Kernos Revue internationale et pluridisciplinaire de religion grecque antique 4

Kernos Revue internationale et pluridisciplinaire de religion grecque antique 4 | 1991 Varia Le symbolisme de l'œuf dans les cosmogonies orphiques Spyrodimos Anemoyannis-Sinanidis Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/kernos/289 DOI : 10.4000/kernos.289 ISSN : 2034-7871 Éditeur Centre international d'étude de la religion grecque antique Édition imprimée Date de publication : 1 janvier 1991 Pagination : 83-90 ISSN : 0776-3824 Référence électronique Spyrodimos Anemoyannis-Sinanidis, « Le symbolisme de l'œuf dans les cosmogonies orphiques », Kernos [En ligne], 4 | 1991, mis en ligne le 11 mars 2011, consulté le 19 avril 2019. URL : http:// journals.openedition.org/kernos/289 ; DOI : 10.4000/kernos.289 Kernos Kernos, 4 (1991), p. 83-90. LE SYMBOUSME DE L'ŒUF DANS LES COSMOGONIES ORPIDQUES Pour sonder ce symbolisme, il convient tout d'abord de rappeler la structure cosmologique dans laquelle les textes orphiques font surgir l'image de l'œuf. On sait que le recueil des fragments l contient un certain nombre de cosmogonies ou de théogonies dont cinq2 sont com- munément tenues pour authentiquement orphiques3. Bien entendu, le problème est de savoir si cette authenticité ne se heurte pas à des diffi- cultés philologiques et herméneutiques dues au caractère tardif des sources. On remarquera néanmoins que, par-delà leurs différences, ces récits obéissent à un même schème : ils distinguent, dans la forma- tion de l'univers, plusieurs stades ou niveaux qui se succèdent généalo- giquement et qui sont désignés tantôt par un, tantôt par deux termes ou agents cosmologiques. Seul le premier terme, qui signifie la source primitive, ne provient d'aucun autre4 et ne correspond à aucune figure. La comparaison des cinq cosmogonies révèle une certaine similitude entre les différents agents cosmologiques mis en œuvre et l'on peut, à partir de là, tenter de reconstruire une cosmogonie mère d'où auraient dérivé celles que nous identifions comme orphiques. Certes, ces précisions n'éliminent pas les difficultés d'interprétation. La perspec- tive que nous défendrons dans cette étude ne prétend pas effacer ces difficultés, mais entend d'abord clarifier les différents éléments cosmogoniques et, ensuite, proposer une double interprétation, l'une 1 2 3 4 O. RERN, Orphicum fragmenta, Berlin, Weidmann, 19632• Cosmogonie selon HIERONYMUS et HELLANICUS chez DAMASCIUS, De prim. princ., 123bis (l, 317, 15 - 319 7 R.); Fr. 54 Kern; 1 B 13 DK. Cosmogonie Rhapsodique chez DAMASCIUS, op. cit., 123 (l, 316, 18 - 317,14 R.); Fr. 60 Kern; 1 B 12 DK. Cosmogonie selon EUDÈME chez DAMASCIUS, op. cit., 124 (1,319,8- 11 R.); Fr. 28 Kernj 1 B 12 DK. Cosmogonie selon APOLLONIOS DE RHODES, Argonautiques, l, 496-498; Fr. 29 Kern; 1 B 16 DK. Cosmogonie selon ALEXANDRE D'APHRomsE, In Arist. Metam., N, 1091 b 4 (821, 5s Hayd.); Fr. 107 Kern. Cf. K. FREEMAN, The Presocratic Philosophers, A Companion to Diels, Fragmente der Vorsokratiker, Oxford, Blackwell, 19662, p. 5-6. Fr. 59 Kern. SIMPLICIUS, In Arist. De Caelo, III, 1,298 b 24 (560, 19s Heib.). 