1 Gilles Marmasse Penser le réel Hegel, la nature et l’esprit Kimé, 2008 2 Reme
1 Gilles Marmasse Penser le réel Hegel, la nature et l’esprit Kimé, 2008 2 Remerciements Quatre chapitres de cet ouvrage héritent d’une thèse soutenue à l’université Paris I Panthéon- Sorbonne en 2001 et dirigée avec autant de bienveillance que de compétence par Jean-François Kervégan. Je lui redis mon entière reconnaissance. Ma gratitude va aussi, parmi bien d’autres inspirateurs et interlocuteurs, à Bernard Mabille, Thomas Posch et Emmanuel Renault : par leur propre interprétation du discours hégélien et les critiques judicieuses qu’ils ont adressées à la mienne, ils ont joué un rôle de premier plan dans l’écriture de cet ouvrage. Pour Isabelle 3 Avant-propos Face à la philosophie de Hegel, le lecteur éprouve des sentiments contradictoires de fascination et de répulsion. Fascination parce que d’une certaine manière nul objet n’est étranger à la spéculation hégélienne, parce que l’œuvre tend à se fonder de manière complète, et enfin parce que Hegel est avant tout un penseur de la liberté. Mais répulsion aussi, face à une œuvre qui semble indéchiffrable tant sont complexes ses raisonnements, sans identité tant sont massifs ses emprunts aux autres doctrines, et finalement introuvable tant sont variés ses lieux d’exposition. Comparé à ses prédécesseurs, Hegel se présente certes comme un auteur étonnamment concret, qui empoigne le réel le plus âpre et le plus directement donné. D’un autre côté cependant, ses textes sont saturés de considérations abstraites, et l’on se demande parfois s’ils ne renoncent pas à l’analyse de leur objet explicite au profit d’enjeux formels à l’intérêt discutable. Est-il alors possible de dépasser l’abord passablement décourageant de cette œuvre ? Sans doute, si l’on saisit que l’exigence qui l’anime est une exigence de rigueur et de risque, d’autonomie et de plénitude, d’intériorisation et d’ouverture à l’altérité. Ou encore si l’on saisit que Hegel est à la fois avide d’intelligibilité et passionné par l’expérience multiforme du réel. Toutefois, la compréhension de cette pensée requiert-elle, comme on le dit souvent, de s’abandonner à la règle contraignante et invincible du système ? Est-on voué à tout accepter en elle à moins de tout rejeter sans discrimination ? Ou bien est-il possible de saisir sa cohérence tout en conservant à son égard une attitude distanciée ? Peut- on, à la fois, concevoir la raison qui la gouverne et analyser ce qu’elle doit aux circonstances intellectuelles de son élaboration ? Faut-il faire de Hegel un penseur éternellement contemporain et au-dessus de toute critique, ou peut-on le lire à partir de la culture qui fut la sienne, et sans occulter les carences de sa pensée ni ce qui en elle a vieilli ? Répondre à ces questions est l’une des ambitions de cette étude. Plus précisément, il s’agit ici d’examiner les concepts de nature et d’esprit chez Hegel. Comme on le sait, ce sont là les objets de ce que le philosophe nomme les « sciences réelles » (die realen Wissenschaften)1 ou les « sciences concrètes »2, déployées dans les deuxième et troisième parties de l’Encyclopédie des sciences philosophiques, par opposition à la logique, vie de l’intelligible pur et objet de la première partie du système. Notre hypothèse est en effet que la nature et l’esprit sont intimement associés chez Hegel, en ce que le second tend à résoudre les apories impliquées par la première. C’est pourquoi on peut définir les deux termes et explorer leurs propriétés respectives en s’appuyant sur leurs contrastes réciproques. Mais il y a plus : dans la mesure où, chez Hegel, le 1 Cf. par exemple la préface de la première édition de la Science de la logique, Werke in zwanzig Bänden, hrsg. von E. Moldenhauer und K.M. Michel, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp Verlag, 1969-1971 (désormais W.), 5, 18, trad. G. Jarczyk et P.-J. Labarrière, Paris, Aubier, 1972-1981, t. 1 p. 8. 2 Cf. par exemple la Science de la logique III, W. 6, 265, trad. cit. t. 3 p. 56. 4 rapport objectif en vient à se convertir en un rapport subjectif, les deux termes ne se rapportent pas l’un à l’autre seulement « pour nous » mais aussi « pour eux-mêmes ». D’une certaine manière en effet, l’esprit n’est rien d’autre que le sujet prenant en charge, sur un mode théorique et pratique, la nature comme donné multiple et contradictoire. La vie de l’esprit consiste alors en une connaissance sans cesse approfondie et en une transformation toujours plus intense de la nature qui pourtant le contredit – une connaissance et une transformation non seulement de la nature extérieure mais aussi de sa « naturalité » propre. Le caractère indispensable du rapprochement des deux termes comme condition