LA PERTURBATION CONCEPTUELLE : OUTIL POUR DÉPASSER LES OBSTACLES Marie-Louise Z
LA PERTURBATION CONCEPTUELLE : OUTIL POUR DÉPASSER LES OBSTACLES Marie-Louise Zimmermann-Asta La "perturbation conceptuelle" s'appuie sur la prise en compte des "conceptions-obstacles" des apprenants. Utilisée dans un enseignement centré sur l'élaboration du savoir par l'apprenant elle permet à l'élève de construire des conceptions de plus en plus scientifiques. Seize années d'expérimentation sur le terrain éducatif, dans des conditions réelles, ont permis de tester ses effets et de préciser ses conditions d'utilisation. 1. LE CONCEPT nouveau concept conflits Le concept de "perturbation conceptuelle" (Zimmermann- Asta, 1990) recouvre tous les éléments perturbateurs choi- sis par l'enseignant pour déstabiliser les modèles explicatifs de l'élève. Plutôt que de tenter de définir ce nouveau concept, ce qui serait une gageure, voici quelques idées qui permettront de le clarifier par comparaison à d'autres concepts didactiques. Conçue comme moyen pour agir sur les conceptions, la "perturbation conceptuelle" s'appuie, entre autres, sur la connaissance des "conceptions-obstacles" qui ont été défi- nies comme des "conceptions initiales qui n'évoluent pas" si on ne leur fait pas subir des traitements particuliers (Zimmermann-Asta, 1990). Ces "conceptions-obstacles" ne sont pas considérées comme "des obstacles à éliminer mais comme des "ponts" vers la construction de conceptions plus évoluées" (Zimmermann-Asta, 1996). La "perturbation conceptuelle" est utilisée dans le cadre d'un modèle d'apprentissage et non d'un modèle d'enseigne- ment et c'est en termes constructivistes que le processus d'apprentissage est décrit. Caractérisée par le fait qu'elle s'appuie sur des éléments en opposition avec la pensée des élèves, la perturbation conceptuelle a été conçue dans le cadre d'une approche qui privilégie la construction du savoir par l'apprenant, l'apprentissage par l'autonomie, et qui a été influencée par le constructivisme didactique avec les axiomes suivants : "l'apprenant est l'artisan de ses propres connaissances", "la connaissance se construit en prenant appui sur les connaissances précédentes" et "la connaissance se construit à partir des perturbations et grâce aux conflits". Alors que le "conflit conceptuel" (Giordan et De Vecchi, 1987) se centre sur le conflit de l'élève face à la réalité expé- rimentale ou face à ses pairs, la "perturbation conceptuelle" est un procédé didactique choisi et exploité par l'enseignant, ASTER N° 25. 1997. Enseignants et élèves face aux obstacles, INRP, 29, rue d'Ulm, 75230 Paris Cedex 05 176 qui conçoit son enseignement en fonction des turbulences qu'il veut mettre en œuvre. Le conflit est fondamental pour provoquer les changements conceptuels, mais il doit être géré par l'enseignant de façon à ce que les apprenants puis- sent opérer ces changements. Le "conflit socio-cognitif (Perret-Clermont, 1986) met plus particulièrement l'accent sur l'opposition des opinions expri- mées dans des relations sociales relativement codifiées. La perturbation conceptuelle le met en jeu, mais comme un moyen parmi d'autres. Elle s'appuie sur l'étonnement, - et nous rejoignons Legrand (1972) quand il dit que "c'est la culture de l'étonnement chez l'enfant qui pourra seule entretenir et enrichir une ouverture intellectuelle indispensable à tous progrès ultérieurs "-, mais elle n'en fait pas le ressort unique de création de turbu- lences. Elle ne se centre pas sur le "développement conceptuel" (Désautels, 1989), mais sur les conditions qui favorisent ce développement conceptuel. "L'idée de confrontation apparaît comme un des éléments essentiels dans l'approche des mécanismes du développe- ment conceptuel" (Giordan et De Vecchi, 1987). En contra- diction avec les conceptions de l'apprenant, la perturbation conceptuelle suscite une démarche personnelle de change- ment. Elle crée donc "un déséquilibre culturel" qui facilite une évolution, et semble être un élément favorable à la conceptualisation. Elle s'utilise dans le cadre d'une certaine "stratégie du dérangement épistémologique" (Désautels, Larochelle, 1993) qui s'appuie sur les éléments suivants : le savoir scientifique nouvelle est construit ; le savoir scientifique est négocié. Dans le stratégie cadre dans lequel j'enseigne, les apprenants sont bien conscients que de véritables situations de recherches ne sont pas proposées, que les solutions ont déjà été trouvées et qu'ils sont dans une situation de redécouverte. Néanmoins, dans la classe, le savoir est discuté, négocié entre pairs. En aucun cas la réponse n'est divulguée ou imposée par l'enseignant. La classe joue alors le rôle d'une "micro-société scientifique" élaborant un "micro-consensus scientifique". Ce travail permet de démythifier la science. Il ne suffit pas d'une évidence empirique contradictoire pour amener l'élève à abandonner ses conceptions et à en acqué- rir d'autres plus scientifiques. Diverses perturbations sont souvent nécessaires pour provoquer un changement conceptuel. Elles viennent compléter les stratégies didac- tiques déjà connues et augmentent ainsi la variété des tac- tiques éducatives. Comme le soulignent Maria Area et Silvia Caravita (1993), "apprendre à évaluer des processus d'apprentissage, diffé- rents pour chaque enfant, est particulièrement difficile et ne correspond pas aux objectifs de "standardisation culturelle" que l'école s'est fixés". La perturbation conceptuelle ne peut 177 donc s'utiliser que dans un contexte où un contrat didac- tique autre a été établi, où la diversité individuelle est consi- dérée et où l'évaluation ne porte pas, comme traditionnellement, sur les connaissances acquises mais prend en compte les processus d'apprentissage (évaluation de la qualité de la démarche, de la participation à la mise en commun, etc.). 