1 Hussain Aziz Hindawi HEGEL ET L'ISLAM Révélation ou Révolution de l’Orient ?
1 Hussain Aziz Hindawi HEGEL ET L'ISLAM Révélation ou Révolution de l’Orient ? 2 AVANT-PROPOS Il n'est peut-être pas de question qui ait suscité plus de controverses dans la littérature occidentale du 17ème et du 18ème siècles que celui de comprendre l'Islam et les Musulmans. Il en est peu qui à l'époque immédiatement suivante, c'est-à-dire à l'époque coloniale, ait été plus négligée. Pourtant, il s'agit bien d'un véritable conflit dans la pensée occidentale et celle des Lumières notamment. « C'est dans l'Islam que je trouve le mieux exprimées mes propres idées »1, n'a pas hésité à écrire Goethe (1749 –1832), l'un des plus incontestable génies de cette littérature. Pour le célèbre idéologue francais Constantin François de Chassebœuf, comte de Volney (1757 –1820), c’est au contraire : "de tous les hommes qui ont osé donner des lois aux peuples, nul n'a été plus ignorant que Mahomet ; de toutes les compositions absurdes de l'esprit humain, nulle n'est plus misérable que son livre"2. 1. Bousquet G-H, Goethe et l'Islam, in Studia Islamica, 1971, n° 33, p. 151. 2. Volney C., Voyage en Egypte et en Syrie, 1959, p. 372. 3 Hegel n'a pu qu'être frappé du tour contradictoire de ces deux opinions, points-limites du jugement de son siècle porté sur l’Islam : ne cherche-t-il pas à concilier ces deux extrêmes ? C'est une des nombreuses questions auxquelles il nous faudra tenter de répondre. En fait, la philosophie hégélienne, qui est à l'origine "de tout ce qui s'est fait de grand en philosophie depuis un siècle"1, et même qui a "modifié le destin du monde"2, ne pouvait pas ignorer l'Islam, identité spirituelle d'une principale fraction de l'humanité. Bien au contraire, son influence sur le cours général des idées en Occident est considérable à cet égard également : les réflexions de Hegel sur l'Islam et sur l'Orient en général, imprègnent dans une mesure non négligeable la pensée politique occidentale, et influent même encore, sur les relations qu'entretiennent ces deux cultures. Paradoxalement, les textes consacrés par Hegel précisément à l'Islam sont, sans doute, un des aspects les moins étudiés de sa pensée : nous avons vainement cherché un ouvrage qui s'intéresse à ce sujet parmi les innombrables travaux qui ont été consacrés à la philosophie de Hegel, dont plusieurs sont relatifs à des spiritualités et des civilisations orientales telles que la Chine, l'Inde et le Judaïsme notamment. 1. Merleau- Ponty, Sens et non-sens, 1948, p. 125. 2. D'Hondt J., Hegel, le philosophe du débat et du combat, 1984, p. 9. 4 Sont-ce l'absence d'un chapitre consacré à la religion islamique dans sa Philosophie de la religion et la maigreur des passages dans l'Histoire de la philosophie, dans la Philosophie de l'histoire, et dans l'Esthétique qui ont renforcé l'idée que ce philosophe aurait délaissé l'Islam, et par là découragé les spécialistes d'entreprendre des études consacrées à ce thème ? Toujours est-il qu'à défaut de longs développements, la permanence d'une réflexion approfondie sur l'Orient islamique parcourt en filigrane l'œuvre de Hegel, et nous pensons que ce n'est pas le hasard ou le manque de connaissances qui lui a dicté telle ou telle attitude, mais qu'il a développé une conception propre de l'Islam, constituant, jusque dans ses silences, une attitude philosophique continue: bien que nous soyons tout à fait conscients que cette conception n'occupe qu'une place subalterne dans sa philosophie. En fait, il est vrai que Hegel, par sa naissance et sa culture, était peu captivé par un monde aussi complexe, aussi difficile à pénétrer que celui de l'Islam. Son expérience de voyageur ne lui permet pas de combler ce vide. Mais ce philosophe, tenaillé dès sa jeunesse par l'ambition d'une vision universelle, avait remplacé les voyages lointains par une énorme connaissance livresque, au point que nous pensons qu'il était peut-être un des plus avertis des réalités du monde musulman, du moins tel que celles-ci étaient retracées dans le monde occidental de l'époque. 5 Quoi qu'il en soit, nous avions exclu que ce philosophe puisse oublier une grande religion comme l'Islam quand il affirme lui-même que dans chaque religion existe le divin, un rapport au divin, et une philosophie de l'histoire doit chercher dans les formes les plus misérables l'élément spirituel, d'autant plus que l'Islam pour Hegel est loin d'être un phénomène spirituel modeste ; il affirme, bien au contraire, que "c'est une religion spirituelle comme la religion juive", et qu'"elle est dans la même sphère que la religion chrétienne"1. En outre, Hegel reconnaît volontiers à l'Islam la fondation d'un "empire universel"2 et une brillante civilisation qui, pendant longtemps, a été "le centre du savoir", qui attire à Bagdad puis à Cordoue non seulement des Orientaux mais aussi des Chrétiens d'Occident, et parmi ces derniers non des moindres: "Dans l'Espagne sous domination arabe, les sciences étaient très florissantes, l'université de Cordoue en Andalousie notamment était le centre du savoir ; de nombreux Occidentaux s'y rendaient comme l'avait déjà fait le pape Silvestre II, qui fut d'abord un moine célèbre sous le nom de Gerbert et qui s'était enfui en Espagne pour étudier chez les Arabes"3 . 