LE PANEGIRICO ALL’AMORE DE FRANCESCO CATTANI DA DIACCETO En souvenir de Mirella
LE PANEGIRICO ALL’AMORE DE FRANCESCO CATTANI DA DIACCETO En souvenir de Mirella «L’amour est tout, l’amour, et la vie au soleil. […] Amour est le grand point» déclare Alfred de Musset (La coupe et les lèvres). Mais de tout temps, ce sentiment a intéressé les écrivains, les poètes et les philosophes. Francesco Cattani da Diac- ceto en propose justement l’étude dans ses Tre libri d’amore, mais surtout dans son Panegirico all’amore,1 dédié à Giovanni Corsi et à Palla Rucellai. Notre propos se donne pour objectif de définir en premier lieu les termes, de pré- ciser ensuite les circonstances dans lesquelles Francesco Cattani da Diacceto a en- trepris la rédaction du Panegirico, d’étudier les sources sur lesquelles il s’est ap- puyé pour analyser la place qu’il donne à l’amour et, à travers lui, à l’homme dans le monde. * Le terme panégyrique apparaît en 1512 et provient du latin panegyricus et du grec panêguris, «assemblée de tout le peuple». Il s’agit tout d’abord d’un discours à la louange d’une personne illustre, d’une nation, d’une cité, puis d’un sermon qui a pour sujet l’éloge d’un saint, d’un livre qui contient les éloges des saints pour tous les jours de l’année, enfin d’une parole ou d’un écrit à la louange de quelqu’un. Ainsi, d’emblée, Francesco Cattani da Diacceto annonce que le sujet de ses pages est la louange de l’amour. Si, selon Alain Rey,2 le substantif amour s’emploie dès la fin du Xe siècle sous la forme amor, emprunt du latin, sa forme actuelle amour est influencée par l’ancien provençal, illustré par la conception des troubadours, la fine amor, amour cour- tois qui se développe à partir du Sud de la France. En effet, le latin amor a donné directement amur en 842, d’où amourer. La forme ameur (fleur) est attestée plus tard, au début du XIIIe siècle. Alain Rey rappelle encore que le terme latin dérivé du verbe amare, comme amicus équivaut aux mots et aux concepts grecs distincts de erôs et de philia, amour physique et sentimental et amitié. Ce nom est souvent personnifié en nom de Dieu, Erôs en grec. En ancien français, le mot est en concurrence avec amitié. Il exprime toutes les nuances de l’affection, de celle portée à Dieu à celle qui s’adresse aux autres hu- mains. Il a le sens d’amitié de 1139 jusqu’au XVe siècle, mais s’applique en parti- culier à la passion sentimentale hétérosexuelle. Toutefois, en tant que sentiment central de l’univers courtois, l’amour médiéval entre un homme et une femme est 1 Édition de référence: I tre libri d’amore di Francesco Cattani da Diacceto, filosofo et gentil’huomo fio- rentino, con un Panegirico all’amore et con la vita del detto autore fatta da Messer Benedetto Varchi, Vene- zia, Gabriele Giolitto de’ Ferrari, 1561. Nous avons adopté les critères de transcription de LIA. 2 A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1998, i, pp. 119-21. 416 théa picquet à la fois sexualisé et idéalisé. Il se marque notamment par les métonymies, amour désignant à la fin du XIIe siècle la personne aimée; une autre métonymie, où les amours s’appliquent à un pays ou à un objet qu’on aime, est attestée depuis le XVIIe siècle. André Lalande donne de l’amour une définition quelque peu différente.3 En ef- fet, selon lui, il s’agit tout d’abord du nom commun donné à toutes les tendances attractives, surtout quand elles n’ont pas pour objet exclusif la satisfaction d’un besoin matériel: telles que les inclinations domestiques (amour des parents pour les enfants), les inclinations corporatives (patriotisme, esprit de corps), les incli- nations individuelles (amour du jeu, amour du luxe, amour du métier). Si la ten- dance est purement matérielle, on emploie le verbe aimer, mais rarement le subs- tantif amour. Amour se dit ensuite de l’inclination sexuelle sous toutes ses formes et à tous ses degrés. C’est enfin une tendance essentiellement opposée à l’égoïsme, soit qu’elle ait pour objet le bien d’une autre personne morale (amour du prochain, amour des malheureux), soit qu’elle ait pour objet une idée en face de laquelle on fait plus ou moins abnégation de son intérêt propre et même de son individualité (amour de la science, amour de la justice) et Lalande cite Tolstoï (De la vie 177) pour qui le véritable amour a toujours pour base le renoncement au bien indivi- duel. En outre, on peut opposer amour captatif et amour oblatif. Mais Descartes pro- teste contre cette distinction en ramenant l’un et l’autre à la formule: «une émotion de l’âme causée par le mouvement des esprits qui l’incite à se joindre de volonté aux objets qui paraissent lui