Mémoire de Philosophie Sous la direction de : Prof. Daniel Schulthess Alaric Ko

Mémoire de Philosophie Sous la direction de : Prof. Daniel Schulthess Alaric Kohler Octobre 2004 LE PROBLEME DE LA PREDESTINATION A LA VERTU DANS LE STOÏCISME. DEDICACE à Prof. Daniel Schulthess pour sa presciente confiance & à Gaby Kohler pour ma prédestination à la philosophie. LE PROBLEME DE LA PREDESTINATION A LA VERTU DANS LE STOÏCISME. I IN NT TR RO OD DU UC CT TI IO ON N En observant le monde autour d’eux, nombreux sont ceux qui – une fois au moins – arrêtent le cours de leurs activités pour se demander si tout ce qui leur arrive est déjà déterminé par avance, ou dépend encore de leurs choix. Evidemment, cet instant de questionnement, parfois très bref, n’est pas suivi d’une réponse qui nous débarrasserait aussitôt de cette inquiétude. Et si l’on s’engage dans ce problème plus à fond, les questions surgissent en grand nombre et risquent bien de nous entraîner sur des sentiers éloignés de notre toute première interrogation. C’est pourquoi il convient, dans cette étude, de définir plus précisément l’inquiétude initiale, et de se tenir par la suite à cette définition. J’ai choisi d’aborder ce problème dans le cadre de la philosophie stoïcienne, et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, parce qu’il s’agit d’une philosophie organisée en système, où chaque domaine (logique, physique et éthique) présente des thèses qui constituent ensemble une doctrine qui se veut parfaitement cohérente, et explicative du monde dans sa totalité. Cela m’importe parce que le système présentera à coup sûr une position sur ma problématique, au vu de son ambition d’explication de l’ensemble, mais surtout parce que la systématicité nous offre la possibilité de toucher tous les aspects liés à notre question, et d’examiner ainsi les étroites relations entre les domaines de la logique, de la physique et de l’éthique. Deuxièmement, c’est précisément cette philosophie stoïcienne, et particulièrement les développements apportés par Chrysippe, qui marquent la première apparition d’un débat philosophique au sujet du déterminisme, présent sous le libellé « du destin » ; et si les adversaires opposent radicalement une explication déterministe du monde à une Mémoire de philosophie Alaric Kohler 4 autre sauvegardant une certaine « liberté »1 de l’homme à laquelle ils souscrivent, les Stoïciens, dans ce débat, cherchent à concilier les deux positions. Troisièmement, la position stoïcienne sur le rapport entre déterminisme et liberté de l’homme me semble encore passible d’explications supplémentaires, surtout au sujet des liens entre certains éléments doctrinaux appartenant à des domaines différents, mais censés se rejoindre dans une même cohérence ; en rapprochant les thèses logiques, physiques et éthiques, nous pouvons sans doute encore améliorer notre compréhension de cette philosophie systématique, et éventuellement faire émerger des thèses implicites qui fondent sa cohérence interne. Cette démarche suit l’esprit stoïcien, qui après avoir divisé la philosophie en trois parties, insiste sur leur unité. La doctrine philosophique se divise en trois parties : la physique, la morale et la logique. (…) Aucune partie n’est séparée des autres, comme quelques-uns le disent, mais elles sont unies. Aussi les unissent-ils dans leur enseignement. (DL 39-40) L La a p pr ro ob bl lé ém ma at ti iq qu ue e L LA A P PO OS SI IT TI IO ON N S ST TO OÏ ÏC CI IE EN NN NE E La plume latine de Cicéron nous offre un témoignage, en termes généraux, du débat à l’époque de l’ancien stoïcisme, et relève la particularité de la position défendue par Chrysippe. Il y a eu chez les anciens philosophes deux opinions : les uns pensaient que tout arrive par le destin, si bien que ce destin introduisait la nécessité ; de cette opinion ont été Démocrite, Héraclite, Empédocle et Aristote ; les autres croyaient que les mouvements volontaires des âmes échappent au destin ; entre eux, me paraît-il, Chrysippe, comme un arbitre à l’amiable, a voulu atteindre une moyenne, mais il se rapproche davantage de ceux qui admettent des mouvements libres des âmes. (Cicéron, Du Destin, 39) 1 J’utilise ici ce terme de « liberté » pour éviter d’entrer dans des détails inopportuns pour une introduction, mais son sens et son emploi seront traités avec beaucoup de précaution tout au long du travail. Mémoire de philosophie Alaric Kohler 5 Il s’agit bien entendu de la compréhension qu’a Cicéron du problème, et la place d’Aristote parmi les déterministes est en droit de surprendre. Néanmoins, ces quelques lignes esquissent la particularité de la position défendue par le Stoïcien Chrysippe, qui consiste à garder le destin d’une part, ce qui signifiait