III.1.3 FORCE ET LOGIQUE DU DISCOURS Pour un essai méthodologique de lecture cr
III.1.3 FORCE ET LOGIQUE DU DISCOURS Pour un essai méthodologique de lecture critique L'essence du politique et l'âme du juridique s'expriment à travers le discours : l'administrateur, le législateur, le magistrat doivent toujours alléguer en faveur de leurs décisions de "bonnes raisons "1. Cet "art de persuader "2 nécessite une formation à l'ordre démonstratif, à la preuve ; l'esprit a besoin de règles pour décider de la force et de la droiture de ses raisonnements. Cette conception met l'accent sur l'implantation d'une pensée dans l'esprit à l'aide d'une véritable combinatoire des mots. "Les mots diversement rangés font divers sens et les sens diversement rangés font différents effets "3. Pascal fait référence dans les Pensées à un véritable ordre génératif de la pensée, reflet de l'"esprit de géométrie ", symbole de l'"esprit de justesse " et de l'"esprit de netteté" 4. Selon cet auteur il y aurait une possibilité d'appropriation de l'art du discours par des préceptes de l'art de penser. "Ils suffisent seuls, ils prouvent seuls ; toutes les autres règles sont inutiles ou nuisibles "5. Pour lui deux remèdes suffisent à qui veut juger juste et raisonner droit : définir tous les termes et prouver toutes les propositions. Ces "diamants de grand prix "20 permettent de conférer à un auteur ses lettres de noblesse : c'est-à-dire, ces préceptes autorisent à juger d'un propos, "à sonder comme cette pensée est logée en son auteur, comment, par où, jusqu'où il la possède ".6 Cet apprentissage est fort éloigné de "l'art de convaincre " des sophistes dépeints par Platon comme de véritables négociants de mots. L'agrément de leurs paroles ne sert que l'intérêt du "hic et nunc ". C'est pourquoi cet article a pour dessein 1 Perelman, "Logique juridique", Dalloz, Paris, 1979, p. 6. 2 Pascal, "De l'art de persuader ", Section II 355 b. 3 Pascal, "De l'art de persuader ", Section II. 4 Cf. les "Pensées " de Pascal. 5 Pascal, "De l'Art de Persuader ", Section II 358 b. 6 Pascal, "De l'Art de Conférer " et aussi "Logique de Port Royal " d'Arnauld et Nicole. de parier qu'une "tête bien faite " vaudrait mieux qu'une "tête bien pleine ". Suivant en cela les conseils de Pascal et de Montaigne on visera à inventer une méthodologie de construction de l'art de penser. I - LOGIQUE DU DISCOURS La logique d'un discours quel qu'il soit doit se plier sous les fourches caudines de l'argumentation : justifier ses présupposés théoriques hérités de tel ou tel autre oeil disciplinaire, préciser ses a priori et ses cheminements démonstratifs, savoir expliciter d'où il parle, quelle est sa thèse, comment la démontrer. En effet, un juriste ou un politique pourrait-il envisager sérieusement la mise en place de sa pratique, de ses stratégies d'intervention et de ses objectifs sans avoir acquis un embryon de formation à l'argumentation ? Bien des projets éducatifs ne font que ressembler à un kaléidoscope savant où de nombreux intervenants présentent leurs "visions", toutes vraies, toutes différentes, en laissant le soin, combien déstructurant à l'étudiant de découvrir son propre fil conducteur ! Or, la construction de ce "métalangage "7, c'est-à- dire de ce discours compréhensif et intuitif sur l'ensemble des interventions présuppose l'assimilation synthétique de tout exposé : "la condition préalable à l'application des raisonnements… c'est que quelque chose soit déjà donné à la représentation "8 et "pour que le raisonnement logique soit doué de solidité, il faut que l'on puisse embrasser ces objets du regard dans toutes leurs parties, et que l'on puisse reconnaître par intuition immédiate, en même temps que ces objets eux-mêmes, comme des données qui ne se laissent plus réduire à quelque chose d'autre, ou qui, en tout cas, n'ont pas besoin d'une telle réduction, comment ils se présentent, comment ils se distinguent les uns des autres, comment ils se suivent ou comment ils sont rangés les uns à côté des autres "9. Cercle vicieux, aporie guettant tout éduqué ! Or, comme "l'acte de penser est environné d'un nimbe " et que "son essence, la logique représente un ordre suprêmement simple, ordre a priori du monde "10 il semblerait opportun de révéler ce "cristal le plus pur "25, expérience nécessaire pour tous. Cette "substantifique moelle "11, condition sine qua non de la validité de tout argumentaire, peut être révélée par une certaine méthodologie d'apprentissage de la lecture sous 7 Métalangage défini comme "Réflexion ou langue intuitives " par Martin dans "Logique contemporaine et formalisation", Epiméthée, p. 23, PUF, 1964. 8 Martin, Logique contemporaine et formalisation Epiméthée, p. 24. 9 Martin, Logique contemporaine et formalisation Epiméthée, p. 25. 10 Wittgenstein, Tractatus, logicus, philophicus, 97, Paris, 1961. 