, XI AR.ISTOTE ET L'ENCYCLOPÉDIE DU SA VOl R. L'idéal du Professeur. - Le ratio

, XI AR.ISTOTE ET L'ENCYCLOPÉDIE DU SA VOl R. L'idéal du Professeur. - Le rationalisme expérimental pe DÉMOCRITE et le rationalisme formel de PLATON se trouveront un jour composés dans la conception de la science moderne que GALILÉE aura établie. L'antiquité n'est point parvenue a une synthese aussi profonde. Le disciple de PLA TON qui essaya de mettre d'accord la théorie des Idées avec la réalité empirique, em- prunta a DÉMOCRITE son riche inventaire de connaissances sur la nature, mais il ne réussit pas a comprendre la véritable significa- tion de sa physique mathématique. ARISTOTE est né en 384 av. J .-Chr. a Stagire, tres vieille colonie ionienne de la Chalcidique de Thrace. Son pere Nicomaque était médecin au service du roi de Macédoine AMYNTAS 11 (le pere de PHILIPPE). Orphelin de bonne heure, ARISTOTE avait dix-huit ans lorsqu'il vint a Athenes et entra dans l'Académie. ll y resta vingt ,.. ans, tres attaché au Maitre ; estimé aussi de PLATON pour sa péné~ tration d'esprit et l'érudition qu'il acquit par un travail inlassable. A l'avenement de SPEUSIPPE, il s'éloigna en compagnie de XÉNO- CRATE pour se rendre aupres de HERMIAS tyran d'Atarnée (sur la c()te non loin de Pergame). Cet homme singulier, jadis esclave puis homme de confiance de princes et de cités, admis a l'Acadé- mie et devenu enfin petit souverain, unissait a l'ambition de régner celle de s'assurer l'amitié et presque le patronage des philosophes; il se pourrait que les deux disciples de PLA TON fussent officielle- ment délégués par l'école aupres de l'ancien compagnon d'études. Trois ans plus tard HERMIAs, s'étant rendu suspect aux Perses par ses intrigues avec la Macédoine, tombait dans un guet-apens et 34 PLATON ET ARiSTOTE était mis a mort (1). ARISTOTE se réfugiait a Mytiléne, ou il épousa sa premiere femme, PYTHIAS, niece du tyran. Peu apres, il fut ap- pelé en Macédoine par le roí PHILIPPE qui lui confia l'éducation de son fils ALEXANDRE, alors Agé de treize ans (343-342) et pres de qui il resta jusqu'en 335. Devenu roi, ALEXANDRE conserva pour son précepteur un atta- chement qui jamais ne se démentit. Les moralistes des temps apres, émerveillés par cette rare conjonction qui mettait le plus grand conquérant en rapports d'intimité avec le plus grand des philo- sophes, ne se priverent pas de broder sur la part tres importante que chacun d'eux aurait apportée a l'ceuvre de l'autre. En réalité cette relation n'a donné qu'une partie des fruits qu'on en aurait pu raisonnablement attendre. Sans doute, l'ceuvre scientifique d'ARis- TOTE a tiré avantage de l'aide qu'octroya le roi (sous forme de subsides ou d'envoi de spécimens exotiques de faune, de flore, etc.)1 mais dans une mesure bien au-dessous de ce que la tradition vou~ drait nous faire croire. D'autre part, l'éleve royal n'a accepté que jusqu'a un certain point les idées que lui inspirait l'auteur de la Politique : il a certes propagé l'hellénisme parmi les barbares, mais .}orsqu'il posséda l'empire c'est a un idéal de « mélange »des peuples, des croyances, des coutumes completement contraire au sentiment d'ARISTOTE qu'ALEXANDRE tendit tous ses efforts. Bientot apres l'avcnement du jeune roi ARISTOTE revient a Athenes et ouvre une école dans le Lycée, gymnase voisin du temple d'Apollon Lycien. C'est a l'organisation des cours de rhétorique et de philosophie ainsi qu'au développement de son vaste systeme d'enseignement scientifique que le Stagirite consacra son étonnante faculté de travail pendant les douze années de la ... conquete macédonienne. A la mort d'ALEXANDRE (juin 323) et bien qu'ARISTOTE fut devenu tres suspect au roi depuis que son neveu CALLISTHENE avait été impliqué dans un complot, il fut mis au han par la réaction anti-macédonienne. Accusé d'impiété sur de futiles motifs il se bAta de laisser le Lycée aux mains de THÉOPHRASTE pour se réfugier a Chalcis en Eubée, qui était le pays de sa mere ; « il ne faut pas 1. • Conduit a Suse, il fut mis a la torture, mais avec une fermeté inébran- lable refusa de t1·ahir les desseins de son allié PHILIPPB, et fut alors mis en croíx • (W. WILCKEN , Alexandre le Grand). / PLATON ET ARISTOTE 35 qu'Athimes se souille encore une fois d'un crime contre la philo- sophie ». Bient&t apres (322) il succombait a une maladie d'estomac dont il était depuis longtemps atteint. 