Note de l’éditeur « Nous nous sommes abstenus de polémiquer … pour la simple ra
Note de l’éditeur « Nous nous sommes abstenus de polémiquer … pour la simple raison que, selon notre perspective, et nous tenterons de la justifier, bien peu de choses ont été comprises jusqu’ici de la Grèce, à l’exception de ce qu’en ont pu dire Nietzsche et Burckhardt ». Giorgio Colli, Nature aime se cacher , 1948 1 Ce volume fait suite à l’édition française des cours de Nietzsche sur Platon – Introduction à la lecture des dialogues de Platon , traduit et présenté par Olivier Sedeyn, Combas, 1991. Il vient s’ajouter aux désormais nombreuses éditions d’écrits philologiques ou de jeunesse de Friedrich Nietzsche parues depuis chez différents éditeurs et venant ‘compléter’, avec plus ou moins de bonheur, les Œuvres Philosophiques Complètes publiées par Gallimard à partir de l’édition critique établie par Giorgio Colli et Mazzino Montinari. Dans une note liminaire à ce précédent volume, nous appe- lions de nos vœux la caducité de notre édition, établie, comme la plupart de celles qui suivront ailleurs, à partir de l’édition Kröner, espérant que les éditeurs français de la Colli-Monti- nari auraient finalement ‘renoncé à renoncer’ à mener à terme un projet éditorial qui a permis à notre génération de lire « ce qu’a véritablement écrit Nietzsche ». Giorgio Colli est mort en 1979 et Mazzino Montinari en 1986, sans que l’« action 1 La natura ama nascondersi , (1948), a cura di Enrico Colli, Milano : Adelphi 1988 2 ; tr. fr. P. Farazzi, Combas : l’éclat 1994. 8 Les philosophes préplatoniciens Nietzsche » 2 soit véritablement terminée d’un point de vue éditorial ; et si l’on peut espérer qu’elle le sera un jour en Alle- magne, il semble qu’il faille désormais renoncer à disposer d’une édition critique complète des œuvres philosophiques et philologiques de Nietzsche en France. 3 Dès lors, nous avons souhaité donner une traduction fran- çaise de ce texte en nous fondant non plus sur l’édition Kröner, dont nous connaissons les limites, mais à partir des manuscrits eux-mêmes. Il devrait aller sans dire que le retour aux manuscrits est la condition sine qua non de toute édition de Nietzsche, avant que de prétendre à la moindre explication . « Je crois que l’en- treprise même d’une explication est déjà un échec – écrivait Wittgenstein –, parce qu’on doit seulement rassembler correc- tement ce que l’on sait sans rien ajouter, et la satisfaction que l’on s’efforce d’obtenir par l’explication se donne d’elle- même ». 4 « Rassembler correctement ce que l’on sait » : tel fut égale- ment le projet de Colli et Montinari, et qui nous semble déjà un projet théorétique suffisant, sans qu’il soit nécessaire d’« aller-voir- ailleurs -si-Nietzsche-y-est ». 5 2. Selon l’expression de M. Montinari, « Ricordo di Giorgio Colli », in Giorgio Colli , a cura di Sandro Barbera e Giuliano Campioni, Milano : Franco Angeli 1983, p. 16 (tr. fr. in G. Colli, Philosophie de l’expression , Combas : l’éclat, 1988, p. 227). 3. Pour plus de précisions, cf. notre « note de l’éditeur » in Introduc- tion à la lecture des dialogues de Platon , cit ., p. VII-IX. 4. L. Wittgenstein, Remarques sur le « Rameau d’or » de Frazer , tr. fr. J. Lacoste, Lausanne : L’Âge d’Homme 1982, p. 14. 5. Hélas, cette formule toute familière est désormais érigée en méthode éditoriale, justifiant, par exemple, les différentes rééditions récentes de la “Volonté de puissance”, livrées le plus souvent sans autre forme de com- mentaire, au nom de la seule dimension historique de l’“œuvre”. Dans ce domaine, la palme reviendra au célèbre philosophe italien Gianni Vattimo, partisan actif de l’une de ces récentes rééditions en Italie, préfacée par Maurizio Ferraris, qui regrettait, dans un récent numéro du Magazine litté- raire consacré à Nietzsche, que la lecture de Nietzsche qui sous-tend l’édi- tion Colli-Montinari « ne se caractérisa jamais par un sens fortement théorique ; ou du moins n’entra jamais en un dialogue productif avec les interprétations qui avaient cours durant ces mêmes années, et qui tour- naient (et pas seulement en Italie) autour des thèses de Heidegger » (sic) ( Magazine littéraire , n ° 298, avril 1992, p. 42). Note de l’éditeur 9 « Rassembler correctement ce que l’on sait » : c’est très pré- cisément aussi le projet de Nietzsche dans ces leçons sur les philosophes préplatoniciens qui paraissent ici pour la première fois intégralement. Bien que stylistiquement peu soignées – il s’agit évidemment de notes rédigées pour des cours, et la tra- duction restitue également cette âpreté du texte –, ces leçons donnent toute la mesure d’une œuvre, en tant qu’elles nous ré- vèlent un Nietzsche philologue, aussi lent qu’averti, et que ses “interprètes” et