1 Cécile Coudière Université Paris I Panthéon-Sorbonne UFR de Philosophie POST

1 Cécile Coudière Université Paris I Panthéon-Sorbonne UFR de Philosophie POST RESTANT, POUR UNE MODERNITE FEMINISTE : Féminisme et (post-)modernité dans l’art contemporain Directrice de Maîtrise : Madame Moeglin-Delcroix Année 2002-2003 2 « La femme artiste est simplement ridicule, mais je suis pour la chanteuse et la danseuse. » Auguste Renoir, peintre moderne « Les universités et les centres de savoir français ne parlent pas de la pénible marche des femmes artistes vers une visibilité de 15% en 2000. » Lunes, Hors-Série n° 2 3 Tous mes remerciements vont à Hélène Marquié, pour son aide et ses conseils précieux, à Aurélie, pour son œil de lynxe, et à Yveline Coudière, ma mère, à qui je dédie ce travail. - 1 - INTRODUCTION Post-modernisme, post-modernité, post-moderne... Trois visages d’une même famille notionnelle qui a investi l’ensemble de la scène culturelle occidentale depuis près de vingt-cinq ans. Mouvement d’après les avant-gardes, qui nous porterait au-delà d’une modernité obsolète et contestée, le « POMO » (comme ses détracteurs anglophones désigneront, à partir de 1985, les trois facettes de ce même phénomène), par sa critique d’une culture occidentale dominante, a souvent été associé à certains courants du féminisme, dans un même mouvement d’opposition anti- patriarcale. Cette association est le fait soit de critiques masculins post-modernes, qui découvrent l’intérêt que peut avoir le questionnement féministe pour leur pensée, soit de féministes qui considèrent le post-modernisme comme un tremplin pour leur lutte. Pourtant, il existe une telle dissymétrie entre ces deux mouvements, qu’on ne peut manquer de s’interroger sur la validité de ce rapprochement. En effet, s’il est possible de repérer des affinités théoriques entre deux pensées qui contestent certaines formes de domination, il est difficile de mettre exactement sur le même plan un courant de pensée très récent (dont le thème de prédilection est politique), avec un mouvement politique vieux de plusieurs siècles (qui utilise la pensée comme une arme parmi d’autres). En outre, la multiplicité des orientations post-modernes autant que celle des théories féministes laisse supposer que la coïncidence entre les deux n’est pas parfaite : sur quelles branches ont été effectuées les greffes ? quelles sont celles qui ont été élaguées ? Devant l’empressement de certaines à se revendiquer du post-modernisme, et la bienveillance chaleureuse des autres à les accueillir, j’ai voulu savoir si les raisons avancées par les unes et les autres fondent réellement une union sincère. L’écoute attentive de paroles dissidentes (féministes matérialistes ou post-modernes anti-féministes) m’a conduite à l’hypothèse suivante : et si le post-modernisme, pas - 2 - plus que le modernisme qu’il conteste, n’avait à voir avec le féminisme ? Et si le féminisme était porté par une autre impulsion, plus profonde, qu’on appelle la modernité ? C’est dans le champ de l’art contemporain que se sont cristallisées mes interrogations. Notamment parce qu’aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, la production artistique féministe s’est massivement tournée vers le post-modernisme quand celui-ci est apparu. Peut-être, comme le souligne le critique postmoderne Craig Owens, à cause de l’enjeu central qu’est la représentation pour le post-modernisme, dont le questionnement se situe « précisément à la frontière législative entre ce qui peut être représenté et ce qui ne le peut pas » ; or « parmi les bannis de la représentation occidentale, parmi ceux dont les représentations ont été privées de toute légitimité, on trouve les femmes »1 . Je me suis donc concentrée sur l’œuvre de trois artistes femmes régulièrement citées ensemble dans les écrits sur l’art contemporain comme exemplaires d’un art féministe post-moderniste2 (Sherrie Levine, Jenny Holzer, et Cindy Sherman), en m’interrogeant sur la pertinence pour chacune de cette double étiquette. Pourraient-elles être comprises indépendamment du féminisme et/ou du post-modernisme, ou bien au contraire, sont-ce eux qui donnent sens à ces oeuvres? Que peut-on dire des différences visibles entre elles, tant vis-à-vis du féminisme que du post-modernisme ? Ne pourrait-on pas trouver ailleurs que dans la post- modernité les qualités qui font leur force ? Ce faisant, j’ai écarté de mon champ d’investigation la question éminemment polémique de savoir si notre société dans son ensemble est post-moderne. Non qu’elle soit sans intérêt, mais son traitement est affaire de sociologue, pas de philosophe3. En revanche, ce dont on ne peut douter, et qui est l’objet de mon étude, c’est que dans la société occidentale, il existe une culture 1Hal Foster, The Anti-Aesthetic, Essays on Postmodern Culture, Seattle, Bay Press, 1983, p. 59 :« It is precisely at the legislative frontier between what can be represented and what cannot that the postmodernist