Note critique Mythologie et sinologie Jean-Pierre-Diény1 Les recherches sur la

Note critique Mythologie et sinologie Jean-Pierre-Diény1 Les recherches sur la mythologie chinoise sont en plein essor. En Chine même, alors que s'achève le règne du maître Yuan Ke, ses nombreux ouvrages de vulgarisation suscitent aujourd'hui des travaux plus ambitieux, volontiers fondes sur des considérations théoriques. Il serait nécessaire de prendre une vue d'ensemble des publications récentes des mythologues chinois. Mais serions-nous bien préparés pour cette entreprise ? Quoique la curiosité de l'Occident sinologique pour la mythologie chinoise ait touché de grands savants, les Granet, Maspero, Karlgren, Eberhard abordaient son étude avec leurs visées propres, historiques, sociologiques ou ethnographi- ques. Voici qu'enfin nous est offert en français, par un mythologue authen- tique, un panorama complet des mythes de la Chine antique. Mieux : ce livre est ainsi conçu que le grand public et la communauté sinisante y trouveront également leur profit. Les sources de notre connaissance du sujet sont infiniment morcelées et dispersées. R. Mathieu, sur la lancée de ses recherches antérieures2 et 1. À propos de Rémi Mathieu, Anthologie des mythes et légendes de la Chine ancienne, textes choisis, présentés, traduits et indexés. Paris, Gallimard, Con- naissance de l'Orient, 1989.262 pages. Jean-Pierre Diény est Directeur d'études à l'École pratique des Hautes Études, IV' Section. 2. Entre autres travaux (voir la bibliographie du présent volume), il est le traducteur du plus riche répertoire de mythes anciens, le Shanhaijing. Études chinoises, vol. IX, n° 1 (printemps 1990) ATTENTION : cette première page est erronée sur l'édition originale de l'article de François Billeter. Le texte de l'article ne commence que sur la page 2. Jean-François Billeter montre que nous ne sommes pas seulement en présence de deux intuitions différentes, de deux modes d'appréhension de la réalité, mais qu'à partir d'eux se sont élaborés deux univers intellectuels si dissemblables qu'aucune comparaison simple n'est possible entre eux. Il démontre du même coup la j us tesse d'une idée à laquelle il tient, celle que les caractéristiques de ces deux univers n 'apparaissent pleinement que lorsqu'on les met en regard et que l'on considère l'un dans son rapport avec l'autre. Encore faut-il que nous com- prenions dans ses ressorts intimes l'univers que nous opposons au nôtre. Dans ce livre, F. Jullien nous apporte pour cela une aide nouvelle et précieuse. Eloge, du point de vue du lecteur sinologue F. Jullien considère les idées auxquelles il s'intéresse non pas comme des faits, mais plutôt comme des instruments ou comme les éléments d'un jeu. C'est au fonctionnement d'une pensée qu'il veut nous initier. II ne pouvait se contenter de nous donner pour cela quelque résumé impersonnel de la « pensée du procès ». Il a choisi de nous la présenter sous la forme parti- culière que lui a donnée Wang Fuzhi (1619-1692), l'un des penseurs les plus remarquables du xvrf siècle et l'un des plus grands philosophes chinois. Ce choix semble lui avoir été dicté par les circonstances, puisqu'il s'était intéressé à Wang Fuzhi dans le cadre de ses études sur la poétique chinoise, mais il ne pouvait en même temps être meilleur3. Wang Fuzhi a vécu la fin de la dynastie des Ming et l'occupation de la Chine par les Mandchous (1644), événements qui prirent à ses yeux la signi- fication d'un arrêt de mort virtuel pour la civilisation chinoise. Après s'être joint à la résistance anti-mandchoue (1648) et avoir constaté deux ans plus tard qu'elle était trop faible et divisée pour avoir une chance de chasser l'occupant, il se consacra tout entier à la réflexion. Comme quelques autres grands esprits de sa génération, il passa le restant de sa vie à chercher les causes de la catastrophe. Comme d'autres, il les chercha dans l'histoire économique, sociale, politique, voire institutionnelle de la Chine des Ming 3. Voir notammentLa valeur allusive, pp. 76-80, et « Une vision du monde fondée sur Fappariement : enjeux philosophiques, effets textuels (à partir de Wang Fuzhi) », in Extrême-Orient Extrême-Occident, 11,1989, pp. 45-52. 