1 ***N 62 2003 Argumenter pour convaincre se pratique couramment au lycée et da
1 ***N 62 2003 Argumenter pour convaincre se pratique couramment au lycée et dans la vie quotidienne. De nombreuses dérives guettent cependant cette activité : on parle alors de manipulation. Cette BT2 n'est ni une histoire, ni une recension des manipulations. Après avoir défini ses prin- cipaux supports, elle présente ses enjeux et ses domaines privilégiés. L'auteur s'intéresse en particulier à deux domaines de prédilection de la manipulation : il est courant en effet de manipuler l'autre en utilisant les ressorts de l'émotion. Il est aussi facile de manipuler le discours pour faire passer un message. C'est le moment où l'information dérape. L'auteur donne alors des pistes pour réagir, tant il est nécessaire en démocratie de déjouer les ruses de la manipulation. Mots clés (compatibles Motbis 3) information. rhétorique. argumentation . publicité. sectes. propagande 2 S O M M A I R E PREAMBULE p. 2 DEFINITION et DOMAINES PRIVILEGIES p. 5 Les supports L’enjeu Les domaines de prédilection de la manipulation Sectes Propagande Publicité Institutions MANIPULATION DES EMOTIONS p.11 Attachement à une personne Appel à la sexualité Stimulation de l’instinct grégaire Identification à une catégorie sociale Convivialité Haine de la différence Exploitation de la peur MANIPULATION DU DISCOURS les pièges de l’argumentation p.18 Ambiguïté Argument d’autorité Analogies Raisonnements binaires les dérapages de l’information Désinformation Tri, hiérarchisation Interprétation Surinformation les ruses de la rhétorique COMMENT RÉAGIR p.26 POUR EN SAVOIR PLUS - - - - - - - - - - - - - - Auteur: Jacques BRUNET avec l'aide du chantier BT2 Coordination du projet: Michel PILORGET Collaborateurs de l'auteur : Carole BAGGIO-THOMAS, Anne-Marie BEDET, Philippe TINGUELY, Claire VAPILLON, Jean-François VERT, Jeanne VIGOUROUX et leurs classes, Yvette AFCHAIN, Jean-Marie BOUTINOT, Marie- Thérèse BROISIN, Annie DHÉNIN, Claude DUMONT, Colette HOURTOLLE, Michel MULAT, Marie-France PUTHOD, Marie-Claire TRAVERSE. Coordination générale du chantier BT2 de l'Institut coopératif de l'École moderne : Claire VAPILLON. Photographies, dessins: Archives A.Dhénin p. 4, 12 - F. LE MENAHÈZE : p. 26 - DR p. 15, 23 Maquette A. DHÉNIN août 2007 3 PREAMBULE Convaincre autrui (un individu ou un groupe) consiste à susciter chez lui une opinion différente de celle qu’il avait, essayer de le faire changer d’avis, ou modifier un peu ses opinions, grâce à une argumentation bien menée. Au collège, au lycée, l’argumentation est un exercice courant : lorsqu’on aborde l’essai, l’explication de texte, la dissertation philosophique, l’exposé, etc. Il s’agit alors de pratiques un peu artificielles : le destina- taire est en général le professeur. Son évaluation porte en principe sur la manière d’argumenter et non sur les opinions défendues. Toutefois le dé- bat en classe, certains exercices oraux (exposés de courte durée) font intervenir un dialogue plus authentique avec un groupe : l’argumentation prend sa pleine signification. Dans la vie active elle intervient très souvent, à tous niveaux, en tous domaines (voir ses domai- nes de prédilection, p.[7]) lorsqu’il faut convaincre un employeur, vendre un produit, participer à un débat public, etc. Or il s’agit d’une activité complexe. Pour convain- cre quelqu’un, il faut argumenter de façon ob- jective, rationnelle. On devrait rester dans le do- maine intellectuel des idées et des arguments. Mais on s’aperçoit vite que cela ne suffit pas. Nous faisons, consciemment ou non, appel au sentiment, à l’affectivité, par notre ton, notre voix, nos gestes, notre physionomie. Nous es- sayons de séduire, de plaire. Dès son plus jeune âge lorsque l’enfant formule une demande à ses parents , il tient instinctivement un discours diffé- rent selon qu’il s’adresse à son père ou sa mère. Il découvre qu’une bonne colère ou qu’un large sourire sont parfois aussi efficace que de francs arguments, et il sait en jouer : il a découvert la manipulation ! ………………………………………………………………………………………………………………………………………….. Nous laisserons de côté la démonstration qui appartient au domaine de la science (mathématiques, physique …) Par la démonstration, il est possible d’arriver à une vérité contrôlable, universellement admise, fondée sur des expé- riences renouvelables par d’autres : pas de tricherie possible. Toutefois la recherche utilise le débat qui permet de confronter des hypothèses, et l’exposé scientifique fait souvent appel aux procédés de l’argumentation. Un ouvrage scientifique peut chercher à convaincre. Pour cela il prévoit les ob- jections possibles et les réponses. Il peut même chercher à séduire, par l’élégance et la clarté de son style, l ’habileté de sa présentation. Mais les bons vulgarisateurs scientifiques sont rares, ce qui est dommage, car cela faciliterait l’accès de la science au grand public. ………………………………………………………………………………………………………………………………………….. Les