Jean PETITOT Jean Cavaillès et le Continu 1 Introduction 2 Intuition et His
Jean PETITOT Jean Cavaillès et le Continu 1 Introduction 2 Intuition et Histoire EHESS & CREA, petitot@poly.polytechnique.fr Transni et Continu évolution- niste historiciser Je remercie beaucoup les organisateurs de cette rencontre, et en particulier Jacques Bouveresse, pour leur invitation. Il est pour moi très émouvant dêtre ici dans la mesure où Jean Cavaillès a été pour moi un maître et un idéal en philosophie des mathématiques et aussi parce que je partage sa culture protes- tante (jai été entre autres bercé dans mon enfance par des références aux débats davant guerre sur Karl Barth à la Faculté de Théologie protestante de Paris). Je vais parler de philosophie des mathématiques et plus précisément de . Dans cet ouvrage, Cavaillès aborde plusieurs problèmes et je retiendrai ici trois dentre eux. 1. Le problème du continu et linsuffisance de son arithmétisation à la Dedekind; 2. La théorie des ensembles constructibles de Gödel; 3. La nécessité de concilier la permanence de la vérité objective et le devenir de la dialectique historique en mathématique. Je commence par ce dernier point qui repose sur une conception de lintuition. Je vais retrouver à son propos un certain nombre de choses déjà exposées par Gerhard Heinzmann. La conception de lintuition que lon trouve chez Cavaillès est particulièrement intéressante. Il part de Kant, de la problématique centrale du schématisme et de la construction de concept, mais pour en le contenu. Cavail- lès fait partie de ces philosophes qui, comme les néo-kantiens de Marburg, 1 1 2 1 2 Transni et Continu Philosophie mathématique autonomie nest pas donnée actualisation continue simplique historicisés Sinaceur [1994], p. 11. Les références à dans le recueil de 1962 seront faites dans le texte. Antonio Ban ou Gonseth, ont cherché à historiciser Kant sans pour autant lhegelianiser. Comme Hourya Sinaceur y a insisté, lopposition de lhistoire [héritée de Léon Brunschvicg] à la logique marquera litinéraire de Cavaillès. . L des mathématiques si chère à Cavaillès est inséparable dun devenir historique original, interne et intrinsèque. Sa thèse (déjà citée par Heinzmann) est que : Lintuition dans sa quiddité progresse parallèlement à lenchaîne- ment dialectique des concepts (p. 273). Cela signie que lintuition en tant quirréductible, passive et originaire, mais quelle est elle-même évolutive, historique au sens dune temporalité évolutionniste. Il ny a pas dabsolu initial. Cavaillès développe ainsi lidée particulièrement riche dune de lintuition, lidée dune superposition intuitive. Une telle thèse exige évidemment une redénition de lintuition. Pour Cavaillès elle [lintuition] nest que la manifestation pour la conscience em- pirique dune indépendance relative des méthodes et des théories (p. 273), Intuitif est synonyme de conscience effective (ou effectuante), tran- scendantal de constitutif (ou constituant), relativement à un système conceptuel donné. (p. 274, cf. lexposé de G. Heinzmann). Le conceptuel donc dans lintuitif et cest pourquoi la solution dun problème est à même de réactualiser lintuition. On comprend dès lors pourquoi chez Cavaillès lintuition, dans la mesure même où elle est réactualisable, peut accompagner la dialectique du concept et pourquoi, en ce sens, le lien entre cette superposition intuitive et la dialectique du con- cept reste le problème fondamental de la philosophie mathématique. On voit ainsi comment les deux ordres transcendantaux kantiens hétérogènes de lintuition et du concept se retrouvent : 2 transcendantalisme évolutionniste schématisme construction de concept cest lui qui fait de lobjet le corrélat de la méthode Cri- tique de la Raison pure überhinausgehen jugements synthétiques sub- sistent par essence lintuition (lesthétique transcendantale) shistoricise en superposition in- tuitive réactualisée, intuition liée à des pratiques effectives et non plus à une donation originaire à la Husserl; la catégorialité (lanalytique transcendantale) shistoricise en dialectique du concept. Cest en ce sens que Cavaillès développe ce que jappelle un adaptant à une philosophie transcendantale des mathématiques laffirmation que les a posteriori de la phylogenèse sont des a priori de lonto- genèse. La conquête majeure effectuée par Cavaillès dans cette perspective est alors celle dune historicisation du et du processus de qui, chez Kant, relient les ordres hétérogènes de lintuition et du con- cept. (i) Le schématisme constitue une inspiration fondamentale pour Cavaillès car , le corrélat dactes réglés, et permet de rompre avec les hypostases platoniciennes dobjets transcendants. (ii) Mais Cavaillès reprend aussi, et surtout, le concept de construction qui approfondit le schématisme et reformule laffirmation kantienne que, dans la construction (exemple du triangle) je dois sortir du concept pour aller à des propriétés qui ne se trou- vent pas dans le concept, mais qui