Les prix dans la théorie monétaire de Myrdal Alexander Tobon* PHARE, Université
Les prix dans la théorie monétaire de Myrdal Alexander Tobon* PHARE, Université de Paris X-Nanterre Résumé. Cet article présente la contribution de la théorie monétaire de Myrdal à la connaissance du comportement des prix en déséquilibre. Une fois défini l’équilibre, on peut démontrer l’existence d’un processus cumulatif en utilisant la capacité des entrepreneurs à anticiper la variation des prix. Dans ce processus, les prix varient de façon non proportionnelle à la quantité de monnaie, et c’est cette non proportionnalité qui justifie la persistance du processus cumulatif, ce qui n’était pas le cas dans la théorie de Wicksell. Le sens et la grandeur de la variation des prix monétaire sont parfaitement déterminés. Cette analyse permet de rejeter la théorie quantitative de la monnaie en utilisant l’approche de Wicksell, alors même que ce dernier pensait la valider. Ainsi, nous montrons quelques éléments théoriques et historiques en vue de fortifier la critique adressée à la théorie quantitative de la monnaie. Mots clés : Myrdal, équilibre monétaire, processus cumulatif, prix, profit. Classification JEL : B22, D84, E21, E22, E31, E41. * Université de Paris X-Nanterre, Bâtiment K-131, 200 Avenue de la République, 92001, Nanterre Cedex, France. Mél: atobon@u-paris10.fr. Je tiens à remercier Carlo Benetti, Alain Béraud, Gilles Dostaler, Jérôme de Boyer et Antoine Rebeyrol pour leurs commentaires. 1 Introduction Gunnar Myrdal est un des économistes qui a établi une relation entre la monnaie et les prix dans le cadre de la théorie de Wicksell. Son texte, Equilibre Monétaire [1931], est cité fréquemment dans la littérature économique mais malheureusement peu analysé en détail.1 Il est considéré comme l’auteur ayant introduit d’une façon cohérente la distinction ex ante/ex post, laquelle est le point de départ de la théorie de l’équilibre temporaire, développée ensuite par Hicks [1939]. Cependant, l’analyse de Myrdal continue à être méconnue sur ce qui constitue sa contribution majeure : l’approfondissement de la connaissance sur la variation des prix dans une situation de déséquilibre monétaire. L’origine de l’absence de reconnaissance de la théorie de Myrdal, et d’une grande partie de la littérature suédoise, a été la consolidation de la synthèse néoclassique/keynésienne. Le consensus autour de la lecture de la Théorie Générale a effacé presque toute possibilité de débat face aux théories qui la précédaient.2 Le schéma IS-LM, dans la version du modèle des anticipations rationnelles de Lucas, n’a jamais essayé d’établir explicitement un rapport avec la tradition suédoise dans laquelle les anticipations jouent aussi un rôle fondamental. Dans la macrodynamique actuelle, les efforts ont été axés sur la construction d’un modèle d’équilibre avec des fondements microéconomiques. Les prix monétaires ont dans ce modèle une place secondaire, au contraire des modèles de Lucas et de Myrdal. La macroéconomie actuelle se trouve de plus en plus éloignée des intuitions que lui ont donné origine. Face à ce constat, la théorie de Myrdal n’est pas anachronique. L’analyse de Myrdal est construite comme une critique de la définition d’un équilibre monétaire dans l’approche de Wicksell [1898]. 3 Depuis sa 1 L’édition originale de l’Equilibre Monétaire a été publiée en suédois et intitulée “Om penningteoretisk jämvikt”, Ekonomisk Tidskrif 1931, publiée en 1932. Une version allemande est intitulée “Der Gleichgewichtsbegriff als Instrument der geldtheoretischen Analyse”, publiée dans Beiträge zur Geldtheorie, editée par Hayek, Vienne 1933. La version définitive apparaît en anglais en 1939. Pour plus de détails sur les modifications entre chaque version, voir Palander [1941]. 2 Une partie du débat sur la relation entre Keynes et les économistes suédois porte sur l’idée selon laquelle ces derniers ont anticipé les résultats de la Théorie Générale. Cette idée est défendue notamment par Ohlin [1937, 1978], Shackle [1967] elle est attaquée par Patinkin [1978, 1982]. 3 Une critique du concept d’équilibre monétaire de Wicksell avait été déjà formulée par Lindahl dans son texte Penningpolitikens Medel (Methods of Monetary Policy) de 1930. Traduit partiellement dans Lindahl [1939] dans la partie II, intitulée The Rate of Interest and the Price Level. Myrdal va s’opposer à la critique de Lindahl, notamment sur la question des prix. 2 dissertation doctorale de 1927 intitulée Le problème de la formation des prix et le changement économique, Myrdal avait porté son attention sur le problème classique de la détermination des prix d’équilibre. Il utilise une approche microéconomique et introduit les idées de risque et de profit anticipé. En continuité avec cette tradition, le programme de recherche de son Equilibre Monétaire porte aussi sur la question des prix. Dans une approche macroéconomique, l’analyse des prix apparaît explicitement dans ce qu’il appelle ‘la troisième