Le temps – Kant – Nodé-Langlois 1 © Philopsis – Nodé Langlois Le temps Une régr

Le temps – Kant – Nodé-Langlois 1 © Philopsis – Nodé Langlois Le temps Une régression ptoléméenne en philosophie ? Kant et la question du temps. Michel Nodé-Langlois Philopsis : Revue numérique http://www.philopsis.fr Les articles publiés sur Philopsis sont protégés par le droit d'auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle doit faire l'objet d'une demande d'autorisa- tion auprès des éditeurs et des auteurs. Vous pouvez citer librement cet arti- cle en en mentionnant l’auteur et la provenance. Si les philosophes doivent, comme le veut Nietzsche, « devenir la mauvaise conscience de leur temps »1, et s’ils doivent pour cela oser mettre en examen les propositions que leur époque tient habituellement pour vraies, on peut penser qu’il nous incombe de réexaminer certaines positions kan- tiennes que Nietzsche, à l’instar de beaucoup d’autres, a plutôt admises que discutées. On peut mesurer le succès historique de Kant à ce que, en dépit des ef- forts des idéalistes allemands ses successeurs, les penseurs de notre époque la définissent volontiers comme « l’âge post-métaphysique ». Peut-être ne reste-t-il plus grand chose du détail de la Critique de la Raison pure dans la science et l’épistémologie contemporaines. Il est en revanche une thèse qu’elle passe pour avoir définitivement accréditée, et qui fonctionne parfois comme une condition de respectabilité intellectuelle : qu’il ne saurait y avoir de connaissance au-delà de ces disciplines que nous avons pris l’habitude d’appeler nos sciences, à l’instar de Kant lui-même, qui refusait ce titre à la métaphysique pour la raison qu’elle ne peut connaître ni comme les mathé- matiques, ni comme la physique expérimentale. 1 Nietzsche, Par-delà Bien et Mal, § 212. Le temps – Kant – Nodé-Langlois 2 © Philopsis – Nodé Langlois Le discrédit de la métaphysique est chez Kant la conséquence du phé- noménisme théorique, lequel résulte lui-même de la démonstration que l’espace et le temps ne sont pas des attributs des choses, mais des formes a priori de la sensibilité humaine. Sur ce point, Kant aurait assurément le pre- mier rang au palmarès des auteurs qui, selon les copies d’examen ou de concours, « ont bien montré que... », sans qu’on se donne la peine d’expliquer comment. S’il s’agit de comprendre ce qui a provoqué la transi- tion à l’âge post-métaphysique, il faut donc examiner les arguments exposés dans l’Esthétique transcendantale : ceux-ci sont en effet destinés à réfuter une conception du temps – et de l’espace2 –qu’on peut appeler réaliste, et à lui substituer cet « idéalisme transcendantal » dont la suite de l’œuvre four- nira l’élaboration complète et systématique. * C’est parce que l’espace et le temps sont des formes subjectives a priori qu’il nous est impossible de connaître les choses en elles-mêmes3, et ils le sont parce qu’il est impossible de les considérer comme objets d’une connaissance a posteriori. Tels sont la thèse centrale et l’axe logique de l’Esthétique transcendantale, pierre angulaire de la « révolution coperni- cienne en philosophie ». La double démonstration de Kant est précédée par l’explication, au § 1, du programme de l’Esthétique, que l’on peut ramener à quelques proposi- tions essentielles : 1. Il ne saurait y avoir de connaissance sans un « rapport immédiat » à un objet « donné », lequel se dénomme « intuition ». 2. L’intuition humaine « se dénomme sensibilité ». C’est elle qui « reçoit » les objets dans l’intuition, tandis que l’entendement les « pense », au moyen de « concepts » qui « naissent de lui ». 2 La rédaction de la Critique de la Raison pure (citée ici d’après l’édition Fé- lix Meiner, Hamburg 1956) facilite les choses, car le strict parallélisme des argu- ments concernant le temps et l’espace fait que ce qui vaut pour l’un vaut aussi pour l’autre. Roger Verneaux a traité la question de l’espace dans son livre : KANT, Criti- que de la Critique de la Raison pure (Aubier Montaigne, Paris 1972). Il est singulier de constater que Heidegger, d’habitude si prolixe dans ses commentaires, consacre à l’Esthétique transcendantale, dans Kant et le Problème de la Métaphysique, moins d’une dizaine de pages qui offrent plutôt une répétition scolaire qu’un examen philo- sophique de la question. 