autres détracteurs avaient tôt fait d’oublier. (Faute d’édition?) Nous faudra-t-il, à notre tour, toute la pa- tience et la lenteur du philologue pour pouvoir comprendre une œuvre demeurant au cœur de notre siècle comme son “ énigme ” absolue ? « La philologie est cet art vénérable qui exige avant tout de son admirateur une chose : se tenir à l’é- cart, prendre son temps, devenir silencieux, devenir lent … on n’a pas été philologue en vain, on l’est peut-être encore, ce qui veut dire professeur de lente lecture » recommandait Nietzsche lui-même dans les premières lignes d’ Aurore . Règle à laquelle Giorgio Colli et Mazzino Montinari se sont également tenus toute leur vie, la consacrant à “rassembler correctement ce qu’ils savaient”. Règle qui est aussi règle de vie. M. V. 10 Les philosophes préplatoniciens Remerciements Nous remercions la direction et le personnel des Archives Goethe- Schiller et de la bibliothèque Herzogin Anna Amalia de Weimar, qui nous ont permis, dans les meilleures conditions de travail, de consulter et de photographier sur microfilms aussi bien les manuscrits de Nietzsche, que les livres de sa bibliothèque posthume. Nous devons également exprimer toute notre reconnaissance à Monsieur Mario Carpitella qui, très aimable- ment, nous a permis de confronter notre transcription du texte des leçons avec celle qu’il en a faite en vue de leur prochaine publication dans l’édi- tion critique Colli-Montinari. Que soit également remerciée Amneris Roselli pour la précision et la qualité de ses indications philologiques. Nous remercions également Luc Brisson, Walter Leszl et Giuliano Campioni, pour leur patiente relecture d’une grande partie du texte, et Claude Sokologersky et Célia Houdart pour leur collaboration, ainsi que Bernard Pautrat qui “à sa manière” a permis que ce projet de livre aboutisse. Les introductions ont été traduites de l’italien par Nathalie Ferrand ; l’appareil critique par Nathalie Ferrand et Michel Valensi. Nous souhaitions également dédier in memoriam cette édition à Fe- derico Gerratana. Paolo D’Iorio. Francesco Fronterotta La naissance de la philosophie enfantée par l’esprit scientifique par Paolo D’Iorio « Le tyran ne tolère aucune autre individualité que la sienne et celle de ses familiers ». Nietzsche à propos de Wagner en 1874 1. Bayreuth : Pâques 1873 Le 6 avril 1873, Nietzsche et Rohde arrivaient à Bayreuth pour passer la semaine précédant Pâques avec Richard et Cosima Wagner. Nietzsche emportait avec lui le manuscrit, encore incomplet, d’une œuvre qu’il entendait dédier au Maî- tre pour son anniversaire. Il ne s’agissait pas d’une œuvre de circonstance ; c’était la troisième version d’un livre qui devait décrire la naissance de la philosophie en Grèce. 1 Ce projet était le fruit d’une longue familiarité avec les études sur Démocrite et sur les préplatoniciens, qui remontait aux origines de la for- mation philosophique de Nietzsche. L’ Histoire du matérialisme de Friedrich Albert Lange, que Nietzsche avait lue pendant l’été 1866, avait réveillé chez le jeune étudiant l’intérêt pour les sciences naturelles et les philo- sophies du positivisme. Parallèlement, elle l’avait poussé à renier la métaphysique, y compris celle de Schopenhauer, 1. « Mon livre grossit et prend la forme d’un pendant à la “Tragédie”. Je l’intitulerai peut-être “le philosophe en tant que médecin de la culture”. Je veux en faire effective- ment la surprise à Wagner pour son prochain anniversaire » (à Gersdorff, 2 mars 1873). Pour les différentes rédactions de ce projet littéraire, voir « les manuscrits », infra , p. 73. 12 Les philosophes préplatoniciens même si celle-ci conservait la valeur édifiante d’une poésie conceptuelle. 2 Mais, surtout, cette œuvre de Lange avait fait naître chez lui la ferveur pour Démocrite. Nietzsche voyait en Démocrite le représentant d’une philosophie qui posait les conditions du développement du savoir scientifique et était capable, également, de transformer la rigueur de la science en impulsion existentielle et éthique : « Il rejeta la vie de la multi- tude et des philosophes qui l’avaient précédé. Pour lui, la peine et la souffrance des hommes venaient de ce qu’ils vivaient en dehors de la science, et surtout de ce qu’il crai- gnaient les dieux ». Si nous feuilletons les cahiers des années 1866-1868, nous les voyons remplis de réflexions sur cette figure majeure de la civilisation antique : « Démocrite, le premier, exclut rigoureu- sement tout élément mythique. Il est le premier rationaliste ». Il a atteint « le premier d’entre les uploads/Philosophie/ la-naissance-de-la-philosophie.pdf
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- Publié le Apv 11, 2021
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