Orthodoxie philosophique et Inquisition romaine aux 16e-17e si` ecles. Francesc
Orthodoxie philosophique et Inquisition romaine aux 16e-17e si` ecles. Francesco Beretta To cite this version: Francesco Beretta. Orthodoxie philosophique et Inquisition romaine aux 16e-17e si` ecles.. His- toria philosophica, Istituti editoriali e poligrafici internazionali, 2005, 3, pp.67-96. <halshs- 00007791> HAL Id: halshs-00007791 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00007791 Submitted on 13 Jan 2006 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. 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Cette conceptualité est marquée, dans sa genèse, par les affrontements idéologiques propres à une autre époque, c'est-à-dire au combat, dès le milieu du 19e siècle, visant la laïcisation de la société européenne. On sait que, au niveau des représentations, ce combat s’est concentré sur de grandes figures symboliques telles Galilée ou Giordano Bruno, la ‘science’ ayant à remplacer la ‘foi’ pour fonder une nouvelle société. L’inadéquation de ces catégories historiographiques concerne en particulier le concept d’« Eglise », en fait trop imprécis, surtout dans une dimension de longue durée, et qui ne fait que reprendre —en l’employant comme catégorie d’analyse historique— une notion proprement métahistorique, développée par les théologiens * Les recherches d’archives nécessaires à la rédaction de ce travail ont été financées par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, dans le cadre d’un projet d’édition des actes du procès de Galilée. 2 qui postulent une continuité substantielle de l’orthodoxie ecclésiastique depuis les origines. Je crois qu’on aurait intérêt à remplacer toujours « Eglise » par le terme concret qui est, chaque fois, visé —le pape, la hiérarchie ecclésiastique, les théologiens— et à comprendre l’orthodoxie comme processus, comme produit toujours pluriel et en évolution permanente d’affrontements entre les représentants de conceptions différentes.1 Le sous–titre « Essai d’interprétation » souligne que je me limite à proposer une contribution au renouvellement de l’outillage conceptuel, tout en synthétisant les acquis de l’historiographie et en présentant quelques cas, de la fin du 15e siècle au procès de Galilée, qui paraissent comme particulièrement significatifs.2 Les procès des philosophes seront analysés en tant qu’expression du fonctionnement d’un espace savant dans lequel se situent des acteurs qui se caractérisent par différents types d’outillage intellectuel et qui sont en concurrence, voire en conflit entre eux. Cet espace intellectuel se configure en champs disciplinaires distincts mais qui présentent des intersections —pour ce qui est de notre sujet la philosophie naturelle et la théologie— et il se structure autour d’institutions de production et de régulation du savoir. 3 Au cœur de l’enquête se trouve la question de la production d’orthodoxie en matière de philosophie naturelle. Deux éléments caractérisent l’espace intellectuel italien aux 16e-17e siècles: premièrement, la présence d’une pluralité de positions, d’un conflit entre différentes conceptions de l’orthodoxie philosophique : aristotélisme séculier des Universités ; aristotélisme christianisé des Ordres mendiants, puis des jésuites ; platonisme et philosophies naturelles alternatives, plus ou moins christianisées selon la situation des acteurs dans l’espace intellectuel. Deuxièmement, la mise en place, dès la deuxième moitié du 16e siècle, de l’Inquisition romaine, institution judiciaire qui dispose d’un pouvoir de coercition important, dont ses membres profiteront pour imposer officiellement leur propre conception de l’orthodoxie philosophique. La condamnation de Galilée à abjurer l’héliocentrisme représente l’une des expressions de ce phénomène et elle soulève une question qui sera le point de départ de notre enquête : pourquoi le jésuite Melchior Inchofer applique les dispositions du Concile de Latran V (1513) —qui concernent les tenants de l’aristotélisme séculier, ceux-là mêmes qui seront un siècle plus tard des adversaires farouches de Galilée— à la nouvelle astronomie héliocentrique ? 1 S. ELM/E. REBILLARD/A. ROMANO (éds), Orthodoxie, Christianisme, Histoire, Rome, Ecole française de Rome, 2000. 2 Pour cette raison, les références bibliographiques seront limitées au maximum. 3 Je m’inspire de l’analyse du champ scientifique proposée par P. BOURDIEU, Science de la science et réflexivité, Paris, Éditions Raisons d’agir, 2001, pp. 67-165. 