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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Philippe Gagnon Laval théologique et philosophique, vol. 58, n° 3, 2002, p. 457-487. Pour citer la version numérique de cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/000628ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/documentation/eruditPolitiqueUtilisation.pdf Document téléchargé le 5 août 2009 « Ce que le théisme demande à la science » Laval théologique et philosophique, 58, 3 (octobre 2002) : 457-487 457 CE QUE LE THÉISME DEMANDE À LA SCIENCE Philippe Gagnon Faculté de théologie, d’éthique et de philosophie Université de Sherbrooke RÉSUMÉ : L’attention aux niveaux d’organisation conduit à douter du caractère aléatoire de l’ensemble des régulations cosmologiques. La connaissance scientifique semble, malgré tout, apte à faire ressortir l’énigme posée par les histoires singulières qui ont tissé la trame du monde. La conscience religieuse d’une destinée personnelle gagne à être analogiquement rapprochée du sort de l’univers où elle s’enracine. ABSTRACT : Close attention to levels of organization leads one to doubt the random character of the regulations of the cosmos as a whole. Scientific knowledge seems able, after all, to bring into focus the enigma of the individual histories that have shaped the world. Religious consciousness of a personal destiny should be analogically linked to the destiny of the universe in which it is rooted. ______________________ « In jeder Zeugung spiegelt sich das All ». Ernst Jünger I. L’ÉNONCÉ SÉCULAIRE ET MINIMAL D’UNE POSITION THÉISTE e théisme, en sa version chrétienne, soutient qu’un être distinct de l’univers physique est responsable ultimement de son existence et qu’il a voulu y réaliser certaines fins déterminées dans un processus temporel. Il nous apprend de plus que nous sommes situés en une étape d’une création en train de se poursuivre1. Le temps étant pour ainsi dire rivé à notre corporéité elle-même, qui est assemblage et désas- semblage incessant d’éléments plus simples lui servant de matériaux unifiés par une structure, de combustible pour leurs opérations et de nourriture pour emmagasiner de 1. Comme on le voit, nous admettrons dans cette étude les attributs du concept de Dieu tel qu’il peut se déga- ger du monothéisme judéo-chrétien, que nous pourrions cerner rapidement comme suit en nous aidant de K.E. YANDELL, Philosophy of Religion, Londres, New York, Routledge, 1999, p. 89 : (1) le monde n’a pas toujours existé (soit qu’il ait été créé dans le temps ou que le temps a été créé avec lui), (2) Dieu opère par l’exercice puissant d’une Providence, (3) le monde existe parce que Dieu le veut, (4) que le monde existe n’est pas nécessairement vrai (il est faux qu’il est impossible pour le monde de ne pas exister). L PHILIPPE GAGNON 458 l’énergie, rend très difficile à notre pensée l’accès aux intentions d’un être qui possé- derait la connaissance tota simul de ce qui est, de ce qui a été et de ce qui sera. On pourrait être tenté de nier ces faits en quelque sorte « axiomatiques » en fai- sant valoir qu’il n’est pas sensé de tenir qu’un être divin et cause de soi puisse atten- dre la venue au jour de quoi que ce soit en enjoignant aux êtres conscients que nous sommes de ratifier un quelconque dessein qui leur aurait été proposé. Si Dieu est, et que nous pouvons voir et participer en lui à l’essence de tout ce qui nous est conce- vable, c’est qu’alors le temps et le devenir n’ont de réalité qu’illusoire. Sommes-nous dès lors en présence d’une objection, certes poussée à la limite, mais dans un effort d’échapper à la première position extrême tout juste exposée, elle-même intenable ? Les propositions comme celle de Spinoza, Bradley ou McTaggart sont en réalité des manières de sauver l’idéalisme absolu en le prémunissant contre les effets jugés inconséquents du dogme de la création, qui n’est pas qu’un dogme mais également une thèse capable de nourrir la méditation du philosophe, même s’il est douteux qu’elle aurait pu être historiquement dérivée par lui de l’expérience. En fait, la position biblique, pour peu qu’elle nous serve à composer un concept cohérent de Dieu, n’exige ni l’immobilisme absolu du dieu purement conceptuel de Parménide, ni l’incompréhensible dynamisme immanent au monde et émergeant progressivement de lui tout en étant limité par ses ressources et sa finitude, à la manière de S. Alexander ou de