Introduction à la méthodologie en sciences sociales BOUARFA EL FECH 2016/2017 S

Introduction à la méthodologie en sciences sociales BOUARFA EL FECH 2016/2017 Support d’appui aux étudiants N°2 Les trois aspects de la démarche scientifique. Jusqu’à présent, j’ai surtout parlé de ce que la démarche scientifique devait éviter (les jugements de valeur) et beaucoup moins de ce en quoi elle consistait. C’est que cette dernière question est beaucoup plus vaste et beaucoup moins consensuelle. Il existe de multiples façons d’introduire à la démarche scientifique, et je m’en tiendrai ici à quelques idées élémentaires. J’emprunte à Philippe Van Parijs, l’idée que cette démarche comporte trois « aspects » ou trois « moments », si l’on veut : la vérification, l’explication et l’intervention12. Je donnerai toutefois de cette trilogie une présentation personnelle (et fort simplifiée. a) L’explication. Fondamentalement, expliquer, c’est rendre les faits plus « intelligibles », nous aider à les « comprendre » au sens large du terme13. La science n’est évidemment pas la seule activité intellectuelle qui ait vocation à expliquer. Dans la vie courante, nous sommes souvent amenés à « expliquer » notre comportement, c’est-à-dire en fournir les raisons. Les tentatives pour expliquer le monde, la nature, n’ont pas, elles non plus, commencé avec la démarche scientifique telle que nous la concevons aujourd’hui. Prenons, par exemple, la mythologie grecque : faire dépendre l’explication du monde des caprices de Zeus, des colères de Poseidon ou des crises de jalousie d’Athéna pouvait constituer une bonne tentative d’explication. Certes, cela ne correspond pas aux critères de ce que nous considérons aujourd’hui comme une explication scientifique, mais cela rendait intelligible un monde qui autrement n’aurait été que chaos : au moins, on savait pourquoi la foudre frappait ici plutôt que là, pourquoi les récoltes étaient bonnes ou mauvaises, pourquoi le destin semblait s’acharner sur certains en particulier et en épargner d’autres. Aujourd’hui encore, pour celui qui croit à l’astrologie, celle-ci peut constituer une explication « satisfaisante » : tous les événements de la vie y reçoivent un sens. Ce qui nous incite à nous détourner de cette explication, c’est précisément que nous avons été éduqués dans une culture scientifique qui nous apprend à vérifier les théories et nous savons que, de ce point de vue, les conceptions astrologiques n’apparaissent guère fiables. « Expliquer » revient donc à rendre le monde intelligible. Notre besoin d’intelligibilité fait que nous avons parfois tendance à adhérer à des explications qui « ne tiennent pas la route » (comme l’astrologie, précisément). Inversement, certaines explications scientifiques fiables, c’est-à-dire bien « vérifiées », peuvent nous paraître peu satisfaisantes d’un point de vue « explicatif » parce qu’elles ne nous procurent pas un sentiment de compréhension du monde qui nous entoure. C’est par exemple, le reproche qui est parfois fait à la mécanique quantique, qui constitue aujourd’hui la « base fondamentale » de toute la physique : on n’a jamais pu prendre en défaut les hypothèses de la théorie quantique, et il n’y a plus guère de scientifique, aujourd’hui, pour douter de leur validité. En même temps, beaucoup admettent qu’il n’est pas possible, sur la base de cette théorie de se faire une représentation du monde intelligible. Certains en tirent d’ailleurs l’idée qu’il faut renoncer à une « représentation » du monde extérieur qui tente d’aller au-delà du pur formalisme mathématique. Ce « reproche » qui est parfois fait à la théorie quantique a été adressé en son temps à la théorie de la gravitation de Newton : la force gravitationnelle, qui est au centre de la théorie de Newton, apparaissait à la plupart des scientifiques du XVIIIème siècle comme une notion « métaphysique » parce qu’elle reposait sur le principe « d’action à distance », que la plupart des scientifiques de l’époque considéraient comme sans fondement. Finalement, la théorie de Newton l’a emporté en raison de sa grande capacité à prédire le mouvement des objets (depuis les corps célestes, jusqu’aux objets les plus quotidiens), mais pas mal de physiciens ont continué à penser que cette « force gravitationnelle » ne constituait pas une explication satisfaisante, et qu’il faudrait un jour la remplacer par quelque chose de plus convaincant15. Ces deux exemples nous permettent de montrer intuitivement qu’une théorie scientifique bien « vérifiée » peut nous paraître plus ou moins satisfaisante du point de vue de son caractère explicatif. Les philosophes des sciences ont longuement discuté ce qu’il fallait entendre par « explication ». C’est un point sur lequel je n’insisterai pas, car il nous entraînerait trop loin, mais il convient de noter quand même à ce sujet