84 S. ANEMüYANNIS-SINANIDIS interne au texte, l'autre comme anticipation à la pensée platonicienne. Nous avons conjecturé naguère la structure primitive suivante5 : Principe ineffable Chronos cィセセG Œuf 1 Phanès Nux セ Gaia Ouranos Téthys Okéanos Le premier moment généalogique que je qualifie de «premier niveaw> est le «Principe ineffable»6; il est cosmologiquement indéfini, 5 6 Cf. S. ANEMüYANNIS-SINANIDIS, Notions du temps et de l'espace dans les fragments orphiques (en grec), Dissertation doctorale de l'Univ. d'Athènes, 1978, p. 19-22. Fr. 54 Kern. - Cette terminologie ne reflète-t-elle pas une contamination du néoplatonisme tardif? C'est probable. Mais cela ne modifie pas le fond du problème, qui suppose comme origine un indéfini non manifesté. 9 7 8 LE SYMBOLISME DE L'ŒUF DANS LES COSMOGONIES ORPHIQUES 85 non manifesté et contient, ontologiquement encore indéterminés, les deux agents cosmogoniques primitifs qui sont exprimés par les figures de Gè (Terre) et de Hudôr (Eau)7. En sortant du «Principe ineffable», ceux-ci manifestent leurs propriétés et forment le deuxième niveau. Leurs transformations successives en même temps que leurs collabo- rations renouvelées détermineront plusieurs niveaux ultérieurs : Gè se transforme premièrement en Chasme 8, puis en Gaia, puis en Téthys, tandis que Hudôr devient parallèlement Éther, Ouranos et enfin Okéanos. A chaque fois se reconstituent de nouveaux couples. Mais entretemps intervient tout d'abord le fameux Chronos orphique qui forme le troisième niveau. Si, dans son rôle d'intermédiaire, il n'est mentionné qu'une seule fois - avant la première transformation de Gè-Hudôr en Chasme-Éther -, c'est sans doute en raison d'un principe d'économie qui a présidé à l'élaboration de cette cosmogonie primitive. On peut penser que sa présence est supposée tout au long du processus de transformations que subit le couple originel. Dans la structure primitive que nous conjecturons, l'apparition de l'Œuf cosmogonique9 marque une autre phase intermédiaire qui intervient précisément après l'apparition du couple formé par les deux figures mythiques que sont Chasme et Éther. De cet Œuf naîtra10 Ibid. Fr. 66 Kern. SIMPL., In Arist. Phys., IV, 1, 208 b 29 (I, 528, 12s DK). La cosmogonie orphique selon HIERONYMUS et HELLANICUS se réfère aux agents cosmogoniques Éther et Chaos en tant que constituants du quatrième niveau cosmogonique. Étant donné que, selon le fr. 66 Kern (= PROCLOS, In Plat. Remp., II, 138, 8s Kr.), Chronos a donné naissance à l'Éther et au Chasme et, pour éviter l'insertion du terme Chaos au quatrième niveau - puisque ce terme se réfère au premier niveau cosmogonique -, le terme Chaos du quatrième niveau a été remplacé légitimement par celui de Chasme. (cf. M.L. WEST, The Orphie Poems, Oxford, Clarendon, 1983, p. 70). Selon l'explication que SIMPLICIUS, op. eit., IV, 1,208 b 29 (1,528 12s DK) donne (fr. 66 Kern), il paraît qu'à l'époque d'HÉSIODE, le Chaos était conçu surtout en tant qu'espace précosmique. Cependant, poursuit SIMPLICIUS, ce terme ne laisse pas entendre un espace, mais se réfère à la cause (aitian) formatrice des dieux, de nature infinie (apeiroeidé) et multiple (peplèthusménèn), qu'ORPHÉE désigne par le nom de Chasme énorme. Cf. W.K.C. GUTHRIE, A History ofGreek Philosophy, l, Cambridge, Univ. Press, 1962, p. 69, et I. LINFORTH, The Arts ofOrpheus, Berkeley, 1941, p. 277. 