A.N. Whitehead2. Si Dieu existe et qu’il est distinct de nous, il devra nous être pour une part connaissable par des actes qu’il aurait posés, des effets dont il serait responsable. Il faut en dégager une certaine volonté à l’origine de l’ordonnancement des choses, dont on peut penser que l’Auteur du monde a décidé de les placer dans un certain ordre de succession temporelle et qu’il reste en mesure de leur imprimer une tendance. Lorsque par la suite nous portons attention au développement des sciences expé- rimentales et à leur type très particulier d’intelligibilité, nous devons prendre garde de ne pas sombrer dans une équivoque. Parler d’une tendance imprimée aux choses c’est faire intervenir un vocabulaire et une conceptualité que l’esprit scientifique ne recon- naîtrait pas facilement comme siens. On pourra remarquer que la philosophie chré- tienne d’un Thomas d’Aquin a tenté le tour de force de réunir le premier moteur de la philosophie d’Aristote et l’idée d’un Créateur provident de l’univers. Du premier, on notera qu’il meut toutes choses en les attirant à lui comme à la perfection générale d’un élan propre à l’espèce et à ses membres qui courent en quelque sorte après l’actualisation complète de tout ce qui est implicite dans leur essence3, alors que le Dieu Père de la révélation biblique voit à toutes choses comprises dans leur singula- 2. Cf. B.D. BRETTSCHNEIDER, The Philosophy of Samuel Alexander, New York, Humanities Press, 1964, p. 151-158 ; D. BASINGER, Divine Power in Process Theism, New York, State University of New York Press, 1988, p. 71-76. 3. Pour Aristote il n’y aurait aucun sens à parler d’une éternité de l’individuel, d’une élection positivement voulue d’un sujet en vertu même de son caractère irremplaçable. Seule l’espèce participe à l’éternité, comme la contrepartie intelligible de l’effort des êtres du monde sublunaire, trop immergés dans la poten- tialité pour actuer leur forme. Ils courent après l’éternité mais ne la connaîtront jamais. Cf. le commentaire de J. TRICOT, dans ARISTOTE, La Métaphysique, t. II, l. Λ, 7, nouvelle éd., Paris, Vrin, 1991, p. 672-673. CE QUE LE THÉISME DEMANDE À LA SCIENCE 459 rité, au sens où il n’y a pas une fleur des champs qui pousse en dehors de son concours, pas un cheveu de notre tête qui ne tombe sans qu’il le sache. Il faut cependant s’empresser de remarquer à quel point la tendance motrice de tout être peut n’être pas comprise correctement lorsque nous projetons sur cette thèse du primum movens les idées relatives à un quelconque horloger céleste mettant en branle la poussée initiale d’autant de mécanismes liés par des actions de proche en proche. Cette conceptualité relève davantage des écoles déistes que de la philosophie christianisée d’Aristote. Nous aurions tort d’oublier que les grands scolastiques ont vu dans le principe de « mouvement-changement » tout autre chose que la simple action locale mécanique retenue par les successeurs de Galilée suite aux premiers succès de la mécanique en Occident. Il était destiné à inclure avant tout un effort d’élucidation de la dépendance et de la ressemblance de l’effet à sa cause. Le chan- gement aristotélicien (µεταβολή), s’il désigne à la fois la genèse (γένεσις) et le mouvement (κινήσις), s’est vu constitué en concept avant tout dans un effort d’explicitation de la première. La genèse d’une forme à partir d’une autre forme pose des problèmes conceptuels encore plus grands à la science que les objections que nous pourrions élever, au nom des lois de la physique, à l’endroit de l’idée d’un appel inhérent aux créatures à retrouver leur véritable demeure dans une union finale et ultime avec le Principe qui les a lancées dans cette trajectoire qu’est leur existence empirique. La cosmologie d’Aristote est sans conteste périmée si l’on pense à ses emboîte- ments de sphères célestes, mais il est parfois bon de se méfier de ce qui semble périmé. Derrière un complexus de faits relationnels, ce ne seront toujours que certains aspects déterminés qui seront déclarés incompatibles avec ce que l’observation ultérieure nous aura montré. Ainsi devra-t-il y avoir un contenu empirique associé au fait que les êtres organisés du monde environnant sont l’œuvre d’une pensée où s’abouchent les commandes déclenchantes de leur organisation et la tendance qui les meut. Certes, uploads/Philosophie/ p-gagnon-ce-que-le-theisme-demande-a-la-science.pdf

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