Cette conférence sur Hegel, prononcée par mon père à Amsterdam et restée jusqu’
Cette conférence sur Hegel, prononcée par mon père à Amsterdam et restée jusqu’ici inédite, je l’offre à mon ami François Fédier, à l’occasion de son soixante-cinquième anniversaire, avec mes meilleurs vœux et en témoignage de reconnaissance et d’affection Attental, mai 2000 Hermann Heidegger Hegel et le problème de la métaphysique a Conférence prononcée le 22 mars 1930 devant la Société scientifique d’Amsterdam Martin Heidegger La seule manière essentielle d’être réellement à l’écoute d’un autre philosophe – qu’il soit contemporain ou antérieur – est d’entrer avec lui dans une explication de fond [Auseinandersetzung]. Mais loin de dégénérer jamais en conflit et en polémique, l’explication de fond est une lutte. Ceux qu’elle met aux prises visent le même, c’est-à-dire, ils s’engagent l’un pour l’autre dans le même questionnement. La lutte est d’autant plus essentielle que la question posée tient davantage à cœur et n’en est que plus simple. Nous tient à cœur ce questionnement qui naît du fond de l’existence de celui qui questionne pour retourner dans ce fond et s’approfondir toujours plus en lui. L’explication philosophique essentielle n’est pas affaire d’érudition ; tout au contraire, elle est toujours au plus profond urgence inhérente à l’existence de l’homme. Dans notre explication de fond avec Hegel, il y va de la métaphysique. Nous posons avec Hegel cette question fondamentale de la philosophie qui, sitôt qu’elle est effectivement posée, fait de la métaphysique un problème, ce qui a pour effet de transformer la philosophie en entier. Mais l’explication de fond avec la métaphysique de Hegel n’est pas une explication quelconque ; cette métaphysique n’est pas simplement une métaphysique parmi d’autres, c’est celle dans laquelle la métaphysique occidentale atteint son accomplissement. Avec Hegel, nous posons cette question fondamentale qui, lorsqu’elle s’éveilla à l’aurore de la philosophie occidentale, se vit imprimer une certaine direction où elle se trouva inscrite dans un certain cadre dont elle ne put sortir. Sous la forme qu’elle a prise, cette manière de traiter la question a Hegel et la question fondamentale de la métaphysique, question qui, sitôt posée, fait de la métaphysique comme telle de fond en comble un problème, autrement dit : transforme la philosophie en entier. 1 fondamentale est connue sous le nom de “métaphysique”, terme qui en est venu à désigner une discipline de l’enseignement philosophique et une des articulations du système de la philosophie. Or quand c’est avec Hegel que nous nous expliquons, il ne s’agit pas de la métaphysique en tant que matière d’enseignement et composante du système, mais bien de la question fondamentale – qui peut certes comporter toutes choses de ce genre mais ne les exige pas nécessairement – il s’agit donc du problème de la métaphysique. C’est face à cette question fondamentale que nous plaçons la métaphysique de Hegel. Celle- ci n’est pas une métaphysique quelconque parmi d’autres ; elle est, au contraire, l’accomplissement de la métaphysique occidentale toute entière. Poussant l’antagonisme à son comble, l’explication avec elle y gagne un maximum d’intensité et d’acuité qui confère à la lutte un caractère vital et essentiel. Cette explication de fond avec Hegel va indirectement contre toute espèce de hégélianisme ; il ne saurait en être autrement, car tout philosophe étouffe et est vidé de sa force par cela que – quelque soit la manière – on le rénove. Mais la question fondamentale que nous contraignons Hegel à poser avec nous, nous ne sommes pas en droit de la lui imposer. Elle doit se déployer pour nous comme la question la plus pressante de sa métaphysique, comme la question qui, à vrai dire, est justement demeurée non posée dans la métaphysique de Hegel comme dans toute métaphysique antérieurement à lui. Il importe en conséquence de faire d’abord bien voir le caractère fondamental de la métaphysique de Hegel. L’explication de fond s’en trouvera mise en route. Elle parcourra, en tout, trois étapes que nous indiquons par les titres suivants : I°) Le caractère fondamental de la métaphysique de Hegel. II°) L’absence de la question fondamentale de la métaphysique dans la métaphysique de Hegel. III°) Poser effectivement la question fondamentale de la philosophie. I°) Le caractère fondamental de la métaphysique de Hegel. Afin de fixer le caractère fondamental de la métaphysique hegelienne, nous prendrons les devants en posant cette thèse : la métaphysique de Hegel est (une) « logique »b et être une logique est justement ce qui fait d’elle l’accomplissement de la métaphysique occidentale. Pour étayer cette thèse, il nous faut apporter réponse aux deux questions qu’elle contient : b Il vaudrait mieux dire « théo-logique ». Cf. Semestre d’hiver de 1930-1931. [M. Heidegger, Hegels Phänomenologie des Geistes. Freiburger Vorlesung Wintersemester 1930-1931, GA 32, (Ed. I. Görland), Francfort, Klostermann, 1982 ; « La Phénomenologie de l’esprit » de Hegel, tr. fr. E. Martineau, Paris, Gallimard, 1984. 