Pierre Lachièze-Rey Kant Critique de la raison pure ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE

Pierre Lachièze-Rey Kant Critique de la raison pure ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE COMMENTAIRE AVERTISSEMENT Ce commentaire inédit de l’Analytique transcendantale a été présenté sous la forme d’un cours par Pierre Lachièze-Rey. On y trouvera un précieux complément à son grand ouvrage sur L’idéalisme kantien. Les éditeurs ont actualisé les références : la pagination indiquée est celle des traductions Traymesagues et Pacaud (PUF) et Renaut (Aubier puis GF) Les notes sans astérisque sont de l’auteur ; celles qui sont signalées par une astérisque ont été ajoutées par les éditeurs pour rendre facilement disponibles au lecteur les passages de L’idéalisme kantien auxquels se réfère Pierre Lachièze-Rey. Les mots entre crochets [] ont été ajoutés pour l’intelligibilité du texte. Philopsis éditions numériques http://www.philopsis.fr Les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. © Lachièze-Rey et Millet - Philopsis 2007 PIERRE LACHIÈZE-REY Kant, Critique de la raison pure ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE © LACHIEZE-REY et MILLET - PHILOPSIS 3 Réflexions introductives à une explication de l’Analytique transcendantale de Kant Avant d’entrer dans l’explication de l’Analytique transcendantale, il importe de rappeler quelques principes généraux qui sont indispensables à l’intelligence du kantisme. Commençons par signaler qu’il y a deux conceptions fondamentales de la vérité : l’une que l’on pourrait appe1er expressive et l’autre que l’on désignerait à juste titre par le nom de constructive. La vérité a été définie traditionnellement adaequatio intellectus et rei. Mais, dans la doctrine traditionnelle, l’adaequatio est celle de la conformité de l’esprit ou, plus exactement de l’idée à une réalité préalable qu’il s’agit d’exprimer, de telle sorte que l’idée est toujours, selon l’expression de Brunschvicg un état second. A l’intérieur du schème précédent, on pourra d’ailleurs distinguer de nombreuses nuances. Dans une théorie du réalisme du monde extérieur, il s’agira pour l’esprit de donner une transcription exacte de ce monde considéré comme un monde de choses en soi dont l’esprit devrait fournir en quelque sorte une fidèle photographie. Dans une théorie du réalisme des essences, il s’agira de faire un inventaire de ces essences préalablement données. Dans une thèse empiriste, l’idée devra toujours avoir un prototype dans la sensation et ne pourra jamais être une invention absolue. Ainsi, comme nous le disons, plusieurs théories différentes peuvent s’installer au sein de la vérité expressive, mais une logique interne à laquelle elles ne sauraient se soustraire donnera nécessairement le primat à l’une d’entre elles. Il s’agit de savoir dans quel domaine l’affirmation peut être valable et constituer précisément une vérité quand on a fait de l’idée un état second ; or on voit que ce domaine est strictement limité au phénomène individuel et subjectif, au moment seul où il se présente, et sans qu’il soit possible de jamais aller au-delà. Nous en voyons bien la preuve dans le développement du doute cartésien, puisque ni le monde extérieur, c’est-à-dire l’univers du réalisme, ni les essences éternelles, c’est-à-dire le monde des « réaux », de ceux qui hypostasient les vérités éternelles, ni le passé ne peuvent être légitimement affirmés sans le recours à la véracité divine. Seul le cogito se suffit à lui-même, mais, une fois enfermé dans le cogito, c’est-à-dire dans l’existence de l’esprit au seul moment actuel, on ne peut en sortir que par le détour de l’argument ontologique. Le cogito, comme l’a dit Balmès, est une ancre, mais ce n’est point un phare. Si l’on se refuse, par conséquent, à admettre l’argument ontologique, on restera nécessairement enfermé dans le cogito et on se bornera à la seule affirmation légitime de l’événement. La logique de la thèse de la vérité expressive ramène donc nécessairement à Protagoras et à ses fameuses formules : « L’homme est la mesure de toutes choses » et « La sensation est la science ». « L’homme », c’est-à-dire : non pas l’esprit en général, non pas l’esprit constructeur et organisateur agissant selon ses lois éternelles, mais l’homme individuel, et non pas l’homme individuel considéré comme une unité, mais l’homme dans ses phénomènes exclusivement subjectifs, et non pas même l’homme dans ses phénomènes subjectifs, mais ce groupe de phénomènes qui apparaît maintenant et disparaît ensuite, chacun de ces groupes constituant une entité distincte et le groupe « Socrate bien portant » ne pouvant être assimilé et identifié au groupe « Socrate malade ». « La sensation est la science », disait encore Protagoras, parce que la sensation est à la fois le seul objet et le seul sujet de l’affirmation - « la sensation » ou, plus exactement, le phénomène psychologique au moment même où il se présente. Et si l’on veut un autre exemple du terme auquel conduit nécessairement la théorie de la vérité expressive, on http://www.philopsis.fr PIERRE LACHIÈZE-REY Kant, Critique de la raison pure ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE © LACHIEZE-REY et MILLET - PHILOPSIS 4 prendra celui de Berkeley. Si les conclusions métaphysiques du philosophe ne sont pas les mêmes que celles de Protagoras, sa position essentielle au point de vue du problème de la vérité est identique. De même que, pour Protagoras, Socrate bien portant ne saurait être identifié avec Socrate malade, pour Berkeley la sensation visuelle « bâton brisé » est absolument différente de la sensation tactile « bâton droit ». Toutes les deux constituent des réalités auxquelles nous faisons arbitrairement correspondre un seul et même objet que nous appelons « le bâton ». Le bâton n’a aucune existence en soi en dehors des sensations que nous éprouvons et qui constituent les phénomènes derniers au-delà desquels il n’y a rien. De même, l’objet vu au microscope et l’objet vu à l’œil nu ne constituent pas un seul objet mais deux objets entièrement différents, deux images qui ont la même réalité sensible, seule réalité acceptable et constatable. De même enfin, si je m’approche d’une tour, c’est illusoirement que je dirai avoir à faire à une même tour ; en réalité, il se succède une multitude de phénomènes sensibles ou de groupes de phénomènes tous différents les uns des autres et ayant tous la même réalité. Nous trouvons un troisième exemple de thèse du même genre dans la philosophie bergsonienne. Bergson soutiendrait la même thèse que Berkeley sur la tour qui se rapproche ; il dirait que c’est par une simple construction que nous posons un invariant en mouvement local sur une troisième dimension de l’espace ; la vérité, c’est qu’il y a un changement général d’aspect, c’est que l’ensemble de mon contenu psychologique se modifie et que je ne puis légitimement, si je fais abstraction des modifications et des altérations introduites pour des nécessités pratiques, affirmer que ce changement. C’est le mérite du criticisme d’avoir substitué à la thèse de la vérité expressive celle de la vérité constructive. Peut-être est-il allé trop loin dans cette voie, nous l’avons montré l’année dernière, en développant les différentes formes de ce que nous avons appelé la vérité interprétative ; mais il n’en reste pas moins que sa théorie constitue dans le domaine de la perception et de la science, dans celui de l’édification de l’Univers, un progrès définitif. L’idée cesse d’être chez lui un état second, une expression et une traduction pour devenir une loi et en même temps une puissance de construction, dans la perspective de laquelle nous voyons se constituer l’objet construit. L’objet n’a maintenant d’existence que par le sujet ; c’est ce que Kant appelle sa révolution copernicienne ; il n’a de qualités, de propriétés que des qualités et des propriétés dérivées, apportées, tandis que celles de l’esprit sont originaires et apportantes. Pour reprendre des exemples et des expressions déjà utilisées, le temps étalé, milieu des objets, n’est qu’un temps dérivé, secondaire qui renvoie à la puissance spirituelle corrélative de déployer le temps, - l’espace étalé, déployé partes extra partes, renvoie à l’esprit-espace spatialisant, c’est-à-dire puissance de déployer l’espace ; et, par dessus tout, l’unité de structure qui appartient à l’objet, unité qui ne saurait se suffire à elle-même, renvoie, comme simple unité d’emprunt, comme unité apportée, à une unité organisatrice, constituante et apportante. Cette unité, dans le kantisme, est celle da la conscience. Il n’y a pas, il n’existe pas d’unité en soi de l’objet ou du monde des objets ; il n’existe d’unité de l’objet que par l’esprit, - et en tant que l’esprit fait l’unité de l’objet et des objets, cette unité est dite transcendantale. Ainsi, dans la théorie de la vérité constructive, la situation de l’esprit apparaît bien différente de celle qu’elle était dans celle de la vérité expressive. Dans le domaine de cette dernière vérité, l’esprit apparaît comme un point mathématique sur la ligne du temps et dans la sphère de l’espace, l’affirmant et l’affirmé ne coïncidant qu’en ce point. Dans la perspective de la vérité constructive, l’esprit est bien encore une unité, mais il est comparable à celle du sommet d’un angle d’où l’on voit diverger une multitude indéfinie de lignes couvrant un champ de plus en plus étendu. La sphère de l’affirmation légitime http://www.philopsis.fr PIERRE LACHIÈZE-REY Kant, Critique de la raison pure ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE uploads/Philosophie/ pdf-kant-analytique-transcendantale-lachieze-rey.pdf

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