tiré à part Karl Otto Apel penser avec Habermas contre Habermas traduit de l'al
tiré à part Karl Otto Apel penser avec Habermas contre Habermas traduit de l'allemand par Marianne Charrlère l'éclat ■ Avec celui d'Habermas, le nom de I Karl Otto Apel est associé au débat qui oppose la rationalité et l'éthique de la communi cation aux formes d'abandon ou d'adieu qui mar quent la philosophie contemporaine dans ses compo santes néostructuralistes ou pragmatiques : adieu à la métaphysique, à la raison, à la philosophie ou à l'universel. Encore qu'ils puissent être tenus pour engagés dans le même combat, Habermas et Apel divergent toute fois sur un point décisif qui concerne le statut de la communauté de la communication que réclame le concept de la raison communicationnelle et les exi gences de légitimation qui lui sont associées. C'est à cette question que Apel consacre ses réflexions dans ce texte récemment publié en Allemagne à l'occa sion des soixante ans de Habermas. L'hommage de Apel consiste en une reconstruction de la théorie habermassienne de l'activité communicationnelle destinée à mettre au jo u rje s difficultés internes qui lui sont propres. C'est en se plaçant dans cette pers pective que l'auteur reprend à son compte une for mule que Habermas, autrefois, avait appliquée à Heidegger : « Penser avec Haberm as contre Habermas ». L'échange auquel ce texte dense donne lieu peut être considéré comme une contribution majeure aux débats qui animent et divisent le champ de la philo sophie contemporaine, et dont le lecteur français, souvent privé des textes essentiels, n'a parfois qu'une connaissance limitée. Karl Otto Apel est né en 1924. Son ouvrage majeur « Transformation der Philosophie » (Francfort, 1973) n'est pas encore traduit en français. Seule la der nière partie a fait l'objet d'une publication séparée sous le titre : « L'éthique à l'âge de la science », Presses Universitaires de Lille, 1987. ISBN 2 905372-40-0 60 F Publié avec le concours du Centre National des Lettres Ce texte a paru dans le volume intitulé Zwischenbetrachtungen im Prozeß der Aufklärung édité par A, Honeth, T. Mac Carthy, C. Offe et A. Well- mer (Suhrkamp, Francfort, 1989). Titre original : Normative Begründung der « Kritischen Theorie » durch Rekurs auf lebens weltliche Sittlichkeit ? Ein transzendentalpragmatisch orientierter Versuch, mit Habermas gegen Habermas zu denken © 1989, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, pour le texte. © 1990, Editions de l’Eclat pour la traduction française. KARL OTTO APEL PENSER AVEC HABERMAS CONTRE HABERMAS traduit de Vallemand par Marianne Charrière « Tiré à part » EDITIONS DE L’ÉCLAT P e n s e r a v e c H a b e r m a s c o n t r e H a b e r m a s La Moralité du monde vécu peut-elle assurer à la « Théorie critique » un fondement normatif ? I. Traits préliminaires : Tentatives pour déterminer l’enjeu du différend à partir d’un horizon commun. A l’occasion du colloque de 1985, consacré à la Théorie de l’ Activité Communicationnelle,* je me suis engagé dans une tentative de reconstruction du développement de 1 ’« archi tectonique » philosophique habermassienne depuis Connais sance et Intérêt,** dans l’intention d’en confronter l’élabo ration théorique avec mes propres recherches parallèles. N’ayant pu mener cette tentative à son terme, ni en donner une publication, j’ai d’abord envisagé de la reprendre pour en faire l’objet de la présente présentation. Il me faut cepen dant avouer que la possibilité d’y parvenir de façon satis faisante ne me paraît pas ici envisageable, si bien qu’il me faudra, une fois encore, en repousser l’exécution. A défaut, je m’efforcerai donc de m’attacher, aussi directement que possible, au point central qui nous oppose Habermas et moi, comme cela s’est manifesté au fil des ans. S’agissant de ce * J. H a ber ma s, Théorie de l ’agir communicationel 2 voll. trad, franc. J. M. Ferry et j. L. Schlegel, Fayard, Paris, 1987. ** J. Ha b e r ma s, Connaissance et Intérêt, trad franç. G. Clemençon et J. M. Brohm, Gallimard, Paris, 1976. 