Survol historique sur le concept de la pragmatique Le terme pragmatique dérive

Survol historique sur le concept de la pragmatique Le terme pragmatique dérive du grec πραξις, qui signifie « action, exécution, accomplissement, manière d’agir, conséquence d’une action... ». En 1938, le philosophe et sémioticien américain Charles W. Morris est le premier à l’utiliser pour définir, paradoxalement, une discipline qui n’existe pas encore : « la pragmatique est cette partie de la sémiotique qui traite du rapport entre les signes et les usagers des signes ». On voit que cette définition déborde largement et le domaine linguistique, pour aller vers la sémiotique (étude des signes), et le domaine humain, les « usagers des signes » pouvant fort bien être des animaux ou des machines. Trente ans plus tard, le logicien et philosophe des sciences israélien Yehoshua Bar-Hillel précise que la pragmatique concerne aussi la « dépendance essentielle de la communication, dans le langage naturel, du locuteur et de l’auditeur, du contexte linguistique et du contexte extra-linguistique, de la disponibilité de la connaissance de fond, de la rapidité à obtenir cette connaissance de fond et de la bonne volonté des participants à l’acte communicatif » [1][1]« Communication and argumentation in Pragmatic Languages », in…. Et le Français Francis Jacques (1979) de conclure : « la pragmatique aborde le langage comme phénomène à la fois discursif, communicatif et social ». Ce sont là autant de pistes de recherche qu’exploitent les courants récents et contemporains de la pragmatique. Les notions clés de la pragmatique correspondent à des concepts longtemps ignorés ou négligés par la philosophie du langage et la linguistique : la notion d’acte, car le langage est action en ce sens qu’il permet d’instaurer un sens, mais aussi d’agir sur le monde et sur autrui ; la notion de contexte, car l’interprétation du langage ne saurait faire abstraction de la situation concrète dans laquelle les propos sont émis (le lieu, le moment, l’identité des interlocuteurs…) ; et la notion de désambiguïsation, car certaines informations extra-linguistiques sont indispensables à la compréhension sans équivoque d’une phrase (l’attribution des référents corrects aux pronoms, etc.). C’est grâce à de tels concepts que la pragmatique s’efforce de répondre aux questions qui la préoccupent : que faisons-nous lorsque nous parlons ? que disons-nous exactement lorsque nous parlons ? comment se fait-il que nous ne disions pas toujours ce que nous voulons dire, ni ne voulions dire ce que nous disons ? qu’avons-nous besoin de savoir pour que telle phrase cesse d’être ambiguë ? pouvons-nous nous fier au sens littéral d’un propos ? etc. La pragmatique est donc une discipline qui s’attache à la communication et à ses acteurs ; à ce titre, et quelle que soit l’orientation qu’elle prend, il est logique qu’elle accorde au langage une place prépondérante. 2 – Qu’est ce que le langage ? Le langage est la « fonction d’expression de la pensée et de communication entre les hommes, mise en œuvre au moyen d’un système de signes vocaux (parole) et éventuellement de signes graphiques (écriture) qui constitue une langue » ; du point de vue de la linguistique, il est « l’ensemble de la langue (système abstrait) et de la parole (réalisations) » (Le Grand Robert de la langue française) – on retrouve dans cette seconde partie de la définition l’opposition langue vs parole de F. de Saussure, langue vs discours de G. Guillaume. Le langage est un phénomène isolé et propre à l’espèce humaine. La plupart des espèces animales disposent certes de systèmes de communication ou d’expression : les singes (on sait aujourd’hui que l’homme et les grands primates appartiennent à la même famille), les abeilles, les fourmis, les oiseaux, etc. Mais même lorsque les animaux recourent à la gestuelle, voire à la mimique, leurs modes d’expression restent fort éloignés de la faculté de communication des hommes. Cette aptitude particulière, inscrite dans le patrimoine génétique humain, a probablement été favorisée par des circonstances liées à l’évolution de l’espèce : morphologie du crâne et du larynx de l’homme, existence de l’os hyoïde à l’angle de la partie antérieure du cou et du plancher de la bouche, développement d’aires cérébrales spécialisées, etc. Nulle espèce dans le règne animal ne dispose donc d’un langage comparable à celui des humains, lequel se distingue nettement des formes de communication, pourtant multiples, qu’utilisent les animaux. En effet, les échanges langagiers des humains ne sont pas entièrement conditionnés par les stimuli : les paroles qu’une personne est susceptible de prononcer dans des circonstances données ne se résument pas à un ensemble stéréotypé de répliques. Les échanges communicatifs des animaux, par contre, sont entièrement