1. Leçon sur la philosophie de la religion, trad. Gibelin, 1959, tome 4, p. 209. 2. La Raison dans l'histoire, trad. Papaioannou, 1965, p. 293. 3. Leçons sur l'histoire de la philosophie, trad. Garniron, 1978, T 5, p. 1090. 6 Penseur encyclopédique, soucieux comme il l'a été de la totalité des civilisations humaines, Hegel ne pouvait pas écarter une religion et un monde qui, non seulement sont la réalité d'une grande partie de l'Orient depuis de longs siècles, mais aussi qui constituaient la principale pomme de discorde des penseurs en Occident, surtout à l'époque des doctrines de la religion naturelle et de la naissance du concept de despotisme oriental. Volney et Goethe sont, parmi les penseurs de l'époque, ceux qui ont influencé considérablement Hegel et plus d'une fois il reconnaîtra leurs apports. Toutefois, ces derniers sont loin d'être les seuls à se passionner pour la question orientale ; depuis la Réforme plus d'un intellectuel s'enflamme et se pique de clore le débat. Or, la question orientale n'est autre chose que la question de l'Orient islamique et cela depuis son origine. Une chose importante est à noter d'ores et déjà : taxé d'abstraction, Hegel n'a pas exercé sur la question islamique sa sagacité ex nihilo. Circonscrire, et non point limiter, telle est à nos yeux, la plus élémentaire prudence : le Mahomet de Voltaire est plus antireligieux qu'anti-islamique ! Si important que puisse être le mouvement voire le bouillonnement des idées à l'époque de Hegel, notamment l'émergence de la question orientale, concentrés de critiques et critique concentrée de toutes les religions étrangères, passées et 7 présentes, comme le Bouddhisme et la religion grecque, on ne peut pas ne pas considérer plus prosaïquement l'impact de la réalité politico-historique de l'Islam dans le mouvement des idées, par exemple, les péripéties de l'histoire d'une empire ottoman qui, s'il abandonne définitivement le siège de Vienne en 1683, demeure encore en maître incontesté dans les Balkans, aux portes de l'Europe occidentale et de l'Allemagne en particulier. Hegel connaissait bien, culminant au 16ème et au 17ème siècles, "l'intérêt commun des Etats européens au dehors qui fut celui qu'ils eurent contre les Turcs, cette formidable puissance qui menaçait de submerger l'Europe du côté de l'Est"1. Pénétré du culte de la Beauté grecque, pétri d'hellénisme, est-il possible d'imaginer Hegel indifférent aux souffrances de la Grèce sous la botte des militaires ottomans ? En effet, dans ses Leçons sur l'histoire de la philosophie, Hegel souligne : dans la détresse où se trouvait la Grèce "du fait des Turcs, des ambassadeurs avaient été envoyés en Occident pour réclamer de l'aide..."2. Avec ses amis, Hegel avait lui-même participé à diverses manifestations en faveur de la résistance grecque. Cependant, l'entrée de l'Islam dans la philosophie hégélienne est relativement tardive, et cela rend complexe son 1. Leçons sur la philosophie de l'histoire, p. 330. 2. Leçons sur l'histoire de la philosophie, tome 5. p. 1136. 8 interprétation. Il est bien évident que Hegel ne livre pas ses conceptions ex-abrupto, d'où le repérage malaisé des éléments constitutifs de sa pensée. Jeune étudiant en théologie, à Tübingen, il n'a pas pu ne pas être confronté à la vision traditionnelle de l'Islam chez ses maîtres ecclésiastiques en ce qui concerne l'histoire des Croisades et aussi à la polémique luthérienne qui, dans une Exhortation à la prière contre le Turc, fustige abondamment le pape et Mahomet1. En effet, dans la lutte acharnée qui opposait les deux camps des protestants et des catholiques, il devenait habituel de s’accuser mutuellement de complicité ou de ressemblance avec la religion islamique. A noter aussi l'autre polémique, anti-luthérienne et en Europe occidentale précisément, sur une influence vraisemblable des idées islamiques sur la formation du protestantisme lui-même, comme le rejet des images par exemple qui a été vanté par Wyclif et par Luther également. C'est d'ailleurs un des arguments que la Contre-Réforme a utilisé contre les réformateurs : en 1795, un Bénédictin anglais du nom de William Rainolds, professeur de théologie à Reims, démontre dans un uploads/Philosophie/ manuscrit-hegel-et-l-x27-islam-hindawi.pdf
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- Publié le Aoû 21, 2021
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