condition de l’équilibre monétaire’. A travers cette condition, Myrdal propose une théorie des prix d’équilibre et de déséquilibre, laquelle constitue en même temps une critique et une solution aux problèmes de la théorie de Wicksell. Malgré son importance, l’analyse des prix de Myrdal apparaît obscure et apparemment déconnectée du reste de sa théorie. Ces deux difficultés n’ont pas été surmontées par ses commentateurs. Ils se consacrent à l’étude des deux autres conditions de l’équilibre monétaire : celle relative à l’égalité entre le taux monétaire et le taux naturel et celle relative à l’égalité entre l’investissement et l’épargne. Les travaux les plus remarquables sont notamment Palander [1941], Shackle [1945] et Shackle [1967], lesquels sont consacrés exclusivement à l’étude de l’Equilibre Monétaire. Ces études mettent trop l’accent sur la justification des anticipations comme une forme de dynamisation de la théorie de Wicksell et, surtout dans l’intention de défendre une politique de stabilisation du niveau des prix. La troisième condition de l’équilibre n’est traitée en détail que par Palander [1941]. Néanmoins, son analyse des prix ne se révèle cohérente que dans le cadre la théorie de Lindahl.4 Dans cet article, nous essayons de présenter la spécificité de l’analyse des prix de la théorie de Myrdal par rapport à celle de Wicksell. Nous n’essayons pas seulement d’enrichir la compréhension du concept d’équilibre monétaire mais aussi de présenter le modèle de Myrdal comme une solution à l’arrêt du processus cumulatif des prix dans la théorie de Wicksell. Il est ainsi possible de déterminer le sens et la grandeur de la variation des prix monétaires. Le caractère spécifique des propositions de Myrdal tient à la capacité des entrepreneurs d’anticiper la variation non proportionnelle des prix. Cela permet aux entrepreneurs l’obtention d’un profit additionnel positif en termes réels. Au fond, l’analyse de Myrdal sert 4 Parmi les travaux consacrés exclusivement à l’étude de la pensée de Myrdal, on trouve par exemple Hicks [1982], Dostaler [1990] et Dostaler et all [1990]. Les travaux plus nombreux sont ceux qui présentent certains aspects de la théorie de Myrdal dans le cadre de l’Ecole de Stockholm, par exemple Ohlin [1937], Lerner [1940], Ohlin [1978], Patinkin [1978, 1982], Hansen [1981], Hansson [1982], Jonung [1991, 1993], et récemment Laidler [1999]. 3 à compléter celle de Wicksell mais rejette la théorie quantitative de la monnaie. Pour accomplir notre objectif, nous avons divisé l’étude en six parties. La première section est consacrée à l’identification de l’équilibre monétaire, autant chez Wicksell que chez Myrdal. La deuxième présentera l’analyse du déséquilibre ou processus cumulatif des prix. Puis, dans la troisième partie, nous présentons le processus de variation du niveau général des prix dans le cadre de la distinction ex ante/ex post. La quatrième partie présentera les avantages de la théorie de Myrdal par rapport à celle de Wicksell. La cinquième section suggère un mécanisme de formation des prix de marché, et enfin, dans la dernière section on présentera les conclusions. 1. La définition de l’équilibre monétaire Le point de départ consiste à établir la distinction entre l’équilibre monétaire de Wicksell et celui obtenu à travers la critique de Myrdal. Il est bien connu que dans la théorie de Wicksell, l’équilibre monétaire est défini par trois conditions : 1) l’égalité entre le taux monétaire et le taux naturel , 2) l’égalité entre l’investissement m i n i I et l’épargne , et 3) le niveau général des prix est constant (ou stable), donc son taux de variation dans le temps S P & est égal à zéro. On a alors : n m i i = S I = 0 = P & Le taux d’intérêt monétaire est défini comme celui auquel les banques prêtent la monnaie aux entrepreneurs5 et, le taux d’intérêt naturel est défini comme la productivité marginale physique des facteurs du processus détourné de production. Lorsque ces deux taux sont égaux, aucun entrepreneur n’est incité à modifier son niveau de production puisqu’il n’aperçoit pas la possibilité d’obtenir un profit additionnel. Cette situation se reflète au niveau global, puisque l’investissement sera égal à l’épargne, ou la même chose, l’offre globale des biens est égale à la demande globale. Etant donné cet équilibre, le niveau général des prix doit rester constant, donc les prix relatifs vont aussi rester constants. La persistance de cet équilibre dans le temps, implique que le taux d’inflation est zéro. Voilà les trois conditions d’un équilibre monétaire neutre. 5 Pour simplifier notre étude, nous supposons que l’entrepreneur est le propriétaire du capital. Il est donc un entrepreneur-capitaliste. 4 Myrdal considère que cette définition d’équilibre monétaire « est partiellement fausse et uploads/Philosophie/ la-theorie-monetaire-chez-myrdal.pdf
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- Publié le Oct 23, 2021
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