La philosophie peut se penser selon plusieurs modalités dont celle de la produc
La philosophie peut se penser selon plusieurs modalités dont celle de la production. La question est donc : qui écrit le texte philosophique ? Car si l’on examine les topoi de la philosophie occidentale , on s’aperçoit que l’œuvre philosophique est centrée sur la notion de sujet et plus exactement de l’unité du sujet à partir des trois axes qui constituent cette tradition philosophique : 1. L’axe socratique qui est fondé sur le « connais-toi toi-même ». A partir de cet axe va se créer un « souci de soi » qui est proprement caractéristique de la réflexion philosophique. Même si évidemment la question du sens de la formule va hanter toute la philosophie et la tirailler constamment vers des sens parfois opposés. Il n’en reste pas moins que si comme le prétend Socrate « se connaître soi-même…c'est là ce qui constitue la sagesse » ( Charmide de Platon ), alors on pourrait penser peut-être rapidement, que le but de la philosophie n’est pas la dispersion mais la concentration sur ce qui en moi constitue mon moi. 2. L’axe cartésien avec le « Je pense donc je suis » que l’on a tendance à interpréter comme une solitude de pensée. « Je demeurais tout le jour seul, enfermé dans un poêle, où j'avais tout loisir de m'entretenir de mes pensées. » dit Descartes dans le discours de la méthode. On voit bien que lorsque l’on enchaine ces topoi de la philosophie occidentale, on peut avoir l’illusion que Descartes répond à Socrate en quelque sorte, à savoir que pour se connaitre soi-même , il faille passer par l’expérience du poêle ! ET rester plusieurs jours, blotti sous les couvertures ou approcher du feu avec un morceau de cire si possible … 3. Enfin l’axe Kantien qui reprend le « sapere aude » d’Horace, qui devient la devise des Lumières de Kant : « Le mouvement des Lumières est la sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable, puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. » Qu’est-ce que les Lumières . 1784. Il est tout-à-fait possible à partir de ces trois topoi une caricature du philosophe à la Arcimboldo en construisant le collage suivant : est philosophe celui ou celle ayant courageusement décidé de se connaitre lui-même et faisant l’épreuve obligatoire d’une solitude de la pensée ou de l’écriture. Il va de soi également que comme toute caricature , le portrait en question contiendrait néanmoins une part de vérité. Cette caricature a souvent été reprise par Schopenhauer qui voit dans la philosophie un exercice de la liberté donc un exercice de solitude ( « on n’ est libre qu’ étant seul". ) Schopenhauer Aphorismes sur le sagesse. Toutefois il me semble que l’idée selon laquelle l’écriture est nécessairement une activité solitaire est quelque chose qui ne rend pas justice à l’histoire de la philosophie elle-même. Il serait donc bon de s’interroger sur d’autres modes de production de l’œuvre philosophique, bon peut-être de poser la question d’une « philosophie à deux » ou à plusieurs comme certains qui choisissent le régime du couple ou de la vie communautaire. La philosophie est-elle nécessairement autocentrée ? Passe-t-elle nécessairement par l’expérience de l’homme de Lettres dans son cabinet ? N’est-ce pas une image facile ? Une illusion , provenant peut-être non pas d’une tendance atemporelle mais d’un narcissisme contemporain ? Dans un premier temps, je crois qu’il est nécessaire d’examiner plusieurs régimes du « nous » philosophique tels qu’ils se révèlent dans l’histoire. 1. L’origine de ma question : le « nous » de Simone de Beauvoir. C’est une question qui m’a intéressé lors de l’écoute d’un entretien avec Simone de Beauvoir où celle-ci insiste sur le sujet « nous ». Elle reprend à son compte le « nous » en parlant non seulement de Jean-Paul Sartre mais également de toute une équipe qui était celle la revue des temps modernes. De Beauvoir insiste donc sur « nous », les existentialistes athées, qui s’opposent aux autres existentialistes et aux non-existentialistes. Mais ce « nous » demeure écrasant comme pluralis majestatis ou comme l’autodésignation d’Allah dans le Coran. Mais est-ce que le couple Sartre-Beauvoir fut une exception ? En philosophie, la question mérite d’être posée. Car si nous pensons la philosophie occidentale comme affirmation du moi (après tout le « connais-toi