Réflexions sur une linguistique de discours comparative: le cas du journal télé

Réflexions sur une linguistique de discours comparative: le cas du journal télévisé en France et en Allemagne Patricia VON MÜNCHOW Université Paris 5 pvmuenchow@noos.fr This article is a brief summary of the author’s work on what she calls comparative discourse linguistics. The long-term aim of comparative discourse linguistics is to compare different discursive cultures through the description and interpretation of the verbal productions characterizing them. The comparison does not primarily concern different languages but the expressions of a series of genres in two or more ethnolinguistic communities. This approach raises a number of theoretical and methodological issues discussed in the first part of the paper, such as the status of genres as tertium comparationis, the nature of analytic categories and the relevance and the reach of interpretation. The second part of the article illustrates the principles discussed in the first part. Taking the genre television news program as an example, the author describes and interprets important differences between French and German programs, focusing in particular on the more or less conventional appearance of the programs, the image of the medium and of the “mediator” and the respective kinds of communities created between journalists and viewers. A partir d’une comparaison de journaux télévisés (JT) en France et en Allemagne entreprise il y a quelques années (cf. von Münchow 2001, 2004a), j’ai commencé à élaborer une réflexion théorico-méthodologique sur les pro- blèmes que pose une approche comparative dans le domaine de la linguisti- que. A travers la comparaison d’autres genres discursifs (manuels scolaires en France et en Allemagne, forums de discussion en français et en anglais, etc.), j’ai poursuivi cette réflexion sur ce qu’on peut appeler une linguistique de discours comparative et dont il s’agit ici de présenter quelques aspects en l’état actuel de leur élaboration. Cette réflexion théorico-méthodologique sera suivie, à titre d’exemple, de la présentation de quelques résultats obtenus lors de la comparaison de JT français et allemands mentionnée supra. 1. Un cadre théorico-méthodologique pour une linguistique de discours comparative L’intérêt à long terme de la linguistique de discours comparative telle que je la conçois est de permettre au chercheur de comparer différentes cultures dis- Publié dans Revue Tranel (Travaux neuchâtelois de linguistique) 40, 47-70, 2004 qui doit être utilisée pour toute référence à ce travail 48 Réflexions sur une linguistique de discours comparative cursives par l’intermédiaire des productions verbales qui en relèvent. Dans cette optique, je cherche à mettre en rapport non pas différentes langues, comme le fait traditionnellement la linguistique contrastive, mais les manifes- tations d’un même genre discursif dans au moins deux communautés ethno- linguistiques différentes1, genre dont il s’agit alors de décrire et d’interpréter les régularités discursives. C’est à travers l’inventaire des principales difficultés qu’on rencontre lors de ce type de comparaison et la présentation des solutions que j’ai adoptées pour les résoudre que j’exposerai, dans les lignes qui suivent, les fondements de la linguistique de discours comparative telle que je la pratique. 1.1. Le statut du genre comme tertium comparationis Les différents genres que je compare dans différentes langues-cultures consti- tuent l’invariant principal ou le tertium comparationis de la comparaison. Or ce statut du genre pose une série de problèmes théorico-méthodologiques. En effet, le genre est difficile à délimiter et cela sur plusieurs plans. D’abord, un document porte toujours les marques de la communication en général, de la langue utilisée, du discours (journalistique, politique, etc.) et du genre dont il relève2, du style individuel de son auteur, etc. Or s’il est illusoire de prétendre à une distinction nette entre tous ces niveaux, qu’on ne pourra séparer, semble-t-il, qu’au terme d’un grand nombre d’études, il faudrait néanmoins essayer de distinguer au moins ce qui relève de la langue, ce qui relève du genre et ce qui relève d’un style individuel. Alors qu’on peut espérer que l’étendue du corpus permettra de «neutraliser» le niveau du style individuel, il est nécessaire de consulter des études contrastives portant sur les langues concernées pour ne pas mélanger le niveau de la langue et celui du genre. Le cumul du savoir sur différents genres facilitera également, à terme, cette distinction entre le niveau langue et le niveau genre. Ensuite, la définition des genres les uns par opposition aux autres n’est pas aisée non plus. En effet, les genres sont des catégories prototypiques «défi- 1 Le fait que la comparaison dont on fera état ici porte sur deux communautés ethnolinguistiques implique, bien entendu, que ce qui sera dit sur les JT en France et en Allemagne ne permet pas de caractériser, a priori, les JT en français et en allemand qui relèvent d’autres communautés ethnolinguistiques comme, par exemple, la Suisse romande ou la Suisse alémanique. 