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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/283056589 L'adresse de Pierre Hadot Chapter · March 2014 CITATIONS 0 READS 802 1 author: Some of the authors of this publication are also working on these related projects: Turn to affect View project Arts, social et management - chemins croisés View project Jean-Luc Moriceau Institut Mines-Télécom Business School 194 PUBLICATIONS 237 CITATIONS SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Jean-Luc Moriceau on 02 February 2016. The user has requested enhancement of the downloaded file. Fichier auteur [L’ADRESSE DE PIERRE HADOT] 1 Ceci est un exemplaire auteur. Une version plus avancée a été publiée dans l’ouvrage collectif, sous la direction Véronique Le Ru, Pierre Hadot. Apprendre à lire et à vivre, Epure, pp.89-108, 2014. L’ADRESSE DE PIERRE HADOT L’un des messages principaux que nous adressait Pierre Hadot, était justement que les discours des philosophes antiques étaient des discours adressés. Il ne s’agissait pas, comme les textes contemporains, ou comme on interprète généralement aujourd’hui les textes antiques, de l’exposition d’un système total de la réalité, ou d’une partie d’un tel système. Les dires et les écrits des philosophes de l’Antiquité étaient adressés à un auditoire déterminé, et composés dans des circonstances particulières. Les mots pouvaient être destinés à faire progresser un élève, à convaincre ou prendre soin d’une personne en proie aux troubles, ou encore à soi-même, mais pas à énoncer une vérité universelle, une explication du monde, un système philosophique. Souvent ces textes avaient la forme d’un dialogue, ou d’un jeu de questions et de réponses, ils répondaient et étaient ajustés à une demande ou un événement précis. Et cette adresse n’avait pas pour but une explication ou une description, elle avait pour but de provoquer un changement chez le destinataire. Il s’agissait de former plutôt que d’informer1, d’instaurer une relation vivante et existentielle et non un rapport abstrait à des idées : d’exhorter, de guérir, de réprimander ou de consoler, non de convaincre de l’exactitude d’une notion ou d’une représentation. Pour un regard contemporain qui prendrait les différents textes qui nous sont parvenus comme des éléments d’un système, ceux-ci semblent recéler des incohérences ou des contradictions. Pierre Hadot confie volontiers que c’est justement cet indice2 qui l’a mis sur la voie de sa conception de la philosophie antique. S’ils recèlent des 1 Selon l’expression de Victor Goldschmidt citée par Pierre Hadot dans La Philosophie comme manière de vivre, Paris, Albin Michel, 2001, p. 95. 2 Cf. par exemple, Pierre Hadot, opus cité, p. 101. Il reconnaît également le rôle de son épouse et d’autres auteurs dans cette prise de conscience. Sur ce point voir Pierre Hadot, Qu’est-ce que la Philosophie antique ?, Paris, Gallimard, 1995, p. 23. Fichier auteur [L’ADRESSE DE PIERRE HADOT] 2 incohérences, c’est parce que ces textes n’ont pas été bâtis pour exposer un système, mais étaient adressés à des personnes particulières dans des circonstances particulières. Parce que la philosophie n’avait pas pour but de bâtir un système total et cohérent du monde à partir duquel (et accessoirement) on pouvait définir comment régler sa vie. La philosophie était avant tout une manière de vivre, un engagement de toute l’existence, le choix de vie d’une communauté que les membres s’entraînaient et s’entraidaient à suivre, et dont les discours philosophiques n’étaient qu’une partie, une partie assujettie au but d’apprendre à vivre, de rechercher ensemble la sagesse, dans un effort toujours à recommencer. Dans ce but de formation de l’existence et non de construction d’un système conceptuel juste, on pratiquait des exercices spirituels : des pratiques de pensées, des comportements et des rapports à soi qui mènent vers des attitudes concrètes : un style de vie déterminé qui engage toute l’existence3. Cependant pour nous faire comprendre que l’on ne peut comprendre les discours antiques en ignorant qu’ils étaient adressés, que beaucoup étaient performatifs et situés et non constatifs et généraux, Pierre Hadot ne s’adresse pas à nous à la manière d’un Socrate ou d’un Sénèque. A part un livre d’entretiens4, la plupart de ses discours philosophiques prennent plutôt la forme d’un exposé général. Pratique-t-il alors ce qu’il regrette chez nombre de ses contemporains : « un enseignement qui s’adresse à tous, c’est-à-dire à personne » ? S’agit-il ainsi d’une mal-adresse ?5 Nous sommes pourtant, semble-t-il, de nombreux de lecteurs à avoir l’impression que les textes de Pierre Hadot s’adressent à nous en particulier, et qu’ils nous amènent à réfléchir sur notre existence, voire à la changer. La question est alors plutôt de se demander à qui s’adresse Pierre Hadot dans ses écrits, sous quelle forme d’adresse, avec quelle intention et quels effets ? Et encore, ce que cette adresse peut dire sur nous, les contemporains à qui Hadot s’adressait et sur sa 3 Cf. Pierre hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, Albin Michel, 2002, notamment p. 23. 