autrui. Comme l’explique très bien Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs, les procédures de racialisation du colonisé constituent le moteur de cette économie du mensonge et de la duplicité. Pour la pensée postcoloniale, la race constitue en effet la région sauvage de l’humanisme européen, sa bête. Pour reprendre les termes de Castoriadis s’agissant du MBEMBA Aquiles ¿Qué es el pensamiento poscolonial? (Entrevista) Entrevista con Achille Mbembe * Espíritu - ¿Nos puede decir la escuela de pensamiento llamada "post-colonial"?Está presente en África, India, Gran Bretaña, Australia, Estados Unidos, pero pocos en Francia. ¿Puede describir su esencia, sus motores? Lo que distingue ¿Tiene esos movimientos de pensamiento o anti-occidentales del Tercer Mundo? Achille Mbembe - La configuración intelectual conocida en el mundo anglosajon como "estudios poscoloniales" o "teoría poscolonial" se caracteriza por su heterogeneidad, y es difícil de resumir brevemente lo que constituye su originalidad. Tal vez debería empezar diciendo que no tenga mucho que ver con la caricatura del coro de los arrepentidos del "tercer mundismo" en Francia. Es, en verdad, un pensamiento para varias entradas, que está lejos de ser un sistema en gran parte porque se construye al mismo tiempo que traza su ruta. Por eso, en mi opinión, es una exageración llamarla una "teoría". Depende tanto de las luchas anti-coloniales y anti-imperialista por un lado y, por otros legados de la filosofía occidental y las disciplinas que constituyen las Humanidades Europeas, es un pensamiento explosivo - que es su fuerza, pero también su debilidad. A pesar de su fragmentación, es posible identificar algunas formas de pensar, e incluso argumentos propios de esta línea de pensamiento, cuya contribución a una lectura alternativa de la modernidad es considerable. Voy a mencionar para empezar la crítica, para nada sui generis de Occidente, pero los efectos de la ceguera y la crueldad que implica una cierta concepción- diría colonial - de la razón, del humanismo y del universalismo. Esta crítica es diferente de la que se hizo en su momento por la corriente existencialista, fenomenológica y postestructuralista en Francia después de la guerra. Ciertamente, la cuestión de la emancipación y el autogobierno es su principal preocupación. Pero su enfoque no se ajusta enteramente en el problema de la "muerte de Dios", según Nietzsche. Se diferencia de plano de la idea de Sartre del "hombre sin Dios", que ocupa el lugar vacío del "Dios ha muerto". La poscolonialidad disiente por completo de la lectura foucaltiana según la cual si "Dios ha muerto, el hombre también murió." Apunta, sin embargo, a dos cosas. En primer lugar, expone tanto la violencia inherente a una determinada idea de por qué la brecha en las condiciones coloniales, separa el pensamiento europeo éticas de sus decisiones prácticas, políticas y simbólicas. ¿Cómo, en efecto, de conciliar la fe proclamada en el hombre y la facilidad con la que sacrificar la vida, el trabajo del mundo colonizado y sus significados? Es, por ejemplo, la cuestión planteada Aimé Césaire en su Discurso sobre el colonialismo. Por otro lado, el pensamiento postcolonial hace hincapié en la humanidad por venir, lo que debe venir en pos de las figuras de la época colonial inhumano y las diferencias raciales se han suprimido. Esta esperanza en el advenimiento de una comunidad universal y la hermandad está muy cerca de pensamiento judío, al menos tal como se ve en Ernst Bloch o Walter Benjamin - la dimensión teológico- político menos. Dicho esto, la crítica poscolonial se lleva a cabo en varios niveles. Por un lado, se rompe, al igual que Edward Said en Orientalismo, la prosa colonial, es decir, las representaciones mentales de montaje y las formas simbólicas de la infraestructura utilizada en el proyecto imperial. También desenmascara el poder de la falsificación de esta prosa - en una palabra el tema de las mentiras y las funciones de la narración de peso sin que el colonialismo como una configuración histórica del poder había fracasado. Aprendemos lo que se suponía humanismo europeo cada vez que apareció en las colonias, bajo la figura de la duplicidad, doble discurso y disfrazar la realidad. De hecho, la colonización no dejan de mentir acerca de sí mismo y sobre los demás. Como se ha explicado muy bien Frantz Fanon en Piel Negro, Blanco Máscaras, los procesos de racialización de los colonizados son el motor de esta economía de la mentira y la duplicidad. Para el pensamiento postcolonial, la raza es de hecho el desierto del humanismo europeo, su bestia. En palabras de Castoriadis racisme, je dirai que la bête dit à peu près ceci : « Il n’y a que moi qui vaut. Mais je ne peux valoir en tant que moi que si les autres, en tant que eux, ne valent rien. » La pensée postcoloniale s’efforce donc de démonter l’ossature de la bête, de débusquer ses lieux d’habitation privilégiée. Plus radicalement, elle se pose la question de savoir ce que c’est que vivre sous le régime de la bête, de quelle vie il s’agit et uploads/Philosophie/ mbembe-achille-pensamiento-poscolonial.pdf

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