difficultés commencent dès qu’on passe au domaine des opinions et de leur discussion à l’oral ou à l’écrit. Elles appartiennent au domaine du vraisemblable, du probable. Elles sont subjectives, personnelles, mais suscep- tibles d’être argumentées, appuyées de preuves et d’exemples, contrairement aux croyances, non démontrables (par exemple une foi religieuse). Pour fuir la discussion, une esquive fréquente consiste à faire passer une opinion pour une croyance indémontrable. Par exemple : « des goûts et des couleurs on ne discute pas » : justement, on peut en discuter ! Le tableau ci-dessous résume en les schématisant la correspondance entre ces diverses activités men- tales et les domaines concernés : démontrer Science argumenter Opinion séduire, plaire Opinion manipuler Opinion Démonstration impossible Croyance 4 Le but de cette étude est d’attirer l’attention sur un certain nombre de dangers qui dénaturent très sou- vent l’argumentation, et que nous englobons sous le terme de « manipulation », c’est-à-dire toute tentative pour imposer à autrui une opinion sans qu’il s’en aperçoive. - nos émotions, nos passions, notre affectivité interviennent aux dépens des arguments, ce que nous verrons dans le chapitre la manipulation des émotions p. [12] - l’argumentation elle-même n’est pas toujours très rigoureuse : voir les pièges de l’argumentation, p.[18] - notre information est souvent suspecte (désinformation, surinformation, censure …) ce sont les dérapages de l’information , p. [ 20] - des procédés de langage peuvent nous tromper. voir les ruses de la rhétorique, p. [23] Bien que les manipulations soient très répandues de nos jours, nous voudrions montrer qu’il est tout à fait possible et très important de les déjouer : comment réagir ( p.[26]). Mais pour cela, il est néces- saire de les reconnaître et d’en repérer les ressorts cachés et les nombreux procédés. ………………………………………………………………………………………………………………………………………….. Les anciens avaient bien perçu ce qui était en jeu. Un grand débat oppose schématiquement deux tendances : - Pour les uns, il faut, pour convaincre, faire appel aux passions, aux sentiments, aux procédés de style. - Pour les autres 1, il faut rechercher la clarté, la pureté, se méfier des effets poétiques. Pour Socrate 2, la rigueur et le discours vrai doivent l’emporter. La rhétorique est condamnable. - Aristote tente de concilier les deux tendances : il faut plaire assurément, mais au service de l’argumentation. Le problème est repris, entre autres, par Pascal (1623-1662). C’est un écrivain mais aussi un savant. En tant que sa- vant pratiquant la méthode expérimentale, il aimerait bien qu’on se limite à des arguments rationnels. Mais il se rend compte qu’il faut aussi agréer par l’art d’écrire : « Tout ce qu’il y a d’hommes sont presque toujours emportés à croire non pas par preuve, mais par l’agrément »3. Il y a des « règles aussi sûres pour plaire que pour démontrer », mais des règles infiniment complexes, car « le coeur a ses raisons, que la raison ne connaît point ».4 C’est ce qu’on a appelé la « rhétorique de Pascal ». Elle ne recule pas devant des procédés d’insinuation. ………………………………………………………………………………………………………………………………………….. LA GUERRE EST FINIE ! titre le 12 novembre 1918 « La Métropole », journal belge « paraissant provisoirement à Londres ». Sous le gros titre, l’article ci-contre : le texte d’entrée adopte le style du télégramme ; mais d’abord, le dessin métaphorique est plein de passions. (l’aigle de son blason symbolise de l’Allemagne) 1 Isocrate (orateur athénien, 436-338) dans son Discours contre les sophistes 2 dans le Gorgias, dialogue de Platon. Aristote (384-322), disciple de Platon 3 Pascal, Réflexions sur la géométrie en général : de l’art de persuader. 4 Exemple célèbre d’antanaclase, figure de rhétorique qui joue sur deux sens un peu différents du même mot : raison, faculté de démontrer et raisons, motifs de croire. 5 DEFINITIONS et DOMAINES PRIVILEGIES Qu’est-ce donc qu’une manipulation ? Le 9 avril 2003, le déboulonnage de la statue du dictateur Saddam Hussein a fait le tour des télé- visions du monde entier. En réalité les Irakiens étaient à peine une vingtaine autour de la statue. Il y avait davantage de journalistes des médias internationaux, leur hôtel étant tout proche. Evé- nement spontané ? Ou mise en scène par l’armée américaine ? Sur le moment on a pu hé- siter. Or des témoignages récents et convergents nous apprennent qu’effectivement une centaine d’Irakiens ont été rameutés par haut- parleurs, « juste assez pour des images de télé- vision »5. Voilà qui arrangeait bien le gouverne- ment des U.S.A. Il fallait un message fort : don- ner la « preuve » de l’enthousiasme des Irakiens libérés. Sa diffusion mondiale l’a transformé en un événement capital uploads/Philosophie/ n62-manipuler-pdf.pdf
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- Publié le Dec 11, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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