4 Donner les références du livre d’entretiens (La philo comme manière de vivre) [Egalement un entretien sur France Culture avec Francesca Piolot en 2002 et peut- être certains de ses cours] 5 Reproche ou contradiction performative qui pourrait bien entendu être également adressé au présent texte. Fichier auteur [L’ADRESSE DE PIERRE HADOT] 3 conception de la philosophie antique. La question de l’adresse est ainsi celle de la correspondance6 entre antiquité et post-modernité, elle porte sur ce qui demeure et diffère, en particulier sur le rapport à soi et au monde, sur la façon dont nous recevons les « messages » des anciens, sur la manière de vivre choisie par Hadot, philosophe dans la cité contemporaine. Sans répondre à toutes ces questions, nous décrirons d’abord l’adresse indirecte de Pierre Hadot, puis nous montrerons la difficulté pour lui de s’adresser directement aux diverses formes du soi contemporain. Nous nous demanderons si les divergences entre Pierre Hadot et Michel Foucault ne tenaient pas avant tout dans une différence d’adresse. Enfin nous montrerons des exemples de réception possible de la question des exercices spirituels aujourd’hui. Une adresse indirecte Pierre Hadot cite régulièrement les auteurs anciens, il nous [expose] met ainsi en contact direct avec leurs paroles, qui peuvent alors délivrer leur effet performatif. Mais ces citations sont toujours entourées par de longs développements précisant leur contexte et leur place dans un discours plus général ou dans une école, leur qualité de réponse à d’autres paroles précédentes. Il commente les mots précis utilisés, leur généalogie, les différentes traductions possibles. Il nous confie passer parfois plus d’une journée pour s’assurer de la traduction d’un mot, fouillant ses différentes occurrences et les confrontant aux mots voisins. Il voudrait retrouver l’intention de l’auteur et la réception du destinataire, et pour cela il se fait penseur grec, devient tour à tour stoïcien, épicurien, néoplatonicien, etc. Il semble s’être fait proche de ses maîtres. Retrouver cette intention et cette réception est impossible, mais parfois il nous invite dans son investigation restituant profondeur, précision, histoire à certaines formules qui sinon pourraient ne nous apparaître qu’avec la naïve platitude de certains préceptes de développement personnel. Par exemple, lorsque dans Qu’est que la philosophie antique ?, il nous présente les discours philosophiques exhortant à concentrer son attention sur le présent, il cite Marc Aurèle : « On ne vit que le 6 La réflexion sur les relations entre adresse, correspondance, messages, etc. s’inspire de l’ouvrage de Derrida, La carte postale. De Socrate à Freud et au- delà, Paris, Flammarion, 1980, sur lequel nous reviendrons plus loin. Fichier auteur [L’ADRESSE DE PIERRE HADOT] 4 présent, cet infiniment petit, le reste ou bien est déjà vécu, ou bien est incertain » (p. 293-294). Nous recevons cette formule, elle nous parle, mais Hadot nous emmène avec elle dans un monde stoïcien. Il ne s’agit pas seulement de la comprendre, mais de pénétrer dans un autre être-au-monde, d’accepter qu’elle nous entraîne et intensifie notre existence. Alors il précise que l’appel invite à atteindre un état de tranquillité et de sérénité puisque, pour les stoïciens, passé et futur ne peuvent apporter que peines et plaisirs imaginaires. [Que] Le but est de se focaliser sur l’action présente pour s’assurer qu’elle soit juste et serve à la communauté, que l’intention qui la motive soit pure, qu’elle nous apporte la sérénité d’avoir bien vécu. Et s’il cite ensuite Horace : « Pendant que nous parlons, le temps jaloux a fui, cueille donc l’aujourd’hui sans te fier à demain » c’est afin de le replacer à son tour dans l’ascèse de l’épicurisme. La concentration sur le présent [alors] permet d’éviter d’espérer des plaisirs non naturels ou non nécessaires, rappelle la valeur absolue de l’existence et épargne les tourments de la crainte de la mort ou de la colère des Dieux. Il s’adresse donc à nous, lecteurs contemporains, pour nous expliquer comment prendre et comprendre ces « vieilles vérités » dans le contexte de leur énonciation. S’il nous invite à saisir et essayer la profondeur existentielle de ces discours, il tient à nous guider pour en rappeler le contexte, le sous-texte, l’intertexte et le prétexte. Telle est son adresse et il entre en colère contre les auteurs qui utilisent les auteurs uploads/Philosophie/ phmoriceau-hal.pdf
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- Publié le Fev 06, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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