Bernard Pottier Pensée structurée et sémiologie In: Bulletin Hispanique. Tome 6

Bernard Pottier Pensée structurée et sémiologie In: Bulletin Hispanique. Tome 60, N°1, 1958. pp. 101-112. Citer ce document / Cite this document : Pottier Bernard. Pensée structurée et sémiologie . In: Bulletin Hispanique. Tome 60, N°1, 1958. pp. 101-112. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hispa_0007-4640_1958_num_60_1_3567 PENSÉE STRUCTURÉE ET SÉMIOLOGIE A. — Introduction méthodologique 1. La linguistique contemporaine se préoccupe surtout des aspects théoriques de la recherche. Il existe à l'heure actuelle plusieurs écoles linguistiques qui s'op posent par les hiérarchies différentes de leurs préoccupations : la phonologie pragoise, la glossématique danoise, les structuralismes genevois ou américains de diverses tendances, la psychosystématique de M. G. Guillaume, etc. Il est pratiquement impossible de juger de la valeur d'une théorie en se limitant à l'étude de ses principes directeurs et, d'autre part, s'enfermer dans sa tour d'ivoire n'a jamais été la meilleure façon de convertir les indécis. Un seul critère apparaît objectif : le rendement explicatif d'une théorie. Les théories actuelles visent à faire entrer les descriptions des langues dans des cadres généraux d'analyse. Il est naturel de recher cher, dans des études particulières, dans quelle mesure certains principes généraux peuvent éclairer de façon révélatrice des phéno mènes linguistiques non expliqués jusqu'ici. Un? langue doit d'abord être analysée synchroniquement ; on aboutira à un ensemble de petits systèmes. L'étude diachronique ne peut porter que sur une succession de systèmes synchroniques. Cette méthode, appliquée avec succès dans le domaine des phonèmes, n'a pas abouti à une unité de vue en ce qui concerne les morphèmes. 2. De la description à V 'explication. La réaction « antimentaliste » a conduit au fonctionnalisme des criptif. On est passé d'un extrême à l'autre. Aujourd'hui, le mouve ment structuraliste s'oriente vers un moyen terme. En effet, le com portement des morphèmes, même exhaustivement analysé et classé, ne saurait donner autre chose que le résultat de l'acte de langage. Or, à chaque instant, au moment où nous parlons, un mécanisme est mis en mouvement, par lequel notre pensée est sélectionnée, catégorisée, puis exprimée au moyen de signes. Il faut donc remonter des signes au mécanisme (sélection et catégorisation) qui les utilise. L'aspect le plus révélateur de l'étude des signes (ou sémiologie) est la considération de l'extension d'une forme, qui se manifeste dans une opposition asymétrique du type « marqué /non-marqué » ou « intensif /extensif ». Pour prendre un exemple simple, on n'oppose 102 BULLETIN HISPANIQUE pas, sur un même plan, « masculin /féminin » : on constate que le masculin est le terme non marqué de l'opposition (ou extensif) et que là féminin est le terme marqué (ou intensif). D'où le choix du masculin (qui n'exclut pas le féminin) dans la nominalisation verbale (« el gastar mucho »), l'accord multiple (« el gorro y la boina negros »), la présentation hors contexte d'un adjectif dans le dictionnaire (« bueno »), etc., alors que le féminin représente une opposition volon taire au masculin dans le cas du genre significatif. Ce critère de des cription structuraliste rejoint, et c'est remarquable, un principe essentiel de la psychosystématique de M. G. Guillaume. Les struc turalistes tentent do remonter l'acte de langage à partir de son résul tat; la psychosystématique en suit le développement depuis son point de départ, le pensé. Il est naturel de trouver, à, un certain niveau, des conceptions comparables. On a tort d'opposer des écoles qui ont toutes pour but une meilleure explication des faits linguis tiques. Une description bien menée suggère des explications. La psycho systématique en propose une. Il s'établit des compatibilités que nous voudrions souligner ici en empruntant un exemple à l'espagnol. 3. L'acte de langage forme un tout. On peut schématiser de la façon suivante les phases principales par lesquelles se réalise l'acte de langage chez le sujet parlant désireux, à, un moment donné, de communiquer une pensée. I : Le pensable est sélectionné en pensé. Cette opération ne peut se faire (on n'en peut prendre conscience) qu'à travers une structu ration (c'est-à-dire le choix d'une partie du discours). On aboutit ainsi à une pensée structurée. L'aspect extérieur et communicable de cette pensée structurée (la même notion peut être retenue sous le cadre verbal ou nominal, par exemple) tient au système de signes ou sémiologie dont elle se revêt (exemple : cas-it-a). Chez un sujet parlant donné, le rapport entre la sémiologie et la pensée structurée est permanent. C'est un rapport de langue, commun également à un nombre important d'individus (idiome commun). II : Lorsque le sujet parlant veut communiquer sa pensée à ses semblables, il utilise momentanément, dans le « discours », ce qu'il possède en puissance (en permanenco) en « langue ». Chaque élément de langue (rapport « sémiologie /pensée structurée »), se trouvant uni momentanément dans le discours à d'autres éléments, voit certains de ses caractères (formels ou sémantiques) se modifier du fait même des coexistences nouvelles du contexte de discours. PENSÉE STRUCTURÉE ET SÉMIOLOGIE 103 Sur le plan phonique, on oppose les phonèmes (définis par des traits permanents de langue) aux réalisations ou variantes phonét iques du discours1. Sur le plan morphosyntaxique, on peut également opposer le niveau de la langue au niveau du discours. Le structuralisme part de la sémiologie de discours ; il essaie d'éta blir des constantes, qui sont une première indication de langue. La sémiologie étant l'expression de la pensée structurée, les cons tantes sémiologiques sont généralement des indices de constantes dans la pensée structurée. 4. Constante structuraliste et constante psychosystématique comparables. La constante, selon les structuralistas (qu'elle soit phonologique ou morphosyntaxique), est qu'un élément se définit par opposition à un autre élément, et que cette opposition met en rapport un terme marqué et un terme non marqué (ou un terme intensif et un terme extensif) [extensivité fonctionnelle]. La constante, en psychosystématique (dans la recherche de la divi sion des parties du discours et la formation des système3 internes de ces parties du discours), est que les oppositions binaires, constatées tout au long d'une bipartition répétée, correspondent à un mouvement double, allant du large à l'étroit (ou tension I) et de l'étroit au large (ou tension II) [extensivité structurale et sémantique]. On constate qu'il s'agit, dans les deux cas, d'une opposition non réversible entre les deux termes. Le caractère binaire des oppositions de langue est un des rares points, mais combien important, de coïnci dence entre les différents structuralismes. Il doit faire l'objet d'une étude particulière. 5. L'indication de la sémiologie. La sémiologie ne recouvre jamais parfaitement la pensée structurée. Il existe cependant entre elles un certain degré de convenance qui fournit un indice de rapports établis, inconsciemment, dans le choix d'une forme. Ainsi le numéral un, retenu pour la nouvelle catégorie de l'article un, le pronom rétrospectif (tension II) la, correspondant à l'article la (de tension II), et le cas du pronom quien, que nous allons analyser à présent. 1. Cf. A. Martinet, Économie des changements phonétiques, p. 25 : «A côté du contexte du discours, il faut opérer maintenant avec le contexte du système. » 104 BULLETIN HISPANIQUE B. — L'espagnol « quien » 6. Le classement traditionnel. Les grammairiens répartissent les emplois de quien en quatre grandes catégories, au niveau du discours : a) L' « inteirogatif ». — Exemple : ¿ Quién dijo esto ? b) L' « indéfini ». — Exemple : Quien trabaja tiene alhaja. c) Le « relatif ». — Exemple : Ayer, vi a un amigo tuyo, quien... d) L' « exclamatif-optatif ». — Exemple : ¡ Quién supiera escribir ! Le trait commun entre ces emplois est la fonction pronominale. Mais on ne comprend pas comment on peut opposer des notions aussi différentes que « interrogatif » et « indéfini » par exemple. 7. Un utile intermédiaire : V analyse structurale immanente. ' Une seule réalité nous est donnée : le texte « sans fin » du discours. Il est légitime de se demander si quelque chose, dans le contexte de discours, permet de distinguer des catégories d'emploi. La suite « quien + présent de l'indicatif » exclut par exemple le cas « excla matif-optatif » (on ne peut dire « *| Quién sabe escribir ! »), ou encore la suite « quien + présent du subjonctif » exclut le cas « interrogad » (on ne peut dire « *¿ Quién llegue? »). Si les emplois des temps et modes étaient en distribution complémentaire, la suite « quien -f tel temps » exprimerait la catégorie d'emploi. Mais, dans l'état actuel de l'espagnol, il n'en est pas ainsi. i 8. La démarche « combinaisons immanentes-catégories d'emploi » n'est pas suffisamment révélatrice. On peut trouver en espagnol les textes suivants : a) « ¿Quién tuviera tanta suerte? » ('Qui avait eu une telle chance'?) ; b) « i Quién tuviera tanta suerte ! » ('Ah ! si j'avais une telle chance' !) ; c) « Quien tuviera tanta suerte podría vivir tranquilo » ('Celui qui aurait une telle chance...') ; d) « Ya te hablé de Felipe, quien tuviera tanta suerte como Carlos si fuera más atrevido » ('... Philippe, qui aurait autant de chance uploads/Philosophie/ pottier-bernard-pensee-structuree-et-semiologie-in-bulletin-hispanique-tome-60-n01-1958-pp-101-112.pdf

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