2 1°) Dans quelle mesure la métaphysique est-elle pour Hegel (une) logique ? 2°) Dans quelle mesure la métaphysique de Hegel, justement parce qu’elle est (une) logique, vient-elle accomplir la métaphysique occidentale ? 1°) Dans quelle mesure la métaphysique est-elle pour Hegel une logique ? C’est Hegel lui-même qui a donné à son œuvre philosophique maîtresse, celle qui a constitué le couronnement de toute son évolution interne et à qui devait revenir de porter, déterminer, et embrasser son système dans son déploiement le plus poussé, le titre : Science de la logique. Et il dit dans la première édition de l’œuvre : « …la science logique, qui constitue la métaphysique proprement dite ou la pure philosophie spéculative, s’est vue jusqu’à présent encore très négligée.1 » Mais ce ne sont pas des constatations de ce genre qui nous ferons avancer dans ce qu’il y a à entendre quand Hegel fait de la logique la teneur même de la métaphysique ; au fond, nous n’atteignons rien du tout et tombons au mieux dans un malentendu si par “logique” nous entendons la discipline scolaire banale dont le contenu « s’est transmis au fil des générations, mais en diminuant de volume et en se réduisant à une maigreur squelettique à mesure qu’il se transmettait. » (ibid. p. 4) Mais là où nous lisons “logique”, il n’est pas permis de penser à la discipline scolaire de la tradition. Cette logique traditionnelle doit justement être amenée à disparaître dès lors qu’en prenant le nom de science elle acquiert un point d’ancrage supérieur et s’en trouve « métamorphosée du tout au tout. » (ibid. Introduction, p. 24). Ce n’est qu’en entendant comme il faut le nouveau concept de la logique que nous serons en état de concevoir dans quelle mesure c’est elle qui est la véritable métaphysique. Le moyen le plus sûr et le plus vivant de parvenir au nouveau concept de “logique” en tant que métaphysique, c’est de pénétrer dans l’œuvre même de Hegel pour arriver à l’exposer. Or c’est là une entreprise qui dépasse le cadre d’une conférence, pas seulement pour la raison que l’œuvre est trop volumineuse et trop ardue quand on entre dans tous ses détails, mais parce qu’il est dans la nature de cette Science de la logique de ne pas se prêter à un compte-rendu, et qu’on ne peut que refaire pour son propre compte le travail accompli par Hegel. Comment alors nous en sortir ? En nous efforçant en tout cas de pénétrer dans cette œuvre, c’est-à-dire de débuter effectivement par le commencement de cette logique. Et là, ce qui en fait la particularité nous saute déjà aux yeux de manière suffisamment lisible. Mais tout d’abord il nous faut rappeler brièvement en quoi consiste la logique en sa conception traditionnelle. C’est à quoi peuvent servir les définitions que Kant et Christian Wolf ont données de cette discipline philosophique. Dans le manuel destiné à accompagner ses cours de logique, Kant dit, dans l’Introduction I : nous appelons logique la science des lois nécessaires de l’entendement et de la raison (jugements, concept, syllogisme), ou, ce qui 11 G.W.F. Hegel, Science de la logique [texte allemand] édité par Georg Lasson. Leipzig, Meiner (Ph. B. 56), 1923, p. 5 3 revient au même, la science de la simple forme de la pensée.2 c Pour ce qui concerne Wolf : Ea philosophiae pars, quae usum facultatis cognoscitivae in cognoscenda veritate ac vitando errore tradit, Logica dicitur… per scientiam dirigendi facultatem cognoscitivam in cognoscenda veritate3. [La partie de la philosophie qui explique comment se servir de la faculté cognitive pour connaître la vérité et éviter l’erreur s’appelle la logique…<où l’on apprend> à connaître la vérité grâce à la science qui enseigne à diriger la faculté de connaître.] Au sens traditionnel du mot, la logique a pour objet les simples formes de la pensée ; la structure des différentes manières de penser – sans tenir compte de ce qui est précisément pensé quand on pense, à savoir que ce qui est pensé et connu est toujours, en quelque sorte, un étant. En tant que ce sur quoi nous pensons chaque fois que nous pensons, l’étant est, par principe et définitivement, exclu de la logique. Or comment la Logique de Hegel commence-t-elle pour situer thématiquement de quoi elle uploads/Philosophie/ hegel-et-le-probleme-de-la-metaphysique-heidegger.pdf
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- Publié le Aoû 02, 2022
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