18/02/2022 18:42 Paradigme théâtral et pensée philosophique: Shakespeare aux or

18/02/2022 18:42 Paradigme théâtral et pensée philosophique: Shakespeare aux origines de la modernité anglaise https://journals.openedition.org/1718/744#text 1/12 XVII-XVIII Revue de la Société d’études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles 73 | 2016 Faire silence Varia Paradigme théâtral et pensée philosophique: Shakespeare aux origines de la modernité anglaise Hélène Garello p. 227-242 https://doi.org/10.4000/1718.744 Résumés Français English Cet article cherche à montrer comment on peut voir dans le théâtre de Shakespeare un des lieux de formation de la conception moderne de la vérité, faisant suite à la crise sceptique du second humanisme. Si Shakespeare semble critiquer la philosophie de son temps en raison de sa conception de la vérité comme opposée à toute forme d’apparence, ses pièces témoignent d’une pratique de la pensée juste qui la situe à la confluence de différentes déterminations, par le biais d’une expérience de la mise en scène, plutôt que dans l’opposition à ce qui paraît ne pas OPENEDITION SEARCH Tout OpenEdition 18/02/2022 18:42 Paradigme théâtral et pensée philosophique: Shakespeare aux origines de la modernité anglaise https://journals.openedition.org/1718/744#text 2/12 être rationnel. Le théâtre shakespearien permet ainsi d’envisager les conditions de la pensée véridique dans la rencontre entre l’élaboration philosophique et la pratique théâtrale. This paper attempts to show that one can see in Shakespeare’s theatre the ground for the conceptualisation of a modern definition of truth, after the sceptic crisis of the second humanism. If Shakespeare seems to criticise the philosophy of his time due to its conception of truth as an opposition to appearances, his plays show an experimentation of true thought that places it at the confluence of different determinations, through the experience of staging, rather than in the opposition to what does not seem to be rational. Shakespeare's theater enables therefore to consider the conditions of true thinking thanks to the meeting of philosophical elaboration and theatrical practice. Texte intégral Quel doit être le modèle d’une pensée vraie ? En première approche, cette question semble opposer radicalement la philosophie et le théâtre, et constituer le point de divergence entre ces deux formes de représentation. La philosophie en effet semble avoir pour but la connaissance, alors que le théâtre serait un lieu de tromperie, puisque sa mise en scène repose sur un jeu des apparences et un travestissement des identités. En outre, le théâtre suppose une multiplicité de points de vue opposés, comme si chacun pouvait porter sa propre vérité, oxymore philosophique, sans que l’on puisse trancher entre ces perspectives. Penser correctement, selon le vrai, ce serait à l’inverse refuser la représentation inhérente à toute expression, chercher à réduire la pensée au déploiement de la raison, affirmer la vérité pleine de sa pensée contre celle des autres, opposer l’universalité de la pensée à ce qui ne serait qu’une simple façon de croire ou d’avoir des impressions relatives à notre individualité : ainsi, Bacon, contemporain de Shakespeare et précurseur de la modernité anglaise, voit dans les déterminations singulières et particulières à chacun une forme d’idole de l’entendement, les idoles de la caverne, défaut propre à l’entendement et qu’il faut purifier pour atteindre une pensée vraie et constituer une science nouvelle, en rupture avec les errances du savoir contemporain du philosophe élisabéthain (Novum I, 53, 117). On retrouve cette attitude notamment chez deux philosophes shakespeariens, le stoïcien Brutus de Jules César et le cynique Apemantus de Timon d’Athènes. 1 Les figures de philosophes sont cependant chez Shakespeare extrêmement problématiques quant au rapport qu’elles supposent entre philosophie et théâtre. En effet, ces deux philosophies reposent elles-mêmes sur l’utilisation de la métaphore théâtrale. Chez les stoïciens en particulier le recours à l’image du « théâtre du monde » est récurrent et explicite. Il y a bien une utilisation du théâtre par la philosophie, mais Brutus et Apemantus semblent se tromper sur sa fonction, pensant qu’en adoptant comme rôle la figure impersonnelle du philosophe, en divergence avec ses passions pour Brutus, et avec les autres pour Apemantus, ils se mettront dans des conditions propres à l’énoncé de vérités. 