Trois entretiens sur la guerre, la morale et la religion Vladimir Soloviev Trad

Trois entretiens sur la guerre, la morale et la religion Vladimir Soloviev Traduits du russe par Eugène Tavernier (1916) 1900 * Introduction dEugène Tavernier * Premier entretien : sur la guerre * Premier entretien : sur la morale * Premier entretien : sur la religion Eugène Tavernier Introduction aux Trois entretiens de Vladimir Soloviev ? Premier entretien ? [modifier] LHOMME Vladimir Soloviev est un des noms illustres de la Russie contemporaine. Il est l e plus grand philosophe de ce pays. Mort en 1900, après une carrière éclatante mais co urte (ayant vécu moins de cinquante ans), il a laissé une oeuvre philosophique, reli gieuse et littéraire de première importance : dix volumes compacts dont on vient de publier une nouvelle édition densemble ; quatre volumes de correspondance ; un recu eil de poésies ; une traduction de Platon. Très célèbre de son vivant, il continue de po sséder un prestige et dexercer une influence qui ne cessent de saccroître. La Russie s tudieuse et la Russie savante le lisent et ladmirent. Là-bas, dans les centres cult ivés, se rencontrent des associations Soloviev, des cercles Soloviev, des comités So loviev. Il inspire des analystes et des biographes très nombreux. Les Russes qui na dmettent pas sa doctrine sont, comme les autres, fiers de lui et heureux de proc lamer sa gloire, qui sest emparée de lavenir. Non seulement on le célèbre, mais on laime. Tous les hommes qui lont connu gardent de lui un souvenir incomparable. Aujourdhui où, dans les exploits dune guerre européenne, Russes et Français mêlent leurs âm s et leur sang, cest, plus que jamais, un devoir et une joie de rendre hommage à So loviev, manifestation magnifique du génie de sa noble race. Il aimait beaucoup notre pays. Il en parlait et il en écrivait la langue à merveille . Même, il a, voici plus de vingt années, publié chez nous un important ouvrage en fra nçais (la Russie et lÉglise universelle), qui touche à plusieurs des sujets traités dans le livre russe dont je donne la traduction[1]. Et cependant les deux livres sont très différents, du moins par la forme. Leur comparaison met en évidence létonnante variété des dons que possédait Soloviev. Philosophe et apôtre, il était encore, comme écrivain, un artiste. Les Trois Entretiens, imprégnés de philosophie et de théologie, ont lattrai t dun exercice littéraire fort élégant, très dégagé et aussi, dans le meilleur sens du mot, ondain. Ils donnent lidée la plus exacte de limprévu et du charme que présentait la conv ersation du grand philosophe russe. Jai fait connaissance avec Vladimir Soloviev pendant son deuxième séjour à Paris, qui d ura du mois de mai au mois doctobre 1888. Le 25 mai de cette année-là, javais eu la bo nne fortune dêtre invité à une réunion assez originale, dans les salons de la princesse W ittgenstein, née Bariatynski. Soixante personnes environ, le plus grand nombre fourni par la société du faubourg S aint-Germain, un groupe de Russes a peu près naturalisés Parisiens, quelques Religie ux dorigine étrangère, trois ou quatre publicistes de notoriété diverse, écoutaient une con férence que lisait en français un écrivain récemment arrivé de Petrograd. Il exposait lIdée usse, sujet familier au monde littéraire et politique de là-bas ; plus ou moins conn u mais assez négligé par les Russes qui habitent ou qui fréquentent notre capitale ; p resque entièrement ignoré chez nous. Qui était ce conférencier ? Ses compatriotes eux-même s, sauf quelques-uns, savaient seulement quil était le fils dun des meilleurs histor iens de la Russie ; quil avait occupé très jeune une chaire à lUniversité de Moscou ; que, dans des livres et dans des revues, il traitait principalement les questions ph ilosophiques et religieuses ; quil lui était arrivé maintes fois de soutenir des polémi ques très retentissantes ; que, sil avait des adversaires de toute sorte, il possédai t, en revanche, une multitude damis et dadmirateurs enthousiastes ; quil passait po ur aimer les théories paradoxales ; et que, dallures singulières, il menait une exist ence plus ou moins nomade. Les Français le regardaient et lécoutaient avec curiosité. Très grand, dune maigreur et du e minceur extrêmes, le port droit, lattitude recueillie, il donnait tout dabord limpr ession dun personnage qui naurait eu quune demi-réalité physique. Mais, sous la longue chevelure grisonnante qui encadrait son front large et harmonieux, sépanouissait ra pidement une puissance pénétrante. Ses yeux de myope, immenses et magnifiques, proje taient des rayons. La voix, étendue et pleine, était singulièrement nuancée. Gutturales, éclatantes, douces