3 Le mot d’ordre husserlien du « retour aux choses mêmes » n’a pas rendu caduque la thèse kantienne puisqu’ici la chose est définie en fonction de l’épochè phénoménologique qui en est plutôt le prolongement. De même, le Dasein heideggé- rien non seulement « temporalise » l’étant mais, dans cet horizon, est le principe de tout sens intelligible par lequel il fait « être » un étant en lui-même dépourvu de sens : en quoi l’on peut voir une généralisation de la thèse commune au kantisme et à la phénoménologie, en dépit des distances que Heidegger entend prendre vis-à-vis de ces doctrines. www.philopsis.fr Le temps – Kant – Nodé-Langlois 3 © Philopsis – Nodé Langlois 3. Dans le « phénomène », ou « objet quelconque d’une intuition em- pirique », Kant « appelle matière » le « divers » des sensations, et « forme » ce qui les « coordonne » et donc, en tant que principe de leur unité, n’appartient pas à la diversité des sensations elles-mêmes. D’où il résulte immédiatement que : 4. « La matière de tout phénomène nous est en vérité donnée seule- ment a posteriori, mais sa forme doit se trouver a priori dans l’esprit prête [à s’appliquer] à tous »4. Dès lors : 5. La forme du phénomène doit pouvoir « être considérée séparément de toute sensation ». Mais comme elle appartient à l’intuition et non pas à la pensée intellectuelle, il faudra la dénommer « intuition pure ». Le programme de l’Esthétique est donc double : il s’agit d’étudier l’intuition sensible à part de l’entendement, et d’étudier l’intuition pure à part des intuitions empiriques. C’est pourquoi, en ce qui concerne le temps, il s’agira de montrer d’une part qu’il n’est pas un concept intellectuel (argu- ments 4 et 5 du § 4) et d’autre part qu’il est une représentation pure a priori (arguments 1 et 2 du § 4) et même un « transcendantal » (argument 3 du § 4, et § 5)5. L’importance de ces arguments apparaîtra mieux si l’on considère un instant ce qui peut sembler problématique dans l’introduction ci-dessus ré- sumée. Vaihinger, commentateur de Kant, la soupçonnait de n’être qu’une pétition de principe. De fait Kant y passe par deux fois d’une définition no- minale à une affirmation rien moins que nominale puisqu’elle prendra rang de thèse fondatrice à l’intérieur de son système. Ainsi la définition nominale de la sensibilité comme forme humaine de « réceptivité » intervient pour répondre à l’exigence, d’abord posée, selon laquelle il ne saurait y avoir de connaissance sans qu’un objet soit donné à connaître. Mais elle se convertit aussitôt en l’affirmation du caractère non- intuitif de l’entendement, autrement dit la négation de l’intuition intellec- tuelle, qui reste assez implicite, et par conséquent inapparente au début de 4 La traduction de ce passage fondamental est presque impossible sans une glose qui pourra toujours paraître contestable. Le sens est clairement celui d’une prédisposition de l’esprit humain à ordonner les sensations suivant un principe d’ordre qui vient de lui et non pas d’elles. Il faut noter qu’au début de l’Analytique des Concepts, Kant utilisera, pour affirmer leur inhérence a priori à l’entendement, une expression (vorbereitet liegen) toute proche de celle qu’il utilise dans l’Esthétique pour les formes de l’intuition (bereitliegen), et il parlera ensuite explici- tement de leur « application » (Anwendung) à l’intuition empirique (Critique de la Raison pure, B, § 22). Quant à la préexistence des formes par rapport à la sensation effective, elle est clairement posée à la fin du quatrième alinéa du § 1 de l’Esthétique, comme elle l’était déjà dans la Dissertation de 1770 (§ 14, 5). 5 On notera que Kant ne se conforme pas, dans l’exposition de ses arguments, à l’ordre pourtant très logique qu’il a annoncé dans le dernier alinéa du § 1. L’étude ici présentée s’autorise de ce plan initial pour ne pas traiter les arguments d’après leur numérotation. www.philopsis.fr Le temps – Kant – Nodé-Langlois 4 © Philopsis – Nodé Langlois l’Esthétique, mais constituera la thèse essentielle de la Logique transcendan- tale. Kant passe ensuite de la définition nominale de la matière et de la forme du phénomène à l’affirmation que la matière est a posteriori, et la forme a priori, comme si leur distinction logique suffisait à prouver que la forme n’est pas donnée avec la matière. Autrement dit, il passe de la défini- tion nominale de la matière, en référence à l’expérience de la sensation, à l’affirmation que cette matière est en elle-même informe, et ne peut avoir de forme que si l’esprit humain lui en communique une. Kant ne dit nulle part pourquoi on ne pourrait admettre le contraire, à savoir que le sensible a sa forme en lui-même, et la communique dans la connaissance au sujet : Kant admet en effet lui-même que c’est le propre d’une forme que d’être commu- nicable. De tels glissements uploads/Philosophie/ temps-kant-node-langlois.pdf

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