prévisibles. EXEMPLE Une abeille qui rentre à la ruche après avoir repéré une source de nourriture exécutera une danse qui, par la fréquence des frétillements de l’insecte et l’inclinaison de son corps par rapport à la verticale, lui permettra de communiquer l’information à ses congénères et même de localiser le butin avec précision. L’abeille peut certes produire au départ de ces deux variables (fréquence et inclinaison) de multiples messages ; ceux-ci sont néanmoins totalement prévisibles et en nombre fini, comme au demeurant les réponses des autres insectes. En revanche, un être humain qui rentre chez lui après avoir découvert un bon restaurant est susceptible de proférer un nombre infini de phrases, lesquelles sont absolument imprévisibles, de même que les réponses de ses interlocuteurs. De surcroît, le langage humain est un système symbolique créatif : il n’y a pas de limite au nombre de messages qu’une personne peut produire ou comprendre. Et les signaux linguistiques complexes comme les phrases ont une structure interne ; ils sont décomposables et leurs éléments constitutifs peuvent se recombiner entre eux pour forger des significations nouvelles [2] [2]Les mots (lexèmes) eux-mêmes sont décomposables en éléments…. EXEMPLE Il est parfaitement possible de comprendre une phrase, même un peu étrange, que l’on n’a jamais entendue auparavant : La locomotive a balayé une termitière déserte. Enfin, il n’existe aucun lien intrinsèque entre le signe linguistique et le contenu qu’il évoque : c’est l’arbitraire du signe. EXEMPLES Décrire, même très précisément, le physique d’une personne à un interlocuteur qui ne la connaît pas amène généralement ce dernier à se faire de la personne une idée très différente de celle qu’il aurait eue s’il avait pu voir sa photo : en effet, la photo ressemble à la personne ; le message linguistique, non. – […] la pêche c’est aussi cruel que les courses de taureaux… – Je n’avais jamais fait la comparaison, dit modestement Cidrolin. – Réfléchissez cinq minutes. Ce sont des maniaques sadiques, les pêcheurs à la ligne. Ils ont une réputation usurpée de philosophes bons. Franchement, ne trouvez-vous pas l’hameçon plus sournois et vicieusement barbare que l’espadrille ? – L’espadrille ? – Ces trucs qu’ils enfoncent dans le cou du fauve. – Vous êtes sûr que cela s’appelle comme ça ? – Pour le moment, moi j’appelle ça comme ça, donc ça s’appelle comme ça et comme c’est avec moi que vous causez en ce moment et avec nul autre, il vous faut bien prendre mes mots à leur valeur faciale. (Queneau, Les fleurs bleues) L’interlocuteur qui gratifie Cidrolin de ce commentaire halieutique fait jouer, en décidant d’appeler espadrille une banderille, le principe de l’arbitraire du signe (Queneau a bien entendu choisi deux termes qui connaissent une relative proximité phonétique, ce qui garantit et la compréhension du lecteur et l’effet humoristique). 3 – L’utilité du langage Il serait tentant de dire que le langage sert à améliorer et à développer les liens sociaux et l’organisation sociale, ou qu’il permet de demander et d’obtenir ce que l’on veut (et que l’on n’aurait pas obtenu sans recourir à lui). Mais de tels objectifs sont atteints de façon satisfaisante sans le recours au langage : les abeilles et les fourmis sont manifestement capables de construire une hiérarchie élaborée, d’autres espèces animales ainsi que des populations dites primitives organisent des activités sociales (chasse, cueillette), signalent la présence d’un danger, etc. Quant aux enfants en âge prélinguistique et aux animaux domestiques, chacun sait qu’ils se font parfaitement comprendre (on dit souvent à propos d’un chien ou d’un chat qu’« il ne lui manque que la parole »). Le véritable avantage du langage, c’est qu’il est un outil de représentation et de transmission de connaissance et d’information. Le contenu d’un message peut être abstrait, et les mots peuvent transmettre des informations générales ; le langage jouit d’une faculté d’évocation. EXEMPLE Des manchots sur la banquise pousseront des cris d’alerte et battront des ailes pour prévenir leurs congénères de l’arrivée d’un ours polaire, afin de les engager à fuir ou à se mettre à l’abri. En revanche, les hommes peuvent parler de l’ours en l’absence de l’animal, donner des informations générales sur l’ours polaire : L’ours polaire est un fauve, Les ours polaires ont élu domicile sur cette portion de banquise … 4 – La compréhension du langage La compréhension du langage met en œuvre deux types de processus : les processus codiques et les processus inférentiels. 4.1 – Les processus codiques Les processus codiques d’interprétation du langage sont des processus applicables par rapport uploads/Philosophie/ survol-historique-sur-le-concept-de-la-pragmatique.pdf

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