96 Comment lire Wang Fuzhi ? et dans un passé plus lointain ; plus que d'autres, il les chercha aussi dans l'histoire des idées. Il lui semblait que si le mandarinat, qui était le dépositaire de la tradition intellectuelle dominante, avait failli à sa mission, c'est qu'il était devenu incapable de percevoir et de comprendre la réalité sociale, le sens de son évolution et le rôle qu'il avait à jouer lui-même dans cette évolution. Parmi les causes de cette incapacité, certaines étaient selon lui d'ordre philosophique. Des formes de pensée confuses ou fausses avaient perverti les esprits et contribué au désastre. Ce n'était donc pas seulement l'histoire qu' il fallait réexaminer, mais 1 ' histoire de la pensée, voire la pensée même. D'où l'entreprise philosophique, d'une ampleur et d'une rigueur exemplaires, par laquelle Wang Fuzhi a tenté de s'élever à la connaissance du « procès », de comprendre la manière dont il se réalise dans l'histoire et d'en dégager les conditions de l'action. Ian McMorran a montré que Wang Fuzhi, lorsqu'il a rejoint la résistance anti-mandchoue, s'est trouvé pris dans des situations si confuses qu'aucun repère historique ou philosophique ne pouvait plus lui servir et qu'il lui a donc fallu repenser complètement les rapports entre l'action, l'histoire et l'univers dans lequel se déroule l'his- toire4. Que Wang Fuzhi n'ait pas créé de système, à la façon des philosophes occidentaux, mais se soit exprimé, à la manière chinoise, par des considéra- tions sur l'histoire ou des commentaires sur les classiques et sur d'autres philosophes, notamment sur Zhang Zai (1020-1077), ne diminue en rien l'envergure et la fermeté de sa pensée. Au fil des chapitres de son livre, F. Jullien expose donc la philosophie de Wang Fuzhi, mieux : la reconstruit de l'intérieur. Il récuse la démarche conventionnelle qui consiste à présenter des citations, à les commenter, à en ajouter d'autres et à élever ainsi pierre à pierre un édifice immobile. Il donne dès l'abord le sentiment du mouvement parce qu'il prend le parti de parler tout de suite, dans un langage qu'il s'est forgé pour cela, de la problématique qui anime la réflexion de Wang Fuzhi. Il ne s'embarrasse d'aucune citation et fait ainsi l'économie de toutes les explications subsidiaires que ces citations n'eussent pas manqué d'exiger. Mais, par de nombreux renvois, il 4. Voir Ian McMorran, « The patriot and the partisans : Wang Fu-chih's involve- ment in the politics of the Yung-li court », in Jonathan D. Spence et John E. Wills (éds.), From Ming to Ch'ing : conquest, région and continuity in seventeenth- century China, New Haven, Yale University Press, 1979, pp. 133-166. 97 Jean-François Billeter donne au lecteur qui a les œuvres de Wang Fuzhi sous la main la possibilité d'aller au texte. Les ouvrages les plus cités sont, dans l'ordre, le Zhangzi Zhengmeng zhu (commentaire du Zhengmeng de Zhang Zai, Pékin, Zhong- hua shuju, 1975), le Zhouyi waizhuan et le Zhouyi neizhuan (commentai- res duLivre des mutations, Taipei, Guangwen shuju, date non donnée). Pour ceux qui n'ont pas les textes à portée de main, il donne, dans un second système de notes, rejetées en fin de volume, les principales notions ou expressions chinoises5. L'avantage de cette méthode est de nous introduire tout de suite au cœur de la pensée du philosophe et de nous faire comprendre à partir de cette pensée vive le sens des notions que le philosophe utilise. Dans une première partie du livre (chapitres 1 à 5), F. Jullien nous montre comment, des alternances qui rythment le cours des saisons et de tous les autres phénomènes naturels, Wang Fuzhi tire une conception générale de la réalité, ou du « procès ». Dans le « procès », dans le dao en chinois, tout est relation, opposition transitoire, mouvement réversible. Aucun phénomène singulier ne peut être défini ou compris de manière isolée : les phénomènes sont déterminés par les relations mouvantes qu'ils ont entre eux. Ces relations obéissent, dans leurs transformations permanentes, à des constantes que l'esprit humain peut discerner du fait qu'il est lui-même action et mouve- ment Cependant, pour rendre compte de la réalité changeante dans laquelle nous sommes plongés, nous sommes tentés de la rapporter à un commence- ment qui serait lui-même hors du temps ou à quelque réalité première qui serait située au-delà du monde phénoménal et de ses vicissitudes. Pour Wang Fuzhi, il ne s'agit pas seulement là d'une facilité, voire d'une démission de l'esprit. Il montre, avec une extraordinaire rigueur, que cette tentation constitue la source première de l'erreur. Il montre que l'intelligence du procès exclut l'idée d'une instance première quelle qu'elle soit et que tous ceux qui ont admis l'idée d'une telle instance se sont à la fois privés de mo- yen de pénétrer les véritables ressorts de la réalité et de la possibilité d'agir en accord avec elle. Ce sont les taoïstes, les bouddhistes et surtout, à l'intérieur du néo-confucianisme, tous les philosophes (Wang Yangming, notamment) qui se sont laissés entraîner à leur suite sur la même pente fatale. 5. Pour le lecteur qui prend la peine de suivre toutes les indications fournies, un système unique uploads/Philosophie/ taoisme-billeter-vs-jullien.pdf

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