Revue française de pédagogie Recherches en éducation 188 | juillet-août-septemb
Revue française de pédagogie Recherches en éducation 188 | juillet-août-septembre 2014 Sociologie et didactiques : traverser les frontières Contrat didactique et contextes sociaux. La structure d’arrière-plans des apprentissages Didactical contract and social contexts. On the background structure of learning processes Patrick Rayou et Gérard Sensevy Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/rfp/4534 DOI : 10.4000/rfp.4534 ISBN : 978-2-84788-677-1 ISSN : 2105-2913 Éditeur ENS Éditions Édition imprimée Date de publication : 30 septembre 2014 Pagination : 23-38 ISBN : 978-2-84788-676-4 ISSN : 0556-7807 Référence électronique Patrick Rayou et Gérard Sensevy, « Contrat didactique et contextes sociaux. La structure d’arrière- plans des apprentissages », Revue française de pédagogie [En ligne], 188 | juillet-août-septembre 2014, mis en ligne le 30 septembre 2017, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/ rfp/4534 ; DOI : 10.4000/rfp.4534 © tous droits réservés Revue française de pédagogie | 188 | juillet-août-septembre 2014 23-38 Contrat didactique et contextes sociaux. La structure d’ arrière-plans des apprentissages Patrick Rayou et Gérard Sensevy L’observation d’une séance d’aide aux devoirs en classe de 6e est prise ici comme objet d’analyse mettant en jeu des concepts didactiques et des concepts sociologiques. Prenant la situation étudiée comme un cas banal de très faible efficacité cognitive du dispositif représenté par la fiche d’exercice donnée à l’élève, cet article tente d’expliquer en quoi et pourquoi une incertitude de contrat traverse toute la séance. Il le fait en mettant en évidence les déficits de l’élève et de l’assistante pédagogique en termes d’« arrière-plans », obstacles au savoir scolaire ou pré-requis non maîtrisés, qui rendent très difficiles les transactions nécessaires aux apprentissages. Il propose des pistes pour une démarche permettant d’articuler une didactique sociologique de la connaissance et une sociologie didactique des dispositions. M ots-clés (TESE) : aide pédagogique, continuité didactique, didactique, difficulté d’apprentissage, inégalité sociale, socio- logie de l’éducation. INTRODUCTION Cet article1 veut mettre en évidence des arrière-plans très présents dans les situations d’apprentissage et qui, bien que souvent peu perçus de leurs acteurs, structurent fortement leurs interactions et jouent un rôle important dans le succès ou dans l’échec des élèves. Les approches sociologique et didactique peuvent y contribuer en s’épaulant pour prendre toutes deux simultanément en compte des éléments larges de cadrage antérieurs et extérieurs aux situations abordées et les enjeux hic et nunc qu’elles comportent. La collaboration de ces deux disci- plines ne se fait donc pas sur la base d’apports « macros » de la part de la première et « micros » de la part de la seconde, mais consiste à mobiliser, l’une et l’autre, des caractéristiques contextuelles et relationnelles des phé- nomènes observés pour les articuler. Cet article propose un exemple d’une telle articulation à partir de l’observa- tion et de l’analyse d’une séance d’aide aux devoirs. Le point de rencontre des deux approches se fait sur un objet empirique particulier, la fiche de devoir d’une élève de collège prise comme le support de diverses circulations entre des savoirs et des personnes et mettant en jeu des contraintes de situation intérieures à l’espace de la classe mais également extérieures en termes d’enjeux à la fois sociaux, cognitifs et affectifs. 24 Revue française de pédagogie | 188 | juillet-août-septembre 2014 CADRE THÉORIQUE, PREMIERS ÉLÉMENTS D’ARTICULATION L’approche de certaines difficultés récurrentes des élèves en termes de malentendus veut prendre en compte le fait que, dans le moment de l’apprentissage, en classe ou en dehors, interfèrent plusieurs logiques d’action. Tous les acteurs, bien que dans un cadre apparemment unique, ne travaillent pas selon les mêmes logiques, d’où des malentendus qui ne procèdent ni d’une intention des enseignants et des élèves que le savoir ne soit pas trans- mis et acquis (chacun a intérêt à ce que le « jeu didac- tique » soit gagnant pour les deux), ni d’un simple manque d’explicitation (on ne peut jamais tout expliciter2). D’un point de vue sociologique, un des organisateurs principaux des malentendus est l’interférence, dans les apprentissages scolaires, de logiques, sociales et cogni- tives, qui se rencontrent et se renforcent ou se contra- rient. Ces logiques constituent des arrière-plans qui doivent s’étudier tout autant d’un point de vue contextuel que relationnel. À l’opposé des approches des difficultés d’apprentissage en termes de handicap socio-culturel, la démarche adoptée ici se veut relationnelle (Bautier & Goigoux, 2004) au sens où elle est attentive à la façon dont ces difficultés procèdent d’une confrontation entre des caractéristiques et des dispositions cognitives et lan- gagières liées à