ONTOLOGIE DE LIMAGE ET PHENOMENOLOGIE DE LA VERITE (à la lumière de H. U. von B

ONTOLOGIE DE LIMAGE ET PHENOMENOLOGIE DE LA VERITE (à la lumière de H. U. von Balthasar) Emmanuel GABELLIERI Faculté de Philosophie, Université Catholique de Lyon « Ce ri est pas le Christ mais V univers entier qui disparaît s'il η* y a plus circonscription ni image ». Nicéphore le patriarche (Antirrhétiques, I, 244 D) L'oeuvre du théologien bâlois Hans Urs von Balthasar a longtemps été vue à partir de ce qui était jugé comme son auteur l'a toujours déclaré, mais sans que l'on puisse voir au départ toute la portée de cette affirmation, celle-ci, comme Esthétique théologique* n'était que la première partie d'ime trilogie poursuivie par une 1 Constituée par les sept volumes de Herrlichkeit. Eine Theologische Ästhetik, Einsiedeln, Johannes Verlag, 1961 -1969 ; trad. fr. La Gloire et la Croix ( 8 vol.), Paris, Aubier, 1965-1983, (Rééd. DDB, 1986-1990). ThPhLy 1996 1-1, p. 21 - 64 21 Dossier Théodramatique1 et par une Théologique3 dont l'édition française est désormais en voie d'achèvement. Ainsi, comme le manifeste clairement la longue « note sur l'ensemble de l'oeuvre » qui introduit le premier volume de La Théologique4, c'est l'ensemble des seize volumes de la trilogie qui doit être considéré dans son unité comme l'oeuvre majeure de Balthasar. Or, le principe de cette unité étant le choix d'un mode d'exposition théologique selon la complémentarité des trois transcendentaux majeurs que sont le beau le bien et le vrai, ceci doit désormais permettre de réapprécier le statut de VEsthétique initiale. Celle-ci n'avait en effet nullement pour rôle de fonder un « esthétisme ». Le choix de commencer par le beau se justifiait avant tout par le souci de « réapprendre à voir » à un homme moderne marqué par le positivisme et le scepticisme5 , mais il ne signifiait nullement de préférer en soi le voir de l'esthétique à l'ouïr de la foi ou au penser de la raison. Sans doute serait-il même insuffisant de dire que chez l'auteur de La Gloire 2 Theodramatik (5 vol.), Einsiedeln, Johannes Verlag, 1973-1983 ; trad. fr. La Dramatique divine, Culture et Vérité, Namur, 1984- 1992. 3 Theologik (3 vol.), Johannes Verlag, Einsiedeln, 1985-1987 ; trad, française La Théologique, I. Vérité du monde, Culture et Vérité, Namur, 1994. Le deuxième volume (IL Vérité de Dieu) est annoncé pour fin 1995, le troisième (III. L'Esprit de Vérité) pour 1996. La Théologique, I, Vérité du monde, p. 5-20. « Le point de départ sous le signe de la "Gloire" peut être comparé à ce qu'étaient l'apologétique et la théologie fondamentale d'autrefois. Π fallait que l'homme moderne du positivisme athée, devenu aveugle non seulement à la théologie, mais aussi en face de la philosophie, soit rééduqué à "voir"» (Théologique I, p. 18). 22 Ontologie de l'image et phénoménologie de la vérité et la Croix ces trois dimensions s'éclairent et se complètent Time par l'autre : elles se compénètrent en fait à partir d'une même structure de l'être et de la révélation , et c'est ce que montre de manière privilégiée, pensons- nous, le premier tome de La Théologique, auquel on va s'intéresser dans cet article. Il ne s'agit pourtant pas ici d'exposer la théologie même de Balthasar, mais de s'intéresser à un ouvrage qui est peut-être son seul ouvrage proprement philoso- phique. De plus, au sein de ce volume, l'étude qui suit va d'abord se proposer d'isoler ce qui est dit de l'image, et plus particulièrement de la relation entre image et vérité qui est l'objet de ce numéro. Un tel choix n'est pourtant pas innocent et ne répond pas seulement à un besoin thématique. D'ime part en effet, le choix de rééditer Vérité du monde comme première partie de La Théologique, plus de quarante ans après sa première publication7, est Les titres donnés aux trois parties de la trilogie pourraient laisser penser à une progression d'ensemble qui irait d'une vision centrée sur les structures de la Révélation et de « l'économie » divine Q!Esthétique et la Dramatique) à une vision tournée davantage vers le mystère même de la Trinité ad intra (la Théologique). On doit pourtant remarquer que le premier volume de Theologik, auquel on va s'intéresser ici concerne « la vérité du monde »; de même que l'Esthétique et la Dramatique exposent la beauté et l'agir divins à la fois sur le plan de la création et de la Révélation. C'est donc bien la compénétration des transcendentaux (cf. la manière dont elle est exposée dans l'introduction de Théologique 1, p. 27-28) qui est avant tout la structure majeure de la Trilogie, chacune de ses trois parties exposant sous son accent propre le Dieu créateur, rédempteur et