10 Fr. 85 Kern = DAMASC., op.eit., 111 (l, 286, 15s R). 86 S. ANEMOYANNIS-SINANIDIS Phanès 11 ou Éros 12, qui forme un SIXleme moment généalogique et donc un sixième niveau. Et c'est ici peut-être que se manifeste le message le plus important de la cosmogonie orphique: c'est une sorte de dieu personnel qui naît13 de l'Œuf. Mais examinons d'abord de plus près la nature des deux agents cosmogoniques, Chasme-Éther, qui donnent naissance à celui-ci : Hiéronymus et Hellanicus, cités par Damascius, apportent au sujet du couple primitif Gè-Hudôr d'intéressantes précisions; ils désignent le premier élément comme un agent de nature «divisée»14 tandis que l'autre serait de nature «contenante» et «collante»15. Comme chez les philosophes, les deux agents cosmogoniques sont ainsi complémen- taires, la nature de l'eau se caractérisant par une continuité prononcée. Ces propriétés des deux agents cosmologiques primordiaux se retrouvent naturellement dans leurs concrétisations successives. Chasme 16, dont le nom indique à suffisance la nature «divisée», est constitué d'un nombre i'nfini de particules infinitésimales; du point de vue de sa nature et de son rôle cosmogonique, il est à rapprocher de la notion platonicienne d'<<infini» (apeiron)17. La nature «contenante» et surtout «collante» d'Éther implique en revanche une action formatrice qui évoque celle du peras platonicien18. On peut songer parallèlement à rapprocher le Chasme orphique de l'Autre platonicien : dans cette nature «divisée», chaque particule implique une altérité par rapport à toutes les autres. Éther, qui est continu et qui est «même» en toutes directions de l'étendue, évoque de son côté la catégorie platonicienne du to auto. Dès lors, l'Œuf orphique, issu du couple Chasme-Éther apparaît comme l'analogue de l'âme que le Timée montre composée de la substance du même et de l'autre19. Plusieurs témoignages soulignent effectivement 11 Fr. 72 Kern. Cf. W. BURKERT, Lore and Science in Ancient Pythagorism, transI. by E.L.Jr. MINAR, Cambridge, Massachusetts, Harvard Univ. Pr., 1972, p. 39; W.KC. GUTHRIE, op.cit, t. 1, p. 69. 12 Fr. 74 Kern. Cf. M.P. NILSSON, Geschichte der griechischen Religion, l, München, Beek, 2e éd., p. 685. 13 Fr. 59 Kern = SIMPL., In Arist. De Crelo, III, 1,298 b 24, p. 560, 19s Heib. 14 Fr.54Kern. 15 Ibid. 16 Fr. 66 Kern =PRocL., op. cit., II, 138, 8s Kr. 17 Fr. 66 & 79 Kern. Cf. M.L. WEST, op. cit., p. 199. 18 Fr. 66 Kern. 19 Timée, 34b10-35b3. Cf. fr. 54 Kern =DAMASC., op. cit., 123bis (1 318, 14-18 R.); fr. 66 Kern =PROCLOS, In Plat. Tim., 30c-d cr 428, 4-9 Diehl). Cf. supra, n. 8, pour le terme de Chaos à ce quatrième niveau. LE SYMBOLISME DE L'ŒUF DANS LES COSMOGONIES ORPHIQUES 87 le caractère animé de l'Œuf cosmogonique20, ce qui ne peut surprendre puisque c'est de lui que sort21 le dieu tout resplendissant nommé Phanès ou Éros. Bref, tout porte à croire que nous assistons ici à une transfor- mation de la démarche généalogique archaïque en structure philoso- phique où les figures mythiques sont en même temps comprises comme des principes constitutifs des processus et des choses, et hiérarchiques. C'est ce qui ressort plus uploads/Philosophie/ symbolisme-de-l-x27-oeuf-dans-les-mysteres-orphiques.pdf

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