Le Portique Revue de philosophie et de sciences humaines 45-46 | 2021 Art et po
Le Portique Revue de philosophie et de sciences humaines 45-46 | 2021 Art et politique, une approche critique Poétique des symboles et expérience du sacré Bernard Grasset Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/leportique/3796 DOI : 10.4000/leportique.3796 ISSN : 1777-5280 Éditeur Association "Les Amis du Portique" Édition imprimée Date de publication : 10 janvier 2021 Pagination : 209-228 ISBN : 978-2-916332-48-2 ISSN : 1283-8594 Référence électronique Bernard Grasset, « Poétique des symboles et expérience du sacré », Le Portique [En ligne], 45-46 | 2021, document 12, mis en ligne le 10 mars 2021, consulté le 26 mars 2021. URL : http:// journals.openedition.org/leportique/3796 ; DOI : https://doi.org/10.4000/leportique.3796 Ce document a été généré automatiquement le 26 mars 2021. Tous droits réservés Poétique des symboles et expérience du sacré1 Bernard Grasset En guise de prologue : du concept à l’imaginaire 1 Une interrogation sur la poétique des symboles et l’expérience du sacré peut nous conduire à cheminer aussi bien dans le champ de l’art, du langage que dans le champ de l’histoire de la pensée. Si l’on revient à l’étymologie, la poétique (du grec poiêtikos) participe de la création, du faire ; quant au sacré (du latin sacer) il appartient à ce qui est saint, vénéré, dévoué à un dieu. Si le symbole apparaît particulièrement prégnant à l’intérieur du langage artistique ou religieux, ne peut-il pas aussi être présent dans la pensée, de telle sorte que l’on puisse parler de pensée symbolique ? En ce qui concerne l’expérience, elle joue un rôle essentiel à la fois dans la sphère scientifique, à la différence du symbole, et dans l’accès de l’individu à ses convictions les plus profondes. Comment articuler ces différents termes, plus précisément comment peut-on penser le rapport entre poétique des symboles et expérience du sacré ? Sans doute doit-on d’ores et déjà souligner, en suivant ici ce qu’écrit Paul Ricœur dans son article « Rhétorique, poétique, herméneutique », repris dans Lectures 2, La contrée des philosophes, que le poétique met en jeu notre imaginaire et s’oppose au concept2. Le langage des symboles que cultive l’imagination créatrice n’est pas le langage de l’argumentation, de la démonstration. Pour tenter de penser plus avant la question de l’articulation de la poétique des symboles à l’expérience du sacré, nous confronterons une double approche, d’une part hellénique à partir de Pindare, Hölderlin et sa relecture par Heidegger, d’autre part biblique, pascalienne. La question : le sacré relève-t-il de la nature ou du surnaturel ? nous servira de fil conducteur. Enfin à travers une approche non plus diachronique, historique mais synchronique, synthétique, nous essaierons de nous demander si une harmonie, ou à tout le moins une transition, n’est pas possible entre ces deux visions du sacré, de son expérience exprimée dans la poétique des symboles. Poétique des symboles et expérience du sacré Le Portique, 45-46 | 2021 1 I – Approche hellénique 1. Pindare 2 Poète lyrique thébain, né en 518 et mort en 438 avant Jésus-Christ, Pindare est l’auteur d’odes célébrant les héros vainqueurs aux quatre grands jeux de la Grèce de son époque : Olympie, Delphes, Isthme de Corinthe et Némée. Son chant poétique est nourri de symboles. Dans la IVe Pythique, à propos de l’aventure de Jason et des Argonautes, il évoque le chemin de mer, la longue route. La symbolique de l’orage et des éclairs, ces phénomènes insolites de la nature, lui servent à traduire la grandeur, la puissance divine. Ainsi dans la IVe et la VIe Pythique3. Ce sont des signes (sêmata) par lesquels le divin parle à l’humain. Symboles tout à fait essentiels dans l’œuvre poétique de Pindare, dont les odes étaient destinées à être chantées par un chœur accompagné d’instruments comme la cithare, la lyre, la phorminx ou les flûtes : la terre et le ciel. Terre et ciel sont des réalités de la nature qui font partie de notre vie la plus immédiate mais qui, à travers le langage poétique, symbolique, prennent une dimension sacrée. La terre, lieu de notre résidence, symbolise notre finitude, les terrestres sont les mortels (thanatoi)4. En revanche pour Pindare, le ciel est la « résidence des Dieux »5, les habitants du ciel sont les Immortels (athanatoi)6. Ce qui relie mortels et Immortels, c’est notamment ce que le poète appelle « la sublimité de l’esprit » [mégas noos]7. 