trinitaire. Cet ouvrage d'abord publié en 1947 (Wahreit der Welt, Einsielden, Benziger, 1947 ; trad. fr. Phénoménologie de la Vérité, 23 Dossier significatif d'une continuité d'inspiration telle qu'il apparaîtra que l'analyse balthasarienne de l'image dévoile un principe d'intelligibilité de toute sa pensée, que l'on pourrait appeler la structure expressive de l'être. Mais d'autre part, après avoir indiqué l'enjeu de cette analyse pour l'ensemble de cette oeuvre, on voudrait montrer combien celle-ci peut éclairer les alternatives et les difficultés auxquelles la pensée actuelle de l'image se trouve confrontée. Ce travail se déploiera donc en deux temps. Proposant d'abord une lecture de Vérité du monde, il cherchera ensuite, en confrontant la pensée de son auteur à quelques-unes des réflexions contemporaines sur l'image, à en suggérer la profondeur et la capacité d'intégration critique. I- Vintage comme expression de la vérité de l'être Nous irons d'emblée au troisième chapitre de Vérité du monde, intitulé « La vérité comme mystère » puisque c'est là que se trouve interrogé, (dans la première partie de ce chapitre), le « monde des images ». Cette situation peut d'ailleurs surprendre car l'image n'est-elle pas par La vérité du monde, Paris, Beauchesne, 1952) sera ensuite jugé par son auteur suffisament élaboré pour devenir le premier volume de cette dernière partie de la Trilogie. La Note sur Vensemble de V oeuvre présente ainsi cette intégration : « Déjà à l'époque, ce volume se présentait expressément comme une "première partie" qui devait se poursuivre dans une recherche sur "la vérité de Dieu". Cette seconde partie ne fut jamais écrite, pour des raisons personnelles dépendant de circonstances extérieures. On la livre maintenant après bien des années : elle servira finalement de conclusion à la Trilogie entière ». {La Théologique. I Vérité du monde, p. 8). 24 Ontologie de l'image et phénoménologie de la vérité définition absence de mystère, objet étalé d'un voir excluant l'invisible ? Comment pourrait-elle être le lieu même du mystère ? Vanité de Vintage ? C'est bien par ce sentiment de vacuité apparente que commence l'analyse8. La distinction que nous faisons spontanément entre une chose et son image ne nous invite t-elle pas à penser que « les images offrent trompeusement ce qu'elles ne sont pas », en faisant miroiter un monde qu'elles ne « contiennent pas » ? Et ne faut-il pas admettre que, n'étant pas l'essence des choses, elles sont « pure surface sans profondeur (...) incapables de montrer la moindre intériorité » ? Cette première approche qui conduit à affirmer que « pour donner un sens aux images, il faut leur prêter une essence et une existence concrète qu'elles ne possèdent pas en elles-mêmes »10, pourrait rappeler aussi bien, par exemple, la critique hégélienne de la certitude sensible que la définition aristotélicienne de l'image . Mais il Nous cherchons à résumer par ce qui suit le premier mouvement de pensée de ce chapitre, que Balthasar a intitulé : 1. Vintage sans essence (ibid, p. 141-147). Etant donné la densité de ces pages, nous en proposerons une lecture pas à pas. Idv ibid, p. 141, pour ces formules et celles qui suivent. 10 Ibid, p. 142. Plutôt qu'à la détermination hégélienne de la certitude sensible comme immédiateté au début de La phénoménologie de V Esprit (I, La Certitude sensible ; le Cea et ma visée du Cea) on pourrait en effet faire correspondre ces passages à l'affirmation aristotélicienne selon laquelle l'image paraît en-deça de la vérité et de l'erreur (en tant que, comme pur phantasme 25 Dossier s'agit ici plutôt, comme on va le voir, de poser les linéaments d'une herméneutique. S'il s'avère en effet nécessaire de conférer un sens aux images, n'est-ce pas révélateur de ce que celles-ci ne doivent être comprises, ni comme étrangères au sens ni comme coïncidant avec lui, mais comme objet de lecture d'un sens à la fois immanent et extérieur à elles ? A l'opposé de cette perspective, deux attitudes d'esprit ont lieu dans l'histoire de la pensée qui ont pour point commun de se laisser impressionner par cette distance apparente entre image et être. La première consiste à conclure de l'expérience fréquente de désillusion des images à l'idée qu'il faut « dépouiller généralement de signification tout ce qui est imagerie, pour se concentrer sur la réalité cachée sous les images », en considérant que « le domaine du réel ne commence qu'au-delà de l'apparition » . Dans cette perspective qui est celle « du rationalisme et uploads/Philosophie/ gabellieri-ontologie-de-l-x27-image-et-phe-nome-nologie-de-la-ve-rite.pdf

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