une différence entre sciences sociales et sciences de la nature. Les sciences de la nature connaissent bien sûr des controverses, parfois même des débats majeurs sur la validité des grandes lignes théoriques. On peut retrouver la trace dans l’histoire des sciences de ces controverses : par exemple, le débat du XVIème siècle sur le passage d’une astronomie géocentrique à une astronomie héliocentrique16 ; ou, plus récemment, à partir des travaux de Darwin, le débat entre créationnistes, pour qui la vie avait été créée « de toutes pièces », sous sa forme actuelle il y a quatre mille ans, et les évolutionnistes, pour lesquels les espèces ont changé au fil du temps, sous l’influence de la sélection naturelle. Mais une caractéristique générale des sciences de la nature est que ces controverses finissent toujours par désigner un « vainqueur » : à un moment donné, une conception l’emporte sur ses rivales et refait l’unité de la communauté scientifique. A l’inverse, une des caractéristiques-types des sciences sociales, est que la pluralité des explications y est généralement irréductible. Cela signifie que les grands débats « métaphysiques » présents au début de la discipline n’ont jamais été résolus et divisent toujours les scientifiques. L’exemple-type en est le débat entre holisme17 méthodologique, d’une part et individualisme méthodologique, de l’autre. Pour les premiers, les faits sociaux sont des « choses » qui s’imposent à nous et non des créations de notre activité. On peut illustrer cette position par une phrase célèbre du sociologue français Emile Durkheim, qui écrivait il y a une bonne centaine d’années : pour lui, les faits sociaux « consistent en des manières d’agir, de penser et de sentir extérieures à l’individu et qui sont douée d’un pouvoir de coercition en vertu duquel elles s’imposent à lui »18. Pour Max Weber, au contraire, la réalité sociale doit être ultimement analysée en termes d’actions individuelles et du sens subjectif que les acteurs donnent à leur action. On peut trouver une formulation moderne de ce principe dans les travaux de Raymond Boudon, notamment. Ainsi, il écrit : « L’atome logique de l’analyse sociologique est donc l’acteur individuel. Bien entendu, cet acteur n’agit pas dans un vide institutionnel et social. Mais le fait que son action se déroule dans un contexte de contraintes, c’est-à-dire d’éléments qu’il doit accepter comme des données qui s’imposent à lui ne signifie pas que l’on puisse faire de son comportement la conséquence exclusive de ces contraintes » Dès lors, faut-il expliquer « le social par le social » ou « le social par les individus » ? La querelle s’est poursuivie tout au long du XXème siècle, donnant lieu à des théories de natures assez différentes, notamment en sociologie et en anthropologie. Aujourd’hui, il est vrai, les théories « individualistes » ont tendance à dominer. Mais c’est peut-être provisoire : il y a trente ans ou trente-cinq ans, on voyait surtout émerger des théories « holistes » comme le structuralisme ou le fonctionnalisme (sur lesquels je n’insisterai pas ici)20. Une des caractéristiques fondamentales des sciences sociales est donc le pluralisme explicatif. On peut dire que cette caractéristique les distingue globalement (avec des nuances, bien sûr) des sciences de la nature. Ce qui signifie que le chercheur en sciences sociales, lorsqu’il se lance dans un projet, est confronté, de manière plus cruciale que le physicien ou le chimiste, à la question du cadre théorique dans lequel il va travailler : ce choix ne lui est pas nécessairement imposé par la nature de la question qu’il se pose. La sociologie de l’éducation, par exemple, fournit un bon exemple de cette diversité apparemment irréductible. Tous les sociologues s’accordent à dire que, contrairement à certains espoirs qu’on a parfois fondés sur l’Ecole comme facteur d’égalité, toute l’histoire de l’institution scolaire dans nos sociétés est une histoire d’inégalité des chances : depuis qu’il existe des enquêtes et des statistiques sur la réussite scolaire, on sait que les enfants issus de milieux socialement ou culturellement favorisés réussissent mieux que les autres. Cet écart, à certains moments, augmente et à d’autres, diminue, mais il ne disparaît jamais. On a beaucoup écrit sur l’inégalité des chances scolaires et les théories foisonnent. Mais on peut presque toutes les ranger en trois grandes catégories :  Les théories de l’héritage culturel insistent surtout sur les valeurs et les compétences acquises dans la petite enfance. Les enfants de milieux défavorisés arrivent en âge scolaire avec de moins bonnes compétences de base : ils maîtrisent moins bien leur langue maternelle, par exemple, qui est souvent un élément décisif pour uploads/Philosophie/ support-n02.pdf

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