2. L'APPROCHE PÉDAGOGIQUE "APA" 2.1. Qu'est-ce que "l'apprentissage des sciences par l'autonomie"? L'approche pédagogique, appelée apprentissage des sciences par l'autonomie (APA) (1), que j'ai créée et expérimentée depuis seize annés à l'École de Culture Générale Jean Piaget de Genève (2), s'inscrit directement dans la ligne des tra- vaux de didactique et d'épistémologie des sciences, et parti- culièrement dans le cadre des travaux du laboratoire de didactique et d'épistémologie des sciences (LDES). Centrée sur celui qui apprend, elle vise à lui permettre de s'approprier concepts et démarches scientifiques en évitant de plaquer des informations sur ses structures de pensée ou de lui faire répéter des formules vides, des mots creux dont il n'a compris ni le sens ni l'utilisation. C'est ce qu'on pourrait appeler une "pratique pédagogique A P A pratique structurée". En situation de terrain, cette pratique pédago- pédagogique gique s'est précisée, modifiée, étendue à plus d'élèves, plus structurée d'enseignants, ainsi qu'à d'autres degrés d'enseignement, tout en restant limitée à l'enseignement de la physique, car c'est pour ce champ d'action que, pour le moment, tous les auxiliaires didactiques ont été conçus. C'est aussi une pra- tique structurée. Elle s'est nourrie de diverses théories de la construction du savoir, de pratiques pédagogiques, de nou- velles recherches, de travaux réalisés avec les enseignants de l'École Jean Piaget et l'équipe de recherche du LDES. On peut donc parler d'un modèle pédagogique issu d'une pra- tique théorisée. (1) Pour plus de détails se référer à : ZIMMERMANN-ASTA M.-L., PAILLARD B., (1987), Appren- tissage des sciences par l'autonomie APA, Genève, LDES, Université de Genève. ZIMMERMANN-ASTA M.-L., (1996), Sur les chemins de l'ap- prendre, Genève, Les Editions du CEFRÂ. (2) École Jean Piaget : élèves en scolarité post-obligatoire (16 à 19 ans), entreprenant trois années d'études pour obtenir un diplôme de culture générale. Dans le cadre de l'école de culture générale pour adultes (ECGA), l'école reçoit des étudiants adultes désirant obtenir un diplôme ou des compléments scientifiques au diplôme. 178 À l'École Jean Piaget, cette nouvelle pratique pédagogique a été généralisée par décision du corps professoral concerné, pour tout l'enseignement des sciences expérimentales (phy- sique et chimie) en première année (âge moyen des élèves : 16 ans). Des analyses effectuées sur des populations d'une cinquantaine d'élèves chacune ont montré que les connais- sances acquises par les élèves en pédagogie APA étaient meilleures que celles qu'obtenaient les élèves suivant un enseignement traditionnel. Le modèle APA demande aux enseignants un changement de conceptions pédagogiques ; il ne peut être imposé. En 2ème et 3ème année (physique) deux pratiques pédago- giques coexistent donc dans cette école : l'enseignement tra- ditionnel et l'APA. Les thèmes et les examens sont communs. Certains maîtres de physique d'un cycle d'orientation gene- vois (3) utilisent cette pédagogie. 2.2. Caractéristiques générales L'élève est pris en compte au niveau de ses caractéristiques propres, mais aussi au niveau de ses conceptions et de ses mécanismes d'apprentissage. Le développement de l'autono- mie est considéré comme un élément fondamental pour soi- même et pour la réussite des études ultérieures. Le travail de l'enseignant ne consiste plus à transmettre des connaissances à l'élève, mais à lui offrir les conditions d'une appropriation appropriation du savoir scientifique. Le maître se situe un du savoir peu en retrait, laissant la scène à l'apprenant. Son rôle n'est pas négligeable, mais il est différent. Il est un médiateur entre les connaissances et l'élève, et ceci dans un contexte institutionnel qui n'est pas occulté, même s'il n'apparaît pas directement sur le schéma de la page suivante. L'enseignant s'appuie sur les contenus d'enseignement, les théories de l'apprentissage, son expérience pédagogique pour construire des aides didactiques appropriées. Celles-ci sont conçues pour amener l'élève à chercher, à réfléchir. (3) Cycle d'orientation de Bois Caran à Genève. Un cycle d'orientation est une école obligatoire du secondaire inférieur, accueillant les élèves de 12 à 15 ans. 179 / contenus \ l d'enseignement / théories \ de J l'apprentissage J Schéma extrait de Sur les chemins de l'apprendre (Zimmermann-Asta, 1996) créativité recherche des conceptions et des procédures 2.3. Les différentes phases uploads/Philosophie/ perturbation-conceptuel.pdf
Documents similaires
-
22
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 30, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.3179MB