et même caressantes, toutes les notes se succédaient ; ou bien ell es composaient un seul accord, ainsi que dans les cloches dun métal artistique et s avant où les sonorités les plus graves sont traversées de vibrations argentines. Des m anières humbles et presque timides, avec un profond accent dénergie audacieuse et obs tinée. Tel apparaissait Vladimir Soloviev. Que venait-il nous dire ? et quel intérêt spécial pouvait présenter cette idée russe ? Ava it-elle donc plus dimportance ou plus de précision que lidée française, anglaise, allema nde ou italienne ? Le discours, bien quil ne fût pas long, produisit une impression de puissance. Bientôt lauditoire sétait rendu compte que le conférencier interprétait des sentiments qui touchaient à la nature propre dun peuple et qui résumaient toute une crise intellectuelle et morale. Mais on ne soupçonnait guère en quoi la doctrine quil exposait avec tant délévation et déloquence se rapportait à nos intérêts et à nos besoins. On comprendrait mieux chez nous, maintenant. Ou plutôt, on comprendra mieux. Car le nseignement que nous apportait ce philosophe russe est devenu la leçon qui ressort de la crise formidable où, depuis deux années, le sang français coule à flots, et où se déc hire, pour se reconstituer, lâme de la France. Nous avons vu les aberrations et les monstruosités que peut engendrer une idée nationale développée sans mesure et nourrie du ne exaltation aveugle. Lidée allemande nous a montré de quelle folie furieuse peut être dévoré un peuple obsédé par lamour de soi-même. Cest ainsi quest apparue au milieu de la ilisation lidée allemande, qui prétendait être la civilisation supérieure et totale. Un peuple peut donc, jusquà laveuglement et jusquà la frénésie, se tromper sur ses droits, sur ses forces, sur sa destinée. Le patriotisme, qui, éclairé et généreux, est si beau et si noble, subit des déviations et des déformations prodigieuses quand il se laisse a ller à lidolâtrie de soi-même. Dans un peuple, lamour-propre démesuré peut exercer les même avages que dans un individu et le rendre, comme un particulier, injuste, déraisonn able, fou furieux. Il y a aussi dautres égarements, dans le sens inverse. Un peuple peut prendre en mépr is et en horreur les sentiments et les traditions qui ont fait sa force. Nous co mmencions à être entraînés par cet aveuglement, lorsque Soloviev vint nous parler des de voirs dune nation envers autrui et envers elle-même. Alors, on voyait sépanouir dans n otre politique lerreur fondamentale quune fausse philosophie, une fausse histoire et une fausse littérature cultivaient chez nous depuis un siècle. Beaucoup de Français sétaient mis à détester le passé de leur pays. Sous prétexte de mieux aimer la France, ils voulaient forger une France qui, par lâme, par les institutions et par les moeurs, fût tout le contraire de ce quelle avait été si longtemps. Persuadés quils avaient pour t oujours mis la main sur la vérité historique, philosophique et sociale, ils voulaien t encore introduire dans les lois cette vérité prétendue ; et ils appelaient la politi que à leur aide. La Russie, elle, subissait à la fois les deux emportements opposés. Il y avait chez elle, surtout depuis un demi-siècle, beaucoup de penseurs, de savants, de professe urs et décrivains qui travaillaient à la détacher de tout ce qui était russe et à la faire rompre avec sa tradition politique et religieuse. Ils prêchaient les sophismes fab riqués en Allemagne et en France. Ces hommes se glorifiaient dêtre des Occidentaux. E n même temps, parmi les fidèles de la tradition russe, un très grand nombre représentaie nt la Russie comme une puissance à part, ayant en elle-même toute la morale, toute l a civilisation, toute la religion, ne devant rien à personne et ne recevant rien d e personne. Ceux-là, cétaient les Slavophiles. Soloviev combattait les exagérations et les aberrations des uns et des autres. Aux incrédules qui prêchent la morale et le patriotisme, il rappelait que les droits et les devoirs des hommes sont réglés par la loi divine et que la civilisation chrétienn e ne peut subsister sans la doctrine chrétienne. Aux croyants qui senferment dans u ne infatuation exaltée, il montrait lÉglise russe soumise à lautorité politique nationale et isolée du centre de la vie religieuse universelle. Cette attitude déconcertait les libres penseurs et scandalisait les croyants. Les philosophes, les savants et les autres occidentaux reprochaient à Soloviev dêtre trop mystique ; les croyants, dêtre trop philosophe et trop occidental. Et tous ses adv uploads/Philosophie/ soloviev-trois-entretiens.pdf

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