toi-même » peut être interprété dans ce sens ) peut-on philosopher à deux mains, à deux voix , à deux âmes ? S’agit-il alors de se connaitre non par soi-même mais par l’autre ? Ou de connaitre l’autre ? Ou de penser non plus par soi-même , mais en profitant d’une synergie poétique créatrice ? Si la philosophie n’est pas tant découverte des idées que production des concepts, il est clair que la question mérite d’être posée. Il y a tout d’abord des couples ( Deleuze-Guattari , Marx-Engels, Sartre-Beauvoir) qui n’ont qu’un temps puisque chacun de ces visages connut une histoire créatrice personnelle (Marx, Deleuze, Sartre écrivirent des ouvrages « seuls » en dehors de la matrice binaire . Mais la question de l’auteur d’une philosophie a son intérêt. 2. Interrogation sur le philosophe anonyme et donc sur le sujet créateur face à sa création. Sa philosophie, privée de biographie, nous intéresserait-elle ? C’est le cas de Lucrèce. On peut dire que sa biographie c’est son « ergographie », son œuvre plus que sa vie. Il y a un rayonnement de l’œuvre qui peut effacer l’absence du sujet. La question tout de même subsiste : car on essaie toujours en philosophie de saisir le sens d’une production à partir de l’idée d’un sujet productif. Qui étais-tu toi pour produire ceci ? Il est vrai que la question du sujet de l’œuvre se pose à partir du moment où il y a œuvre. Pour la plupart d’entre nous la question du sujet ne se pose pas vraiment dès lors que nous travaillons ( tout le monde travaille ) ou pensons ( tout le monde pense ). Le travail et la pensée sont pratiquement des procès sans sujets, automatisés par le corps social et organique. En revanche la rareté de l’œuvre interroge. On se demande comment l’œuvre a pu naitre, selon quel processus, et il y a là enquête sur l’esprit du créateur pour mieux saisir sans doute le sens de la création. Cette enquête alimente les histoires de la philosophie qui sont généralement des recherches du sens en deux temps : qui suis-je ? Qu’ai-je écrit ?(biographie, bibliographie ) ou trois temps : qu’était mon temps ? qui suis-je ? Qu’ai-je écrit ?( (Contexte historique, biographie, œuvre ). Il y a des philosophes comme Nietzsche dont l’œuvre est lisible car elle n’est que le commentaire de la vie ( Contre Wagner, Zarathoustra etc. ). D’autres qui demeurent opaques à tout jamais comme Lucrèce. Donc ce que nous voyons c’est que pour rechercher le sens de l’œuvre , nous avons le reflexe psychologique de l’ ὑποκείμενον, du sujet de la création , ou du substrat comme point d’ancrage de l’œuvre. Et au-delà du sujet nous visons les intentions du sujet lui-même. 3. Or à l’unité de l’œuvre , nous associons l’unité psychologique du sujet. Une œuvre = un sujet ( une intention ) = un auteur. D’où la panique à propos de l’herméneutique homérique. Sénèque se moque de ces enquêtes à propose du sujet : « c’était la maladie des Grecs de chercher quel était le nombre des rameurs d’Ulysse ; si l’Iliade fut écrite avant l’Odyssée, si ces deux poèmes étaient du même auteur » De la brièveté de la vie humaine. Cette remarque montre l’ancienneté de l’interrogation et sa profondeur. Pourquoi cette panique ? Car si Homère ce n’est pas un, mais deux ou une ribambelle d’aèdes. Alors que devient l’unité de l’œuvre ? Voir wiki pedia ici : À la toute fin du XVIIIe siècle, en 1795, le philologue allemand Friedrich August Wolf publie en latin des Prolegomena ad Homerum qui déclenchent une vive controverse et marquent le début de la « question homérique » au sens étroit : un débat savant riche et passionné qui dure pendant tout le XIXe siècle…. Wolf affirme donc que l’Iliade et l’Odyssée n'ont pas du tout été composées telles qu'elles nous sont parvenues : le texte qui nous est parvenu est le résultat d'un processus de composition long, dû à plusieurs auteurs. Les différentes parties d'une même épopée peuvent remonter à des époques variées et non pas au projet initial d'un poète unique. Wolf écrit ainsi7 : « L'Homère que nous tenons dans nos mains n'est pas celui qui fleurissait sur les lèvres des Grecs de son temps, mais un Homère altéré, interpolé, corrigé depuis l'époque de uploads/Philosophie/ philosopher-a-deux.pdf
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- Publié le Jul 21, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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