2 En outre, les limites de la philosophie se voient dans l’échec à trouver ce que Pyrrhon appellerait un « critère » de vérité, c’est- à-dire une marque qui permette de m’assurer de la vérité de ce dont je suis convaincu, de distinguer le vrai du faux d’après son résultat. La redécouverte des textes de ce philosophe instaure le scepticisme du second humanisme, et prépare le passage à la philosophie classique. On peut dire que Shakespeare, en critiquant une fausse position de la philosophie, qui, prétendant adopter le masque de la raison incarnée, se caricaturerait elle-même et se limiterait à une conception oppositive de la vérité, anticipe ce passage à l’âge classique. On trouve en effet dans ses textes une nouvelle conceptualisation de la vérité, qui, tout en anticipant sur une conception expérimentale de la vérité, telle qu’on peut la rencontrer dans le milieu de la Royal Society, permet également de comprendre tout l’héritage que la philosophie du xvie siècle doit au théâtre élisabéthain. La métaphore de la mise en scène, qu’elle touche à la représentation en général ou à la dramatisation de soi, permet de penser un type de vérité 3 18/02/2022 18:42 Paradigme théâtral et pensée philosophique: Shakespeare aux origines de la modernité anglaise https://journals.openedition.org/1718/744#text 3/12 Le problème posé par la divergence du théâtre et de la philosophie qui réponde à la crise de la philosophie du second humanisme, et, tout en sous-entendant qu’il pourrait ne pas y avoir d’absolu de la vérité pour servir de norme définitive, de proposer un nouveau paradigme pour la rationalité classique. On cherchera ainsi à voir comment l’œuvre de Shakespeare permet d’envisager les conditions de la pensée véridique dans la rencontre entre l’élaboration philosophique et la pratique théâtrale. Dans un premier temps, on peut retrouver dans le texte de Shakespeare l’hypothèse selon laquelle le théâtre serait opposé à la philosophie, leurs façons de concevoir la pensée étant divergentes. De fait, la philosophie, comme recherche de la connaissance et de la sagesse, suppose que l’on puisse formuler, de manière discursive, une vérité qui soit vraie pour tous, par opposition à un relativisme qui prétend que la vérité est relative à chacun, c’est-à-dire à la façon dont chaque individu peut se la représenter, relativement à ses sens, son esprit, sa culture, ses diverses déterminations privées. L’idée de rechercher un « critère de vérité » qui permette de trancher entre ces points de vue individuels renvoie selon Cicéron (Académiques 205), dans la philosophie stoïcienne et la logique scolastique, à l’idée de représentation compréhensive (phantasia kataleptikê), c’est-à-dire la représentation de quelque chose telle qu’elle « provient de ce qui est », et est « imprimée et marquée conformément à ce qui est ». La vérité correspondrait donc à un état de fait indubitable, réel, et qui ne dépend pas des personnes qui le pensent. La philosophie supposerait un point de vue non relatif à la personne qui pense, mais qui renvoie seulement à l’objet pensé. La représentation de l’objet pensé devrait alors coïncider exactement avec celui-ci, être parfaitement neutre et transparente. Selon ce point de vue, le passage à l’âge classique se ferait au nom d’une réponse à la mise en doute de la possibilité de cette exigence par le scepticisme du second humanisme. 4 Le théâtre présente quant à lui un type de représentation tout autre : sur scène, il n’y a que des représentations, entendant par là que tout n’est qu’apparence, vu par le prisme du jeu dramatique. Même dans les monologues, le spectateur n’a jamais accès aux faits de manière neutre, mais toujours par l’intermédiaire d’un point de vue, celui du personnage ou du metteur en scène. Le théâtre ne permet pas de concevoir une réalité absolument séparée de l’œil qui le perçoit. 5 On comprend alors que la métaphore du théâtre du monde ait servi, dans un contexte de crise intellectuelle, à exprimer la difficulté que l’on peut avoir à connaître le réel. « Le monde entier est un théâtre » renvoie ainsi, après le second humanisme, à l’idée que tout n’est qu’apparence, et que l’être réel des choses nous échappe sans cesse. Dans Descartes ou la fable du monde, J.-P. Cavaillé attribue ainsi l’époque baroque à laquelle écrit Shakespeare une « esthétique de la distance et une éthique de la défiance » (7). La conscience de la prédominance du paraître face à l’être pousse les hommes à se défier de ce qu’ils voient, de ce qu’ils pensent, et de ce que les autres leur montrent, et à ainsi privilégier un rapport de distance avec ce qui les entoure. L’apparaître renverrait non pas à au monde qui s’offre à moi, mais à la manière dont je suis affecté par lui relativement à ma condition. Ainsi, le théâtre serait le lieu de l’expression d’un doute vis-à-vis de la possibilité de traiter les apparences rationnelles, doute auquel l’âge classique aurait répondu en rompant avec le paradigme rationnel de la scolastique. Hobbes s’oppose ainsi à la logique aristotélicienne lorsqu’il cherche un nouveau modèle dans les mathématiques (Léviathan 116), et Richard Popkin insiste, dans son History of Scepticism, sur le uploads/Philosophie/ paradigme-theatral-et-pensee-philosophique-shakespeare-aux-origines-de-la-modernite-anglaise.pdf

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