Revue Philosophique de Louvain Structure, origine et affectivité. Quelques réfl

Revue Philosophique de Louvain Structure, origine et affectivité. Quelques réflexions à propos de la corporéité Ghislaine Florival Citer ce document / Cite this document : Florival Ghislaine. Structure, origine et affectivité. Quelques réflexions à propos de la corporéité. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 77, n°34, 1979. pp. 196-218; doi : https://doi.org/10.3406/phlou.1979.6045 https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1979_num_77_34_6045 Fichier pdf généré le 25/04/2018 Abstract The notion of corporeity is to be found in the heart of a philosophical anthropology in which one distinguishes two orientations, the phenomenological and the scientific. Can these come together at the point of origin? Can the « flesh » of the world, in the ontological sense, and the genesis of man in the evolution of living beings be fitted into the concept of structure? But the notion of structure of behaviour in the analysis of perception, of emotion, of expressivity cannot explain the affective self as such. Might it not be necessary to resort to an exegesis of metaphors in order to grasp the meaning of affectivity? In the light of this project one perceives some possible lines of research, such as the analysis of the Befindlichkeit, that of the lived temporality and of desire, that of the for-others. Résumé La notion de corporéité s'inscrit au cœur d'une anthropologie philosophique où l'on distingue deux orientations, phénoménologique et scientifique. Celles-ci peuvent-elles se rejoindre au lieu de l'originaire? La « chair » du monde, au sens ontologique, et la genèse de l'homme dans l'évolution des vivants peuvent-elles s'ordonner au concept de structure? Mais la notion de structure du comportement dans l'analyse de la perception, de l'émotion, de l'expressivité, ne peut rendre compte de l'ipséité affective comme telle. Ne faudrait-il pas recourir à une exégèse des métaphores pour saisir le sens de l'affectivité? À la lumière de ce projet, on entrevoit quelques lignes de recherches : ainsi l'analyse de la Befindlichkeit, celle de la temporalité vécue et du désir, celle du pour-autrui. Structure, origine et affectivité Quelques réflexions à propos de la corporéité* Nous nous proposons de réfléchir sur la problématique de la corporéité dans la ligne philosophique de Merleau-Ponty en la mettant en parallèle avec une conception scientifique du corps. Nous aurions voulu prolonger ce commentaire par une réflexion qui toucherait à la présence à soi du corps, au «soi» comme affectivité vécue. Toutefois, ne voyant pas encore comment élaborer structurellement une philosophie de l'affectivité ni du point de vue méthodologique ni du point de vue thématique, nous ne l'aborderons qu'à la fin de l'exposé, en ébauchant seulement quelques lignes d'approche. Il serait intéressant de relire à la lumière d'une philosophie d'aujourd'hui toute l'évolution du problème qui, dès les origines chez les Grecs, a mis en cause la relation de l'âme et du corps et donc le statut de l'existence humaine. Il appert que c'est le christianisme qui a été la source d'un changement décisif du sens de la personne. S. Paul révèle, en effet, la connotation de « chair », par opposition à celle de « corps » qui était pour la tradition grecque le lieu instrumental de l'âme. Inconnue ou presque de la philosophie antique (les Épicuriens utilisaient aussi la notion de adpÇ), la notion de chair fut introduite dans la tradition théologique occidentale dans le contexte de l'antithèse qui la rend corrélative de celle de l'Esprit. Paradoxalement, cette notion de chair mise en relief par la théologie se découvre aujourd'hui un enracinement philosophique, un fondement qui rompt lui-même avec la métaphysique classique cartésienne de l'âme et du corps. Nous voulons parler de ce concept de chair que nous a légué Maurice Merleau-Ponty dans son œuvre Le visible et l'invisible, texte posthume, recueilli et présenté par Cl. Lefort * Ce texte a été présenté partiellement lors d'un colloque à Gallarate le 30 mars 1978. Le texte actuel remanié à fait l'objet d'un exposé à la Société philosophique de Louvain, le 22 novembre 1978. Structure, origine et affectivité 197 chez Gallimard en 1964. Sans doute cette notion de chair n'est-elle pas directement lisible dans le seul contexte d'une anthropologie philosophique. Mais elle s'y révélera comme le lieu même de l'exister, comme ce fond signifiant sur lequel s'imprime tout discours traitant du corps. Si le thème du corps, plus précisément de corporéité, s'inscrit au cœur d'une anthropologie philosophique, cela implique du même fait qu'il se profile sur un horizon de sens où convergent également de nombreuses disciplines, tant scientifiques que techniques, ou encore esthétiques etc. Nous amorcerons la question de la corporéité humaine en suivant dans une première partie de l'exposé deux orientations distinctes mais qui pourraient se rencontrer au