pourtant lui appartiennent ( , Pléiade p. 1301, A 718 / B 746), cet acte de sortir du concept ( ) se révélant être la condition de possibilité des , se trouver dans le concept corre- spondant aux jugements analytiques alors que ne pas se trouver dans le concept tout en lui appartenant correspond aux jugements synthétiques. Lopposition analytique / synthétique renvoie ainsi chez Kant, par rapport aux contenus conceptuels, à une opposition intériorité / extériorité. Cavaillès reprend cette thèse centrale. Chez lui la construction de lintuition concilie la domination conceptuelle avec une multiplicité dobjets qui lui procure [à lobjet] une sorte dindépendance par rapport à tout contenu actuel de pensée (p. 271). Il y a bien comme chez Kant une extériorité. Mais chez Kant, et Cavaillès le critique sur ce point, il y a en plus lidée dune connaissance intuitive où multiplicité et extériorité , 3 3 Le problème du continu historiciser une relativité pratique quactivité constructive effective développement dialectique et par conséquent lidée dune construction intuitive, qui soumet cette extériorité à lunité sans labolir comme telle, parce quelle reste à la fois à lintérieur et à lextérieur du concept (p. 272). Pour cette conception kantienne, ainsi parfaitement reformulée en approfondissant la thèse de Brunschvicg que la théorie de la vérité nest pas extérieure au processus historique de la connaissance, il faut que la référence à lintuition suppose de cette intu- ition à dautres schèmes, dautres enchaînements réglés (p. 272). Ainsi, à chaque progrès mathématique, la zone intuitive se trouve constituée des systèmes de schèmes qui, à un étage inférieur, opèrent dans les formalismes précédents. Cavaillès trouve donc dans lhistoricisation de Kant les sources dune con- ception (pragmatique même) des mathématiques en tant se distinguant de lanalyse conceptuelle purement logique. Hourya Sinaceur a bien insisté sur cet aspect des choses. Et cest précisément en arrivant à historiciser le transcendantal quil peut concilier vérité objective et valeur historique car ce qui marque lhistoire est la soumission du transcendantal à ses étapes (p. 274). Et lhistoire transcendantale dépasse lhistoire empirique. Cest leur [celui des liaisons intellectuelles schématisantes] qui assure à la fois le mouvement de celles-ci et [. . . ] la permanence de leur validité (p. 274). Se référant à Leibniz pour qui, on le sait, le continu était un labyrinthe, Cavaillès considère que le problème du continu reste, comme au temps de Leibniz, une croix ou la croix de la philosophie mathématique (p. 255). 4 ℵF ( ) ℵ ℵ ℵ F 2 2 ( ) 2 = une intuition géométrique sous-jacente un excès intuitif limagination spatiale guide garantie quelconque sous- déterminée Et il insiste sur le fait que larithmétisation à la Dedekind reste très insuffisante dans la mesure où il y demeure fondant loriginalité et lunité du représenté par rapport aux rela- tions arithmétiques accidentellement réunies pour lui dans un en- chaînement extrinsèque (p. 255). Il existe donc en quelque sorte sur la maîtrise et la domi- nation symbolique. Cavaillès est très clair sur ce point anti-logiciste puisquil va jusquà affirmer que reste aussi bien un pour lenrichisse- ment des raisonnements quune pour leur évidence. Heuristique, garantie, évidence, on retrouve ici une thèse récurrente de tous les continuistes (ou synéchologistes) aristotéliciens de Herbart à Thom en passant par Peirce, Poincaré, Enriques, Weyl, etc. Selon Cavaillès, lespoir de Cantor et Dedekind de pouvoir éliminer le géométrique de lanalyse grâce à la notion densemble (p. 255) et de ramener lespace et le temps au nombre na pas été réalisé. Cavaillès pointe très bien la difficulté centrale. 1. Larbitraire de la loi dengendrement [de la plupart] des irrationnels (p. 255). 2. La séparation apparue dès les premiers travaux de Cantor entre théorie cardinale et théorie ordinale. Les deux problèmes sont liés. Si la puissance du continu reste inconnue, cest parce quil ny a pas de loi dengendrement des réels et que cest la notion [non effective, non constructible] du qui donne sa base logique à lunité de lensemble et à la réalité de sa puissance (p. 256). Pour reprendre lexpression de Feferman, on pourrait dire que la question de la valeur de est inherently vague. Cavaillès avait une conscience très nette du fait que la dénition des or- dinaux est ZF-absolue alors que celle des cardinaux ne lest pas du tout, et même que ZF et ZFC laissent larithmétique des cardinaux maximalement . En termes contemporains, postérieurs au forcing de Cohen, cette indétermination est magniquement mise en lumière par le théorème dEaston. Dans un univers modèle de ZFC, soit la fonction dénie sur les uploads/Philosophie/ petitot-jean-cavailles-et-le-continu-pdf.pdf
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- Publié le Jul 26, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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