2 D’après Adam (1999: 93), les genres sont, en effet, des catégories «pratiques- empiriques indispensables tant à la production qu’à la réception-interprétation» et «régulatrices des énoncés en discours et des pratiques sociodiscursives des sujets (depuis les places qu’ils occupent jusqu’aux textes qu’ils produisent)». Patricia VON MÜNCHOW 49 nissables par des tendances ou des gradients de typicalité, par des faisceaux de régularités et des dominantes plutôt que par des critères très stricts» (Adam 1999: 94) et il est, par conséquent, difficile d’opérer une distinction précise entre eux. Le chercheur est donc obligé d’isoler, dans un premier temps, des catégories dont seule la description ultérieure peut prouver ou non le bien-fondé. Autrement dit, on devrait disposer déjà d’un corpus représentatif pour pouvoir prendre une décision quant aux critères de classification devant mener justement à l’établissement du corpus. C’est par l’intermédiaire des notions d’éticité et d’émicité, empruntées à Pike (1967), qu’on peut construire une conception opératoire du genre, qui permet d’échapper au dilemme évoqué: en choisissant des documents relevant de ce que l’on suppose être un même genre, l’on aborde le genre dans une perspective étique; l’analyse livre ensuite les critères linguistiques et extra-linguistiques pour définir le genre émique, concept qui permet de rejuger l’attribution première et étique du caractère générique à tel ensemble de documents. Enfin, en linguistique de discours comparative, les notions d’éticité et d’émicité ne s’appliquent pas seulement à la délimitation d’un genre par rapport à d’autres genres, mais aussi au caractère translangagier d’un genre car, comme le dit Bouquet (1998: 119), «tout phénomène de genre est bien évidemment /…/ en lui-même fondamentalement dépendant d’une culture». Il s’agit donc de constituer un corpus de documents d’un genre égal (ou plutôt aussi égal que possible) sur le plan étique dans deux communautés ethnolinguistiques différentes (autrement dit d’un genre translangagier étique), puis en l’étudiant on vérifie si, sur le plan émique, on peut toujours considérer les documents des deux langues comme relevant d’un même genre (autrement dit si l’on peut conclure que l’on a affaire à un genre translangagier émique). Dans cette optique, le travail s’avère avoir des fondations solides si l’on trouve, entre les textes des deux langues étudiées, suffisamment de correspondances pour considérer la comparabilité comme acquise (ou pour déclarer émique le genre translangagier étique postulé a priori), d’une part, et si l’on peut relever suffisamment de différences pour que l’étude ait un intérêt, d’autre part. Le genre émique ne peut être défini qu’à la fin d’une recherche, mais quels peuvent être les critères selon lesquels on décide de l’existence d’un genre étique et de l’appartenance de tel document à ce même genre? Une première indication peut provenir des désignations ordinaires, mais les catégories ainsi établies sont particulièrement floues. Aussi suggérerai-je d’ajouter à ce critère les cinq paramètres que propose Maingueneau (1996: 44) pour définir un genre. Ces cinq paramètres sont le statut respectif des locuteurs et des 50 Réflexions sur une linguistique de discours comparative récepteurs3, les circonstances temporelles et locales de l’énonciation, le support et les modes de diffusion, les thèmes qui peuvent être introduits et, enfin, la longueur et le mode d’organisation. A l’exception du critère théma- tique, ces paramètres peuvent, en effet, être compris comme situationnels au sens large du terme, c’est-à-dire qu’on peut en décider à l’aide d’aspects uniquement extratextuels, ne provenant pas du matériel linguistique des documents à analyser4. On ajoutera par ailleurs le critère de la macrofonction supposée du genre en question. 1.2. La nature des catégories d’analyse Toute comparaison discursive qui est censée déboucher sur des conclusions d’ordre culturel doit être fondée sur des catégories d’analyse pertinentes, mais le choix de ces catégories d’analyse représente une réelle difficulté, comme on peut le constater dans divers travaux relevant de la rhétorique ou de la pragmatique contrastives. Dans un article de 1993, Clyne (1993: 9-14), qui s’inscrit dans la filiation de la rhétorique contrastive, propose les catégories d’analyse suivantes: forme versus contenu, oral versus écrit, rythme, vectorialité (ou linéarité) («Vektorialität»), autres facteurs culturels. Ces termes paraissent ethnocentriques du moins en partie: tout comme Kaplan dans son article fondateur de 1966, Clyne (ibid.: 11) conclut que la linéarité d’un texte tient un rôle central dans les pays de langue anglaise, alors que les textes allemands sont souvent digressifs du point de vue de la composition textuelle; comme par hasard, est considéré comme le «droit chemin» celui que privilégie la langue-culture de l’auteur… uploads/Philosophie/ patricia-von-muenchow-reflexion-sur-la-linguistique-du-discours-comparative.pdf

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