lieu de « l'originaire » : d'une part, l'originaire selon l'orientation phénoménologique, d'autre part, l'originaire selon l'orientation scientifique. Dans une deuxième partie, nous nous attarderons à l'analyse de certaines dimensions qui relèvent directement de notre expérience concrète et quotidienne du corps vécu, en reprenant, par exemple, les thèmes de la perception, de l'émotion et du désir, enfin de l'expression. Dans une troisième partie, nous reprendrons nos conclusions, en affrontant cette fois le problème de l'affectivité. I. L'originaire a) L'orientation phénoménologique. N'est-ce pas en partie à l'héritage de Husserl, de Max Scheler, de Merleau-Ponty que revient la saisie du concept de corporéité? Cette notion relève, en effet, de l'intentionalité perceptive, du corps propre, de la structure du comportement. Ces auteurs dépassaient l'enjeu d'une union du corps et de l'âme, union de faits incompossibles que drainaient avec elles tant la philosophie classique de type cartésien que la science positive. En réalité, physiologues et psychologues rationalistes, les uns et les autres soumis aux ordres spécifiques de cause ou de finalité, se heurtaient aux mêmes impasses d'un intransigeant dualisme. Le parallélisme psycho-physique ne pouvait que camoufler « magiquement », nous dit Merleau-Ponty, l'unité de l'âme et du corps. Il la fixait dans les limites d'un en soi corporel, organisme partes extra partes, et dans 198 Ghislaine Florival celles d'un pour soi, position absolue d'une conscience transparente à elle-même. Husserl a voulu rendre compte du lien relationnel de la conscience au monde passivement vécue : la Lebenswelt. Mais d'un autre côté, ce philosophe creusait le sens de sa propre réduction phénoménologique du monde référentiel et s'efforçait de rejoindre par régressions successives YUrgrund, sujet originaire, constitutif de sens. Il revient à Merleau-Ponty de s'être dégagé de la position transcendantale qui entraînait Husserl dans le cercle immanentiste abyssal, en reprenant à son compte l'analyse de la perception et du corps. Il est vrai que, ce faisant, Merleau-Ponty a été inspiré par la tension interne de la démarche husserlienne, qui envisage la conscience à la fois comme passive et comme constituante. Comme le fait remarquer Jacques Taminiaux dans son œuvre récente *, au chapitre intitulé «L'expérience, l'expression et la forme dans l'itinéraire de Merleau-Ponty», l'auteur de la Phénoménologie de la perception lui aussi va surmonter une tension interne. Mais ici, à l'inverse du débat husserlien, le thème de la constitution transcendantale du sujet est dépassé par celui de la différence ontologique heideggerienne. Cette rupture apparaît très nettement dans Le visible et l'invisible, en particulier dans le chapitre sur « l'entrelacs-le chiasme» et dans les notes annexes. Tâchons de suivre cette problématique chez Merleau-Ponty en la reliant à celle du corps et tentons de ressaisir la réelle ambiguïté (ou tension dialectique) qu'elle offre finalement à l'interrogation ouverte du philosophe. Deux dimensions se chevauchent dans toute l'œuvre. L'une se prête au mouvement de l'intentionalité corporelle et ouvre à la transcendance vécue de l'être-au-monde. Elle manifeste l'excès de l'exister au cœur même de la subjectivité : c'est le corps propre ou « Cogito tacite » à partir de quoi se déploie un monde, un espace, un temps, une expression. Le corps propre se révèle donc point d'ancrage. Il est l'origine de tous les points de vue sans s'y prendre lui-même; il est projet d'un monde objectif et intersubjectif dans le jeu relationnel des profils qui se donnent au regard sur un fond-horizon. 1 Le regard et l'excédent, La Haye, Nijhoff, 1977. Structure, origine et affectivité 199 L'autre dimension de l'œuvre chez Merleau-Ponty se dégage de toute visée fondatrice de la conscience originaire et s'articule d'emblée à l'ordre structural, ordre déjà dessiné dans la compréhension de la Forme, c'est-à-dire, ce «sens» concret prélevé sur le jeu relationnel d'une figure sur un fond. Il ne s'agit plus, comme dans la Phénoménologie de la perception, de parler du corps propre « Cogito tacite », il ne s'agit plus seulement de faire surgir l'objet dans l'apparaître de ses profils par la dialectique, toujours surmontée, du point-horizon, que le corps médiatise dans la structure spatio-temporelle du monde, mais bien plutôt de comprendre comment le visible tout entier se présentifie dans une structure inter- férentielle d'un non-visible, « sens » toujours déjà-là, appelé Être de la Verticalité, mesure de la différence ou encore dimensionalité. Or ici, au cœur du chiasme — cet entrelacs de l'Être — , l'expérience corporelle n'est plus qu'une manifestation particulière entée à la «chair» du monde. Ainsi cette autre tendance de l'œuvre merleau-pontienne, rompant avec la première, dénonce le pôle originaire, «Cogito tacite», uploads/Philosophie/ phlou-0035-3841-1979-num-77-34-6045.pdf

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