11 Cf. Descartes, Méditations Métaphysiques, Pléïade. forme d'expérimentation de l'analyse critique. La logique d'un discours ne se régulant par "rétroaction "12 qu'après ce type d'entraînement. Spinoza n'aurait pas inventé l'Ethique s'il n'avait tenté d'exposer more geometrico les Principes de la philosophie de Descartes 13, Hegel n'aurait pas écrit la Phénoménologie de l'Esprit et découvert la dialectique —thèse, antithèse, synthèse—, s'il n'avait tenté de surmonter les contradictions de l'histoire de la Métaphysique de Platon à Kant… En conséquence, une méthodologie de lecture critique a été mise au point en vue de l'apprentissage par tout étudiant de la logique, car, "de cette dialectique immanente ou vivante des genèses et des structures résulte alors la double impossibilité d'étudier les analyses historico- critiques sans une référence constante aux structures, donc sans un recours aux méthodes d'analyse directe ou formalisante, ni d'étudier les structures par voie directe ou formalisante sans se référer nécessairement à un certain niveau d'élaboration donc sans un appel à quelque perspective historico-critique "14. Le caractère de validité des structures peut paraître ne relever que d'une validation, en quelque sorte absolue, puisque assurée par les instruments de l'analyse logique. Car "il existe une histoire des différentes formes de validation et cette histoire ne relève plus de l'analyse formalisante mais de la méthode historico-critique qui remontera de Gödel à Whitehead et Russel, d'eux à Frege Boole et Morgan jusqu'à Aristote "15. Selon Piaget, Aristote nous montre le chemin. Il s'agit pour cet auteur d'une recherche traitée par le texte des "Premiers analytiques " sur la démonstration comme "propédeutique à toute science théorique " et aussi comme "doctrine de la construction des schémas de raisonnement "16. Or, toute démonstration est syllogisme : "c'est que la démonstration part de données, ou prémisses, absolument vraies, conduisant à une conclusion vraie absolument ; le syllogisme en tant que tel ne fonde que la nécessité conditionnelle de sa conclusion, la vérité des prémisses n'étant qu'assumée "31.… "le syllogisme semble donc bien être un discours déductif dont la nature est strictement formelle, en ce sens que la nécessité de 12 Cf. Morin, La Méthode. 13 Cf. C. Peyron-Bonjan "Genèse d'une illusion : la création divine ", thèse 1983, Aix- en-Provence. 14 Piaget, dans "Logique et connaissance scientifique ", La Pléïade, 1976, p. 131. 15 Piaget, "Nature et Méthodes " dans "Logique et connaissance scientifique ", La Pléïade, 1976, p. 128. 16 Granger G.G., La théorie Aristotélicienne de la Science, Col. Analyses et raisons, Aubier, 1976, p. 109. la conclusion ne s'attache pas à son contenu, mais au lien qui la fait dépendre des prémisses "31... "il établit un enchaînement entre deux termes par le moyen d'un troisième "17. En ce sens, il semblerait intéressant de préciser les conditions de validité formelle de tout argumentaire, conditions devant être apprises pour l'art de persuader. On appelle "formelle " la logique qui s'occupe uniquement de notre façon de penser sans tenir compte des objets particuliers sur lesquels cette pensée s'exerce. En ce sens, la logique aristotélicienne est bien une analyse des formes de la pensée : "cette dénomination lui convient "18. Afin d'expliciter la logique essentiellement démonstrative, l'idée importante serait de repérer dans l'expérience de la lecture d'écrits, une méthodologie radiographiant la forme abstraction faite du contenu, décelant la pertinence des enchaînements et des preuves, par voie de conséquence notifiant l'impact du "dia"19 emportant l'adhésion nécessaire. Or, pour qu'un juriste ou politique convainque, il faut qu'à partir de ses soubassements postulés tout discours s'enchaîne selon une implication nécessaire, selon une déduction inéluctable : "l'importance de la logique réside avant tout dans l'implication… des techniques sont nécessaires pour montrer, étant donné deux énoncés, que l'un implique l'autre ; en ce fait consiste la déduction logique "… et "l'inférence logique conduit de prémisses énoncés assumés ou admis - à des conclusions dont on peut décider sur des bases purement logiques qu'elles sont vraies "20. Le déroulement implicatif du texte ou du discours témoignera en son âme et conscience du vrai si la déduction est validée et du faux si elle ne l'est pas ; d'où la nécessité de doubler les requisits éventuels de tout processus démonstratif de l'entraînement à la lecture critique, véritable radiographie logique de tout discours. II - RADIOGRAPHIE D'UN DISCOURS - ARCHITECTONIQUE LOGIQUE Tel le squelette radiographié grâce à un appareil de logique formelle, tout discours cherchant à prouver une thèse quel qu'en soit le contenu est validable ou pas. Là, l'importance de l'acquisition uploads/Philosophie/ rhetorique-pdf.pdf
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- Publié le Nov 15, 2021
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