operation is being staged. (…) Among those prohibeted from Western representation, whose representations are denied all legitimacy, are woman » Craig Owens, « The Discourse of Others : Feminists and Postmodernism » 2 A titre d’exemple, cf. Peggy Phelan, “Survey”, in Art and Feminism, Phaidon, 2001, p. 40 et Michael Archer, L’Art depuis 1960, Thames & Hudson, 1997, pp.177-178 3 Je renvoie à cet égard aux travaux d’Alain Touraine, qui me semble traiter la question avec une sérénité manquante à d’autres, notamment dans Critique de la modernité, Fayard, Paris, 1992 - 3 - (intellectuelle et artistique) post-moderne (ou post-moderniste), et que des relations plus ou moins étroites se sont nouées, dans les pays anglo-saxons, entre elle et le féminisme. Outre les définitions précises du post-modernisme et du féminisme qu’implique un tel rapprochement, il s’agira de déterminer ses raisons et ses enjeux, les conséquences pour l’un et pour l’autre : le féminisme post- moderne est-il vraiment féministe? Peut-on parler de post-modernisme féministe? Mais avant de procéder au questionnement de ce rapprochement entre post-modernisme et féminisme, je voudrais attirer l’attention sur la situation particulière de ce mémoire. Car si les travaux philosophiques prennent souvent le masque de la neutralité, ce que nous enseigne un tel sujet, c’est bien l’impossibilité d’une réflexion neutre et universelle : « Toute connaissance est le produit d’une situation historique, qu’elle le sache ou non. Mais qu’elle le sache ou non fait une grande différence ; si elle ne le sait pas, si elle se prétend “neutre”, elle nie l’histoire qu’elle prétend expliquer, elle est idéologie et non connaissance. »4 Ainsi, je suis féministe et plasticienne, et c’est dans cette double pratique que ce travail trouve son origine, et son sens. D’abord, parce que les questions auxquelles je tenterai de répondre ici sont dans leur majorité des questions que j’ai expérimentées ; ensuite, parce que le lieu d’où je parle, et qui doit être défini, est celui du féminisme matérialiste, c’est-à-dire du féminisme qui, s’exprimant entre autres dans Les nouvelles questions féministes, nourrit la réflexion des militantes françaises. Il se fonde en premier lieu sur le passage d’une analyse de la condition des femmes à celle de leur oppression, et « ses premisses l[e] conduisent à considérer les productions intellectuelles comme le produit de rapports sociaux, et à considérer ceux-ci comme des rapports de domination. »5 Enfin, sa situation géographique n’a pas non plus été insignifiante pour ce travail: car les débats dans 4 Christine Delphy, « Pour un féminisme matérialiste », in L’ennemi principal, T. 1, éditions Syllepse, 1998, (2002 pour la deuxième édition), p. 274 5 Ibid. - 4 - lesquels il s’insère sont autant absents de la scène française qu’ils sont omniprésents dans le monde anglo-saxon. En effet, comme l’indique Yves Michaud dans son livre La crise de l’art contemporain, le monde de l’art en France est aujourd’hui essentiellement accaparé par un problème, celui d’une supposée crise de l’art contemporain. Au point qu’un critique comme Jean Baudrillard, considéré à l’étranger comme l’un des initiateurs de la post-modernité, se défend d’une telle paternité, et ne parle d’art contemporain que pour pourfendre sa « nullité ». Quant au féminisme, ses thèses principales, comme ses “classiques”, restent largement ignorées par l’université française. Toute contraire est la situation des pays anglo-saxons, dont les paysages artistiques et intellectuels ont été depuis longtemps considérablement imprégnés par les différents courants féministes qui s’y sont développés – comme en témoigne la généralisation massive des women’s ou gender studies, qui sont devenus un élément banal de l’enseignement universitaire. D’autre part, le post-modernisme là-bas n’est pas considéré comme un “courant” avec lequel on puisse être plus ou moins d’accord, mais est admis comme un état de fait, point de départ de toute pensée contemporaine. C’est cette dissymétrie profonde entre deux univers culturels qui explique la présence massive d’auteur-es anglophones (non traduits) dans le corpus des textes auxquels je me suis référés : le courant du féminisme qui s’est converti au post-modernisme n’existe quasiment pas en France6, et les auteurs post-modernes français n’ont aucune prédilection pour les questions féministes. Cela peut paraître paradoxal quand on sait que les penseurs qui, dans le monde anglo-saxon, font figures de pionnier-es tant pour les féministes que pour les post-modernes… sont français ! Cela pose en tout cas de délicats problèmes d’interprétation, comme le montre ingénument la théoricienne 6 Il a fallu attendre ce printemps 2003 pour que ses tenant-es se donnent une visibilté, en investissant un numéro (le 12) de la revue post-moderniste Multitudes (chez Exils) - 5 - américaine Alice uploads/Philosophie/ post-restant.pdf

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