11 avait soixante-trois ans. Au physique, ARISTOTE nous est représenté comme de petita taille et d'assez forte corpulence. L'habit et les manieres révélaient l'élégance accomplie d'un homme du monde. Une certaine fierté naturelle et le sarcasme facile luí créerent beaucoup d'ennemis ; mais aucune ombre n'est demeurée attachée a ses qualités morales ; tous les témoignages s'accordent au contraire pour nousle montrer généreux et parfaitement honnete. On luí reproc\lera tout au plus de ne pas citer assez souvent les auteurs qu'il met a contribution. Mais a son époque une idée précise de la propriét~ littéraire n'exis- tait guere (1). 1. L'ceuvre d'ARISTOTE se détache a tel point par son esprit de celle des prédécesseurs, et l'orientation durable qu'il a donnée a la pensée eut des répercussions d profondes qu'on a essayé d'expliquer de différentes manieres cette singularíté. On a voulu trouver daos le milieu et meme daos la race la raison de cette « lourdeur qui contraste avec la liberté et la grace d'un PLA· TON». Mais ARISTOTE n'était pas Macédonien, son pére aussi bien que sa mere étaient de pure souche ionienne. Peut-etre que pour comprendre cet homme que PLATON appelait " le grand lecteur » et aux yeux duque! le plus grand éloge (comme on le voit dans son hymne a Arété en mémoire de HER· MIAs) était l'épithéte de << laborieux », il ne serait pas oiseux de fouiller cer- tains replis de sa psychologie individuelle. S'il était permis de scruter , par- dela le penseur, l'homme dans ses faiblesses, on verrait que son ceuvre n'a pas été déterminée uniquement par une exigence « hist.or·ique ». PLUTARQUE (De audiendis poetis, 8) nous dit qu' ARISTOTE ressentait vivement les défauts qui affiigeaient sa personne : la calvitie, le ventre, la petitesse des yeux, les jambes greles et une certaine fac;on incorrecto de prononcer les mots (V. aussi DxoGENE LAERCE, l. VI et ELIEN, Var. hist., III, 9). Pour un Grec c'était la des motifs sérieux d'infériorité. Ce qu'un jargon de nos jours nomme ,, com- plexa d'infériorité »si on y ajoute l'irritation déprimante d'une maladie chro- nique de l'estomac, pouvait fort bien provoquer une réaction d'orgueil, dont la meilleure ressource était d'affirmer la supériorité du savoir sur toute autre aptitude de l'homme. D'ou une érudition saos pareille,etl'assuranceironique, la compétence froide toujoun; en état de riposter par des formules précises et des définitions saos appel a n'importe quelle question. Les débats daos les écoles grecques ne s'étaient pas toujours pliés aux ré. gl~s et aux bornes de la civilité. La grande aventure de la pensée ration- nelle se poursuit sur des modes parfois prophétiques et parfois aussi gouail- leurs. Ni les affirmations péremptoires, ni la pitrerie d'une réclame tapageuse, ni les arguments ad horr.inem les moins délicats n'ont été évités. Mais voici que l'reuvre d'ARISTOTE, telle du moins que nous la connaissons, apporte un ton nouveau et tres pai·ticulier. Le professeur Cait son entrée dans l'his- toire. C'est l'homme venu pour mettt·e chaque chose a sa place. D'un mou- 36 PLATON ET ARISTOTE Bien plus que ce n'était le cas pour PLATON et l'Académie, le Lycée s'identifie avec l'reuvre d'ARISTOTE; car des nombreux écrits de ce dernier, seuls nous sont parvenus (et encore en partie) les cours ou tra"aux de l'école; nous ne connaissons ainsi' que l'en- seignement d'ARISTOTE et rien de ses dialogues, dont CICÉRON, par exemple, loue l'éloquence et le style élégant; de PLATON, au contraire, nous possédons l'reuvre littéraire et pas une bribe de ses · let;ons. Il faut aussi souligner que les travaux du Lycée formaient natureUement corps avec l'activité scientifique de son fondateur : le hut commun était de composer l'encyclopédie du savoir. Les temp~ étaient révolus ou la science apparaissait comme une force subversiva dans la critique « dissolvante >> des sophistes, et la réaction déclenchée par SocRATE contre l'esprit scientifique n'avait plus de raison d'etrc. Maintenant la conservation meme de la société policée se conc;oit comme nécessairement liée a la mise en valeur des connaissances positivas accumulées par la recherche scientifique ; le role de cette derniere se trouve en quelque sorte légitimé et la systématisation de ses résultats devient presque une question d'intéret général. D'ou le besoin d'une Encyclopédie qui offrirait, bien classé, le répertoire de « tout ce qu'on sait » : a coté des notions de physique et d'histoire naturelle, les idées morales et politiquea y prendront place sous un aspect et dans un ordre conformes aux traditions et aux exigences de la civiJisation qu'elles sont appelées a exprimer. Cette tache a été conl(ue par ARISTOTE dans un _ esprit nettement conservateur. L'reuvre gigantesque qui en fut l'accomplissement devait, quinze siecles apres, s'imposer avec une autorité écrasante a la pensée uploads/Philosophie/ aristote-et-l-x27-encyclopedie-du-savoir.pdf

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