être convenables» (Passions de l’âme ii 79-81). À ce propos, André Lalande précise que «se joindre de volonté» signifie «imaginer un tout dont on est seulement une partie, et que la chose aimée en est une autre». Le mot présente donc des sens très divers. Qu’en est-il chez Francesco Cattani da Diacceto (1466-1522)? Sans revenir sur la biographie de Diacceto,4 soulignons simplement que son nom est lié aux célèbres Jardins Rucellai, les «Orti Oricellari,5 où se retrouvent d’éminentes personnalités florentines, pour y échanger des idées, réciter des poé- sies, discuter de politique. Rappelons que ces jardins sont l’initiative de Bernardo Rucellai, ami de Laurent le Magnifique, époux de l’une de ses sœurs, passé cepen- dant à l’oppostion en 1494. Comme son père Giovanni, Bernardo jouit d’une so- lide formation humaniste et connaît Marsile Ficin; ses jardins vont devenir le cen- tre intellectuel de la ville. Pourtant, après l’élection de Piero Soderini au titre de gonfalonier à vie, Bernardo se serait retiré de la vie politique pour se consacrer entièrement à la littérature, à l’étude et aux voyages. Parmi les membres de la jeu- nesse dorée qui fréquentait le cercle humaniste, il y avait alors Giovanni Corsi, Francesco Vettori et Piero Martelli et parmi les philosophes, aux côtés de Fran- 3 A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 1926, i, pp. 46-49. 4 Nous renvoyons pour cela à la thèse de doctorat de S. Ricci, Le sentiment amoureux dans les traités du Primo Cinquecento, soutenue à l’Université de Provence le 11 décembre 2003; Ead., La philosophie de l’amour de Fran- cesco Cattani da Diacceto: le Panegirico all’amore et les Tre libri d’amore, dans LIA, iv, 2003, pp. 471-88. 5 R. von Albertini, Firenze dalla repubblica al principato, Torino, Einaudi, 1982, pp. 67-70. le panegirico all’amore de francesco cattani da diacceto 417 cesco Cattani da Diacceto, Pietro Crinito. Bernardo meurt en 1514 mais ses fils Palla et Giovanni poursuivent la tradition familiale. Au départ, étroitement liés aux Médicis, on pouvait entrevoir dès 1515 une opposition latente dans le sens où, dans les jardins, on discutait très librement et que les conditions étaient favo- rables pour que l’idéal républicain revête un nouvel intérêt. Le Panegirico all’amore est justement dédié à deux membres des Orti Oricellari: Palla Rucellai et Giovanni Corsi. Le premier, comme on l’a vu, est le fils du fon- dateur, Bernardo, et le frère de Giovanni, l’auteur de Rosmunda, Le Api,6 Oreste. Le second est connu comme un fidèle partisan des Médicis et pour avoir occupé la charge de gonfalonier en 1530 sur la demande du pape Clément vii, Jules de Mé- dicis. Le Panegirico all’amore aurait été écrit avant 1508, puisque cité dans les Tre li- bri, dont le manuscrit conservé à la Biblioteca Laurenziana porte justement cette date.7 Il a été édité à titre posthume par son neveu, Francesco, à Rome en 1526, auprès de Ludovico Arrighi Vicentino. Le texte se présente non pas comme un dialogue, puisque les interlocuteurs ne prennent pas la parole, mais plutôt comme une leçon, qui s’adresse à l’ensemble du cercle humaniste, puisque dès l’introduction, Francesco apostrophe l’assistance avec un «carissimi amici» (ed. cit., p. 135), qu’il la prend à partie: «Voi adunque» (p. 136), mais au fur et à mesure de son discours, il parle sur un plan général, avec un «noi» (p. 165) qui englobe tous les hommes. Son but est clair, c’est la célébra- tion de l’amour: «celebrando il sacratissimo nome dello amore, le sue mirabili virtù insieme meco pre- dicarete» (p. 136). Pour ce faire, Francesco Cattani da Diacceto appuie son argumentation sur l’Antiquité. Son raisonnement est tout d’abord illustré par des exemples tirés de la mytho- logie grecque ou romaine. Ainsi, c’est Hélène, la princesse légendaire de Sparte, fille de Léda et de Tyndare ou, selon une tradition plus répandue, de Léda et de Zeus métamorphosé en cygne, épouse de Ménélas, dont l’enlèvement par Pâris causa la guerre de Troie, qui ou- vre la voie de la réflexion de Francesco da Diacceto. Orphée est pris à témoin à propos de la puissance du soleil, «œil éternel du monde» (p. 140). Rappelons que la légende de cet aède mythique de Thrace, fils du roi Oeagne et de la muse Calliope, est liée à la religion des mystères ainsi qu’à une littérature sacrée allant jusqu’au christianisme. Orphée invente la cythare ou reçoit d’Apollon la lyre à sept cordes et uploads/Philosophie/ p-thea-le-panegirico-all-x27-amore-de-francesco-cattani.pdf
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- Publié le Fev 23, 2021
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