d’intelligibilité de l’un et l’autre est d’ailleurs explicitement affirmé par ce fragment posthume : « Toute déterminité n’est ce qu’elle est qu’à l’encontre d’une autre : à celle de l’esprit en général s’oppose en premier lieu celle de la nature, et pour cette raison celle-là n’est tout d’abord à saisir qu’en même temps que celle-ci. »1 Toutefois cette liaison signifie-t-elle que la nature tend à se produire comme esprit ? Implique-t-elle, par ailleurs, que l’esprit procède de la nature ? Si l’on admet que les différents moments se nient réciproquement, il faut sans doute renoncer aussi bien à faire de l’esprit le but final de la nature qu’à faire de la nature l’origine de l’esprit. Quel est alors leur lien véritable ? Ces difficultés doivent être examinées à partir des textes relatifs à la nature et à l’esprit, mais, au delà, elles ne peuvent être correctement appréhendées qu’en s’appuyant sur une interprétation des principes généraux de l’organisation systématique. En effet, puisque la nature et l’esprit sont inscrits dans l’ordre encyclopédique, la compréhension de leur articulation requiert une interprétation globale de cet ordre. Nous sommes donc conduits à réfléchir au fonctionnement de l’Encyclopédie et aux modalités de son déploiement : à quelles causes et à quelles règles obéit la transition d’une sphère à l’autre dans le parcours systématique ? Qu’est-ce qu’un moment, comment peut-il être à la fois intelligible par soi et situé à une place déterminée du parcours encyclopédique ? Le hégélianisme est-il un « déterminisme » ou ménage-t-il une place à l’imprévisible ? Cependant, il ne suffit pas d’analyser ce que sont la nature et l’esprit et en quoi leur articulation constitue la clé du devenir systématique dans le réel, il faut encore comprendre comment la pensée – qu’elle relève de la perception simple, des sciences empiriques ou de la philosophie – se rapporte à l’une et à l’autre dimension du réel. Nous en arrivons par là au deuxième aspect de cette étude. Non seulement Hegel prend au sérieux les savoirs non philosophiques, mais la philosophie, à ses yeux, se constitue dans le rapport qu’elle entretient avec eux. Notre hypothèse est alors que Hegel assigne à la philosophie la tâche de produire l’unité et le fondement de son objet propre – qu’il faut définir – à partir des données fournies par les savoirs qui s’opposent à elle. En 1 Fragment sur la philosophie de l’esprit de 1822/25, § 12, W. 11, 525. Lorsque la traduction n’est pas référencée, elle est de nous. La notion de déterminité (Bestimmtheit) est ici employée au sens général de propriété constitutive, « elle est ce par quoi quelque chose est ce qu’il est » (Science de la logique I, édition de 1812, pagination originale p. 65, trad. cit. t. 1 p. 100). 5 quoi cette conception de la philosophie est-elle inscrite dans l’héritage kantien et post-kantien ? En quoi cet usage des savoirs scientifiques et communs par la philosophie implique-t-il également une forme de critique ? Pour répondre à ces questions, il faut explorer les ressources du concept d’Aufhebung comme rendant compte, indissociablement, de la liberté de la philosophie et de son rapport constitutif à son autre. Si l’on considère par ailleurs que la nature désigne, dans l’édifice encyclopédique, le moment de l’irrationalité – en un sens qui reste à préciser – la question est de savoir en quoi la pensée peut s’emparer de ce qui lui est alors le plus opposé. Ou encore, si elle prend en charge son autre, laisse- t-elle indemne ce qui fait, précisément, son altérité ? L’articulation de la nature et de l’esprit apparaît finalement comme un cas particulier du problème général du rapport de l’irrationnel et du rationnel. Si la philosophie hégélienne reprend à son compte le motif traditionnel de l’identité de l’être et de la pensée, elle établit que cette identité n’est qu’un résultat, qui succède à ce titre à des moments dépourvus de toute objectivité et de toute nécessité intérieure. Quel est le sérieux de la pensée hégélienne de l’irrationnel ? Voilà le troisième thème de notre investigation. Nous nous intéresserons notamment à la question de l’immédiat, c’est-à-dire du donné. Celui-ci n’est-il, comme on le dit souvent, qu’une illusion, et l’immédiat renvoie-t-il par définition à une médiation qui serait de prime abord dissimulée ? Ou peut-on admettre, à l’inverse, que Hegel prend au sérieux la factualité contingente de l’être comme assise de tout processus et de tout agir ? La recherche porte, pour l’essentiel, sur l’œuvre de la pleine maturité, uploads/Philosophie/ gilles-marmass-pense-le-reel-hegel-la-nature-de-l-x27-esprit 1 .pdf
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- Publié le Dec 25, 2022
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