7 différend, je préciserai toutefois qu’il concerne moins nos projets philosophiques respectifs que nos stratégies concep tuelle et argumentative. Mais je voudrais également soute nir que ce que je tiens pour un tel différend appartient à ce point à la pensée d’Habermas qu’il en menace la cohé rence, voire la consistance. Comment donc en soumettre l’objet à la discussion de manière aussi directe que possible ? La façon la plus rapide d’y parvenir consiste à se tourner vers la signification pouvant être prêtée à l’abandon de la reconstruction, et à confronter les deux conceptions archi tectoniques qui sont les nôtres. Un tel abandon ne m’inter dira pas, par la suite, de faire appel à une représentation vague des horizons de précompréhension qui doivent être reconstruits, puisque c’est en eux que résident les « ressour ces » [Hintergrund-Ressourcen] spécifiques du « monde vécu » [Lebenswelt], dont dépend toute possibilité d’entente mutuelle, conformément à la conceptualisation qu’en a don née Habermas dans la Théorie de l’ Activité Communication nelle (abrégée désormais TAC). Selon Heidegger et Gada- mer, il s’agit ici de la « préstructure » de la factualité de l’être-au-monde-comprenant, structure antérieure à toute entente mutuelle actuelle et qui la rend possible). Que de telles ressources de l’entente mutuelle ne soient pas seule ment présupposées dans le quotidien mais aussi, et ce en permanence, au niveau de la discussion argumentée de la phi losophie, là-dessus nous sommes effectivement en accord, Habermas et moi. Sur ce point, la position d’une pragmati que universelle (formelle) et celle d’une pragmatique transcen dantale se rejoignent. A ce titre, nous sommes tous deux héri tiers de 1 ’hermeneutic linguistic pragmatic tum de la philoso phie contemporaine et nous sommes en accord avec des pen seurs tels que Wittgenstein, Heidegger, Gadamer, Searle1 et Richard Rorty.2 1. Cf. J. Se a r l e, Intentionality, Cambridge University Press, 1983 : chap. 5, « the Background ». [L ’intennonalité, trad. franç. C. Pichevin, éd. de Minuit, Paris, 1985], 2. Ce qui ne signifie pas, je pense, qu’il faille accepter la thèse selon laquelle il n’y a de base consensuelle que contingente, thèse par laquelle Rorty définit son historisme. Cf. ma discussion de l’article de Ro r t y « Der Vorrang der Demokratie vor der Philosophie » (Zeitschrift für philosophische Forschung, 41, 1988 : 13-17) : in « Zurük zur Normalität ? Oder könnten wir etwas 8 Toutefois, ce qui pourrait bien se révéler obscur et prêter à controverse entre Habermas et moi, c’est la réponse que réclame la question : est-il suffisant (ou en tout cas néces saire) pour la discussion philosophique de faire appel aux mêmes ressources d’entente mutuelle que celles du monde vécu, c’est-à-dire à des certitudes qu’on ne peut factuelle ment mettre en doute,3 certitudes qui ne sont même pas totalement objectivables et qui, à ce titre, ne peuvent être dépassées dans la vie pratique ? Mais en tant que certitudes d’une « forme de vie » au sens wittgensteinien,4 elles auto risent, concrètement, la mise en doute de telle ou telle con viction ou des accords concrets théoriques ou pratiques (con sensus, agreement) sur des questions litigieuses. Ou encore : la « discussion argumentée » qui doit être comprise comme une forme réflexive de la communication du monde vécu (sur ce point, pragmatique formelle et pragmatique trans cendantale tombent d’accord) peut-elle et doit-elle non seulement recourir aux ressources mentionnées qui appartien nent aux formes de vie socio-culturelles, mais en outre à celles qui la rendent possible en tant que discussion argu mentée et la font prévaloir sur les formes de communica tion du monde vécu (présuppositions dont on peut s’as surer réflexivement) ? La discussion philosophique que la réflexion critique sur la contingence historique des cer titudes d’arrière-plan de toutes les formes de vie socio culturelles a rendue possible, systématiquement et histo riquement, peut-elle et doit-elle par exemple, à côté de l’interprétation relativisante des choses, faire simultanément appel à des présupposés nouveaux ? c’est-à-dire des présup posés d’entente mutuelle non pas historiques-contingents mais irréfutablement universels qui, en tant qu’ils fondent la possi bilité du doute et des limites du doute et constituent à ce Besonderes gelernt haben ? » in K. O Ape l , Diskurs und Verantwortung : Das Problem des Übergangs zur postkonventionellen Moral, Suhrkamp, Franc fort, 1988. 3. Cf. C. S. Pe ir c e sur le « Paper doubt » dans sa critique de Descartes (Collected Papers 5. 265). Peirce, assurément, a établi plus tard, dans son article « Faillibilismus, Continuity and Evolution » in Collected Papers 1. 141-175, qu’en dépit des certitudes indubitables à un niveau méta- méthodologique, la réserve du principe faillibiliste peut être maintenue. 4. Cf. L. Wit t g e n s t e in , Über Gewißheit, Suhrkamp, Francfort, 1970 ; [De la Certitude, trad, franç. J. Fauve, Galimard, Paris, 1976], 9 titre la fondation philosophique ultime des prétentions à la validité, transcendent par principe les ressources relativi- sables des formes de vie historiques-contingentes et sont, à ce titre, transcendantaux ? uploads/Philosophie/ penser-avec-habermas-contre-habermas-karl-otto-apel-final.pdf
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- Publié le Jul 13, 2022
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