3 La naissance du champ philosophique au 13e siècle : trois formes d’orthodoxie Avant d’analyser la configuration de l’espace intellectuel italien au temps de Latran V, dans lequel s’inscrit cette importante production d’une législation pénale en matière de philosophie naturelle, il faut remonter au 13e siècle, car c’est à l’époque de la réception de l’œuvre d’Aristote dans l’Occident latin que les théologiens ont développé la critériologie promulguée officiellement en 1513. Par critériologie, j’entends une réflexion sur la validité de la connaissance dont le but est de définir le degré de certitude des assertions produites par les disciplines scientifiques afin d’établir une hiérarchie entre elles. La doctrine de Thomas d’Aquin, qui exercera une grande influence par la suite, illustre parfaitement les deux principes essentiels de la critériologie scolastique. Premièrement, le théologien dominicain considère que tout le contenu de l’Écriture appartient à la foi, même les parties ne concernent pas directement le salut: « se rattache à l’objet de la [foi] par accident et de façon secondaire tout ce qu’on trouve dans la Sainte Écriture que Dieu nous a donnée: par exemple qu’Abraham eut deux fils ».4 Dieu, Vérité première, est l’auteur de l’Écriture et garantit sa véracité qui est donc absolue.5 Deuxièmement, pour Thomas d’Aquin, la théologie est une science, au sens aristotélicien, qui fonde ses démonstrations sur les principes révélés par Dieu. En vertu de la véracité de la Révélation biblique, son degré de certitude est supérieur à celui des disciplines fondées sur le savoir humain. Cette conception de la critériologie fonde une hiérarchie des sciences et attribue à la théologie l’aptitude à juger des conclusions des autres disciplines : «tout ce qui, dans ces sciences, se trouverait contredire la vérité exprimée par la science sacrée doit être condamné comme faux».6 De plus, selon le théologien dominicain, les thèses des philosophes qui contredisent la foi ne sont pas seulement fausses, elles sont indémontrables : « En effet, puisque la foi s’appuie sur la vérité infaillible, et qu’il est impossible de démontrer le contraire du vrai, il est manifeste que les arguments qu’on apporte contre la foi ne sont pas de vraies démonstrations, mais des arguments réfutables »7. 4 THOMAS D’AQUIN, Summa theologiæ IIa IIæ, q.2, a.5. Pour la traduction française, nous suivons, avec quelques modifications, THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, 4 t., Cerf, Paris 1984- 1986. 5 Ibid., Ia, q.1, a.10; IIa IIæ, q.1, a.1 et a.4. Cf. E. MANGENOT, Inspiration de l’Écriture, dans Dictionnaire de théologie catholique, t. 7, Paris 1922, coll. 2068-2266: 2219-2221. 6 Ibid., Ia, q.1, a.2 / 5-7. Cf. M.-D. CHENU, La théologie comme science au 13e siècle, Paris, Vrin, 3e éd. revue et augm. 1969. 7 Ia, q.1, a.8. Cf. THOMAS D’AQUIN, Summa contra Gentiles, I, 7 et Somme contre les Gentils. Livre I. Dieu, C. MICHON (éd.), Flammarion, Paris 1999, pp. 37-45. 4 L’originalité de Thomas d’Aquin réside dans le fait d’avoir tenté de sauvegarder l’idéal augustinien de l’unité du savoir, qui avait caractérisé jusque-là le travail théologique, tout en lui appliquant la nouvelle notion de science produite par la révolution intellectuelle qui se manifeste dans l’Occident latin au cours du 13e siècle, avec la réception de la philosophie naturelle aristotélicienne.8 Pour ce qui est de la méthode, le nouveau savoir scientifique se structure autour de deux éléments essentiels : le développement d’un outillage logique très poussé qui est le produit de l’engouement pour la dialectique que connaît l’Occident latin depuis le début du 12e siècle ; la redécouverte, grâce au mouvement de traductions qui se déploie depuis le milieu du 12e siècle, d’un corpus de textes hérités de l’Antiquité qui est exploité pour obtenir de nouvelles connaissances sur le monde, la nature, l’homme. Au milieu du 13e siècle, après des résistances et des atermoiements, les œuvres d’Aristote deviennent les textes de base de l’enseignement philosophique, ce qui est officialisé, par exemple, dans les statuts de la Faculté des arts de Paris, en 1255. On assiste ainsi à l’émergence d’une nouvelle orthodoxie du paradigme scientifique. Cette orthodoxie n’est pas imposée de uploads/Philosophie/ orthodoxie-philosophique-et-inquisition-romaine-aux-16e-17e-si-x27-ecles.pdf
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- Publié le Apv 25, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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