la socialisation non scolaire des élèves et les réquisits scolaires et les modes de structuration et de fonctionnement du système éducatif qui ne leur cor- respondent pas nécessairement. Mais, pour comprendre ces situations toujours singulières, elle les contextualise en les mettant en rapport avec les contraintes socio-géographiques que connaissent les acteurs, de même qu’avec les politiques éducatives dont elle prend en compte les effets potentiellement différenciateurs sur les élèves (Rochex & Crinon, 2011). Dans l’approche didactique utilisée ici, on peut modé- liser, dans une perspective à la fois wittgensteinienne (Wittgenstein, 2004) et sociologique (Bourdieu, 1987 ; Elias, 1993 ; Goffman, 1970), l’activité d’ enseignement- apprentissage comme un jeu, le jeu didactique. Ce modèle tente alors de rendre raison de la grammaire de l’activité didactique, on pourrait dire de sa logique intrin- sèque. Par exemple, caractériser le travail du professeur comme celui d’une tension expression-réticence (ce que la logique du savoir dynamique réclame qu’on dise/ montre, et/ou qu’on taise/cache) ou celle d’une dialec- tique contrat-milieu (cf. plus bas) constitue des concep- tualisations qui tentent de décrire le jeu didactique en tant que modèle pour permettre d’identifier sa logique intrin- sèque, sa grammaire propre. Dans une telle modélisation, il y a le jeu, et il y a le joueur. Pour décrire l’activité didactique, il faut pouvoir modéliser le jeu, d’une part, et d’autre part la manière dont les joueurs entrent ou non dans le jeu. Cette relation jeu/joueur est complexe et dépend à la fois, pour un même savoir, de la nature du jeu didactique construit et des dispositions du joueur. Cette manière dont les joueurs entrent ou non dans le jeu, dont ils l’investissent ou non, peut faire l’objet du travail de sociologie, mais il n’y a aucune raison pour qu’elle ne soit pas travaillée aussi par le didacticien, en particulier si celui-ci juge important, voire fondamental, de travailler sur les inégalités d’ap- prentissage, au sein d’une approche relationnelle (la rela- tion jeu-joueur) et contextuelle (la grammaire didactique étant pour une part surdéterminée par des éléments socio-historiques et politiques). Ces considérations nous fournissent donc le projet commun d’articuler perspective sociologique et perspec- tive didactique à propos d’un cas dont nous donnons ci-dessous les contours, choisi parce qu’il nous paraît emblématique de situations banales dans lesquelles les apprentissages escomptés ne se font pas (Schubauer- Leoni, 1986, 1988 ; Leutenegger & Schubauer-Leoni, 2002 ; Sensevy & Mercier, 2007 ; Bonnéry, 2007 ; Bautier & Rayou, 2013a ; Rochex & Crinon, 2011). Penser par cas (et non penser « ce » cas) (Passeron & Revel, 2005) nous semble ici un exercice pertinent pour mettre à l’épreuve la capacité des cadres théoriques et concepts de deux disciplines différentes à rendre compte ensemble de la récurrence de phénomènes pour lesquels ni l’une ni l’autre ne peut donner des explications suffisantes. Il s’agit par là de contribuer au projet de ce dossier et d’inciter tout autant à revisiter, sous cette double perspective, des recherches déjà produites qu’à en imaginer de nouvelles. LE CORPUS : UNE PREMIÈRE DESCRIPTION Une dizaine de collégiens de classes différentes sont réunis dans une même salle après les cours, pour une séance d’« aide aux devoirs ». L’assistante pédagogique (AP), Claire, « passe » parmi les élèves pour les aider à faire leurs devoirs. Parmi eux, Safia (6e) doit travailler à partir d’une fiche donnée par son professeur de sciences de la vie et de la Terre. La figure 1 reproduit la fiche, Contrat didactique et contextes sociaux. La structure d’ arrière-plans des apprentissages 25 Ne rien écrire sur cette feuille d’énoncé Les exercices sont à faire sur une feuille de classeur avec vos nom, prénom et classe. Ils peuvent être ramassés à tout moment. Ces exercices peuvent être au contrôle, entraînez-vous ! Tous les exercices ne seront pas corrigés, ils seront expliqués si vous posez vos questions en classe. 6e chapitre “Unité du vivant : les cellules” Cours Vous devez savoir ce qu’est une cellule. Vous devez savoir vous servir d’un microscope (le régler, observer et trouver le grossissement). Vous devez savoir faire un dessin (en respectant les consignes : voir la fiche méthode). Vous devez connaître les caractéristiques du vivant. ALLEZ ! ENTRAÎNEZ-VOUS ! Exercices Source : exercices tirés du manuel de sciences de la vie et de la Terre de 6e (Belin, collection André Duco, 2005). Figure 1. Fiche d’exercices « Unité du vivant : les cellules » 26 Revue française de pédagogie | 188 | juillet-août-septembre 2014 portant sur le 6e chapitre du manuel de l’élève (ce cha- pitre est intitulé « Unité du vivant : les cellules ») et élabo- rée par l’enseignante à partir du manuel. uploads/Philosophie/ remediation-2.pdf
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- Publié le Mai 04, 2022
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