jusque là soutenir une position déterministe, et sauver les mouvements volontaires des âmes de la contrainte du destin, selon le vocabulaire latin de Cicéron. Pourtant, les critiques des Stoïciens voient dans cette moyenne de Chrysippe une contradiction, à savoir que le destin stoïcien ne permet plus d’accepter aucun mouvement volontaire des âmes dans le monde, ce qui ne manquerait pas de poser un grave problème à leur éthique. Tâchons d’identifier les deux termes de cette éventuelle contradiction, dans les lignes stoïciennes, avant d’entrer dans plus en détail dans le problème. C’est en menant l’examen de ce reproche à la philosophie stoïcienne que nous arriverons ensuite plus particulièrement au point concernant la prédestination à la vertu. D’une part, nous trouvons bel et bien dans l’ancien stoïcisme la thèse que tout arrive selon le destin : Eux aussi [Zénon et Chrysippe] affirmaient que tout est soumis au destin. (Hippolyte, Réfutation des hérésies I, 21 ; LS 62A ; SVF II, 875) Notre question trouvera par conséquent un premier éclaircissement à travers l’examen du concept de « destin ». Le détail de cette conception du destin permettra de se faire une idée générale du déterminisme stoïcien, qui sera ensuite affinée lorsque nous entrerons dans le débat. D’autre part, nous trouvons sous la plume d’Aulu-Gelle une citation de Chrysippe, qu’il oppose justement à la précédente : (…) Il dit, et ce sont ses propres termes : « C’est pourquoi les Pythagoriciens ont raison de dire ``apprend que les hommes ont choisi leurs propres troubles´´, entendant par là que le dommage qu’ils subissent est entre les mains de chacun, et que c’est en suivant leur impulsion, leur propre état Mémoire de philosophie Alaric Kohler 6 d’esprit et leur propre disposition qu’ils font fausse route et subissent du dommage. » (LS 62D 5 ; SVF II 1000) En effets, de nombreux adversaires philosophiques des Stoïciens utilisent dans leurs argumentations les incompatibilités qu’ils trouvent chez eux entre le destin et diverses thèses liées à la « liberté », notamment à l’égard de la responsabilité morale et des possibles. La position de Chrysippe nécessite pourtant le maintien de ces différents éléments, et c’est pourquoi sa tâche dans ce débat consiste souvent à défendre la possibilité de la coexistence de ces thèses. A cet endroit de notre examen, la question reste ouverte de savoir si les Stoïciens parviennent à conserver une certaine forme de liberté humaine tout en affirmant le destin. En effet, ils s’exposent justement à des critiques qui tentent de montrer que leur position est un déterminisme excluant toute forme de liberté humaine. Cicéron nous offre également son commentaire à ce propos : (…) Mais [Chrysippe] se rapproche davantage de ceux qui admettent des mouvements libérés de la nécessité ; pourtant, en usant de son langage propre, il tombe dans de telles difficultés qu’il confirme malgré lui la nécessité du destin. (Cicéron, Du Destin, 39) En respectant l’avertissement de Cicéron, il convient d’entrer dans les détails de la doctrine stoïcienne avec une attention particulière à leur langage propre, avant même de pouvoir définir avec précision le problème. Ainsi, c’est par l’analyse de quelques-unes des objections à la philosophie stoïcienne que je propose d’acquérir une compréhension précise du déterminisme induit par le destin stoïcien, et de son complément, à savoir la latitude laissée à l’homme. L L’ ’O OB BJ JE ET T D DE E M MO ON N E ET TU UD DE E N’ayant ni l’espace ni l’ambition de procéder à un examen systématique du déterminisme stoïcien dans ce travail, je me limiterai à l’examen d’une question plus précise selon une approche un peu particulière. Mémoire de philosophie Alaric Kohler 7 Ma démarche consiste à suivre le plus loin possible une critique anti- stoïcienne sur un point précis – à savoir la prédestination à la vertu – à travers les principaux problèmes qu’elle soulève, et en tentant de comprendre à chaque fois la position des Stoïciens. Le but de cette approche consiste à offrir au lecteur un regard sur la philosophie stoïcienne qui mette en évidence la cohérence – ou les contradictions – entre leurs thèses logiques, physiques et éthiques. Cela me permettra, à l’issue de ce travail, de relever quelques aspects du « compatibilisme » stoïcien qui se trouvent particulièrement liés à la systématicité de leur philosophie et aux liens étroits entre les diverses parties de leur vision du monde. Aux lecteurs désireux d’approfondir certaines problématiques avec systématicité et davantage de détails, je recommande notamment l’excellent travail de Suzanne Bobzien, sur lequel uploads/Philosophie/ mem-kohlera.pdf

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