3 Autre symbole utilisé par la poésie de Pindare, celui du vent (anémos). Enfin on ne peut manquer d’évoquer la prégnance dans son œuvre d’une grande symbolique de la lumière. Le soleil est non seulement ce qui chaque jour disperse la nuit mais aussi, symboliquement, ce qui adoucit notre existence en lui donnant sens8. Et le monde paradisiaque où vivent les justes après la mort, Pindare nous le dépeint dans ses Thrènes comme éclatant de « l’ardeur du soleil »9. 4 En même temps que l’auteur des Olympiques lit symboliquement, poétiquement, le monde, il relie le profane au sacré. Le sacré, c’est « [l]a nature » [phusis] qui « fait différente la vie de chacun de nous »10 et qui porte la marque de la présence des dieux. Avant Pindare, Hésiode, qui définissait le blé comme sacré [hiéros], pensera la lumière même comme sainte, sacrée [hiéros]11. La lumière éclaire l’homme en lui parlant du pays des Immortels. Les Jeux qui donnent naissance aux odes de Pindare, il les définit comme « sacrés » [hiéros]12. Si les modernes Jeux olympiques se réduisent au profane et ne donnent lieu qu’à une gloire médiatique, les antiques Jeux de la Grèce se déroulaient sur fond d’inséparabilité de la cité et du sacré et donnaient lieu à une gloire poétique. Olympie, dont le cœur était l’enceinte sacrée de l’Altis, était plus un sanctuaire qu’une ville. Ce qui structurait la cité grecque en général, c’était un constant lien avec le sacré. À l’intérieur de cette cité, le poète, pour Pindare, est celui qui cultivant la poétique des symboles et se tenant à l’écoute de la nature et de la divinité « forge [s]on langage sur l’enclume de la vérité »13. 2. Hölderlin 5 « (…) nous, poussés par une nécessité divine, / nous te nommerons, Nature, d’où surgit / neuf comme au sortir de l’eau lustrale, / tout ce qu’il y a de divin au monde. » Ainsi s’exprime le poète-philosophe Friedrich Hölderlin dans l’un de ses derniers hymnes, Aux sources du Danube14. En rapprochant nature et divin, en affirmant leur inséparabilité, il se situe dans la filiation de Pindare, de l’hellénisme en général. La nature éveille au sens de l’infini. Le poète y sent vibrer son souffle. Par la nature Poétique des symboles et expérience du sacré Le Portique, 45-46 | 2021 2 l’existence s’inscrit dans l’immanence. Dans un très beau poème d’adolescence, Les miens (Die Meinige), Hölderlin évoque un moment où il joue dans le sable près du Neckar avant de comprendre, devant l’éclat de cette beauté de la nature qui passe, qu’il lui faut laisser ses jeux d’enfant et, plein d’une « émotion sacrée »15 [heilige Gefühl], prier. L’expérience du sacré se conjoint ici à la contemplation poétique de la nature. 6 À vrai dire, dans toute l’œuvre de Hölderlin, le sacré devient omniprésent. L’adjectif heilig apparaît comme un véritable leitmotiv de sa poétique. La nature et tout ce qu’elle contient se dévoilent comme sacrés. Ainsi de l’ombre, des bois, des oiseaux, des collines, des cimes des montagnes. Le poète est celui qui habite en reconnaissant sans cesse le sacré (heilig). Ce qui est sacré prend par le langage du poème la dimension du symbole. En même temps qu’il appréhende la nature comme sacrée, jaillissement du divin, Hölderlin la lit de manière symbolique. La terre où errent les hommes est une « terre sacrée » [heilige Erde]16 ; sacrée la terre devient le symbole de notre mortalité. Et « le vin sacré » que donne la terre symbolise la vie, son éveil17. Au-dessus de nous se tient le ciel où brille « le Soleil sacré », la Lumière sacrée [« das heilige Licht »]18, qui apporte le bonheur à la terre. Le bleu du ciel symbolise la pureté d’où descend vers nous la lumière. Le soleil n’est pas seulement un astre que l’on peut apercevoir chaque jour et décrire scientifiquement, il est aussi poétiquement, symboliquement, ce qui peut éclairer un chemin au milieu de notre errance nocturne. Entre terre et ciel souffle le vent, œuvre un « souffle sacré »19. Le vent qui berce la nature émane de l’Éther qui apparaît comme un mot-clef de la poésie-philosophie de Hölderlin. L’Éther devient Père céleste qui apaise le cœur. Le poète transforme une donnée immédiate de notre présence au monde, le vent, l’air, en symbole majeur de sa vision sacrée de la vie. L’Éther, c’est comme l’âme de l’univers ; pur et libre, de ses cimes il éveille à la vie tous les êtres. Des quatre éléments il est le plus décisif. Porteur de lumière, il devient le symbole de l’Esprit, cet Esprit qui remplit la Nature. « Et Celui qui règne, muet et inconnu, / préparant l’avenir, le dieu, l’Esprit [der Gott, der Geist]. uploads/Philosophie/ leportique-3796.pdf
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- Publié le Nov 07, 2022
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