Pratyabhijñāhṛdayam Le Cœur de la Reconnaissance Kṣemarāja On ne sait pratiquem

Pratyabhijñāhṛdayam Le Cœur de la Reconnaissance Kṣemarāja On ne sait pratiquement rien sur Kṣemarāja, sauf qu’il vécu au Cachemire au début du XIe siècle et fut disciple (probablement le cousin aussi) d’Abhinavagupta. La Reconnaissance (pratyabhijñā) est un brillant développement à saveur plus métaphysique du courant de la Conscience vibrante (spanda), mais il ne convient pas de le réduire à de la simple métaphysique : il s’agit bien d’une reconnaissance directe du réel et non de raisonnements sur le réel. Somānanda en est considéré comme le fondateur. C’est au IXe siècle qu’il composa «La Vision de Śiva» (śivadṛṣṭi), dans laquelle il donna une orientation plus épistémologique à la doctrine de la Conscience vibrante. Son disciple, Utpaladeva (aussi appelé Utpalācārya) développa et systématisa cette orientation dans plusieurs ouvrages, dont «Les Stances sur la Reconnaissance du Seigneur» (Īśvarapratyabhijñākārikā). Utpaladeva transmit ce courant à Lakṣmanagupta, qui, à son tour, y initia Abhinavagupta. Fortement influencé par ce courant, celui-ci a écrit quatre commentaires 1 du texte d’Utpaladeva, preuve de la très haute estime dans laquelle il le tenait. Kṣemarāja, éminent disciple d’Abhinavagupta, nous a légué «Le Cœur de la Reconnaissance» (pratyabhijñāhṛdayam), un lumineux petit traité dans lequel il explique l’essentiel de la Reconnaissance. (On trouvera à la fin quelque notes explicatives sur la Reconnaissance, un des courants du shivaïsme tantrique du Cachemire.) oṃ namo maṅgalamurtaye atha pratyabhijñāhṛdayam namaḥ śivayā satatam pañcakṛtyavidhāyine cidānandaghanasvātmaḥ paramārthāvabhāsine Om, hommage à l’incarnation de la félicité. Voici le Cœur de la reconnaissance. Hommage à Śiva toujours qui accomplit les cinq activités2 dont la nature essentielle est masse de conscience et de béatitude et qui fait briller la plus haute réalité. 1. La Lumière consciente autonome est la cause de l’accomplissement de l’univers. citiḥ svatantrā viśvasiddhihetuḥ 2. Par son inclination innée, elle déploie l’univers sur sa propre paroi. svecchayā svabhittau viśvam unmīlayati 3. Elle (paraît) diversifiée à cause de la séparation entre l’objet de perception et le sujet percevant correspondants. tan nānā anurūpagrāhyagrāhakabhedāt 4. Même la personne consciente, qui est par nature un reploiement de la Lumière consciente, est l’univers sous forme condensée. citiḥsaṃkocātmā cetano’pi saṃkucitaviśvamayaḥ 1 Ces commentaires sont appelés: vṛtti, vivṛti, vimarśinī, vivṛtivimarśinī. 2 Voir le verset 10. 2 5. La Lumière consciente elle-même, du fait de la descente du niveau de conscience, se reploie sur les objets de perception et devient le mental. citir eva cetanapadād avarūḍhā cetyasaṃkocinī cittam 6. Sa nature (le mental) est celle de sujet conscient faisant l’expérience de l’illusion3. tanmayo māyāpramātā 7. Alors il est Un, a double forme, est fait de trois, sa nature est quadruple et il consiste en sept groupes de cinq4. sa caiko dvirūpas trimayaś caturātmā saptapañcakasvabhāvaḥ 8. Les positions des divers points de vue philosophiques (se réfèrent aux) divers niveaux de Cela (la Lumière consciente). tadbhūmikāḥ sarvadarśanashtitayaḥ 9. À cause du reploiement de sa puissance, ce qui est doué de conscience devient une entité mondaine en errance5. citvat tac chaktisaṃkocāt malāvṛtaḥ saṃsārī 10. Même alors, pleine de Cela (la Lumière consciente), (cette entité mondaine) accomplit les cinq activités6. tathāpi tadvat pañcakṛtyāni karoti 11. Ces (cinq activités) sont l’apparition lumineuse (de l’objet), la délectation, l’exploration et la connaissance intime, le dépôt d’une semence7 et la dissolution8. ābhāsa rakti vimarśana bījāvasthāpana vilāpanatas tāni 12. L’errance (de l’âme) est due à la confusion engendrée par ses propres pouvoirs quand il n’y a pas parfaite connaissance de cela9. 3 Le mot māyā signifiait d’abord la magie, le pouvoir surnaturel, mais après la période védique il prit le sens d’illusion: ce qui a un caractère irréel. Ce mot se réfère à la racine verbale mā- (mesurer) et sur le strict plan étymologique il signifierait «le parcours de la réalité mesurable», d’où le sens d’illusion, car tout ce qui est mesurable est une illusion quand on y voit une réalité séparée et indépendante. 4 Une est le Soi (la Lumière consciente autonome), double sa forme (en tant que sujet et objet), triple dans ses «impuretés» (āṇavamala, māyīyamala et kārmamala: impureté de finitude (quand on commence à réaliser «j’existe», on se perçoit comme quelque chose), impureté d’illusion (on croit voir des réalités séparées les unes des autres) et impureté d’action (quand on se met à courir après les objets et les situations, quand on désire qu’il arrive ceci plutôt que cela)), de nature quadruple (śūnya, prāṇa, puryaṣṭaka et sthūlaśarīra: corps causal, corps énergétique, corps subtil et corps grossier) et consistant en sept groupes de cinq (35 tattvas ou niveaux d’existence selon la description traditionnelle du Shivaïsme cachemirien). 5 Elle assume le rôle de samsārin, une entité qui erre, ballotée par la cause et l’effet et jouet du temps; plus spécifiquement, saṃsārin désigne l’âme qui transmigre. 6 Les cinq activités de Śiva sont, dans le Shivaïsme cachemirien, sṛiṣṭi, sthiti, saṃhāra, tirodhāna et anugraha (émanation, conservation, dissolution, obnubilation et grâce): émanation de l’univers, conservation de l’univers, dissolution de l’univers, obnubilation (la Lumière consciente se voile à elle-même en tant que pure Lumière consciente) et grâce (la découverte de sa nature véritable par l’homme). Le sujet conscient restreint (l’être humain qui se croit une personne séparée) accomplit les mêmes activités par rapport à ses objets de perception. 7 Dépôt d’une semence dans la mémoire. 8 C’est la perception qui fait apparaître(sṛiṣṭi) l’«objet»; cette évidence interne a été pleinemenet corroborée il y a déjà presque cent ans par la mécanique quantique, qui en a fait un des piliers de sa description de l’univers manifesté. Le soi-disant sujet de perception jouit de l’objet tant que dure sa manifestation (sthiti), il le connaît, enquête sur lui (Kṣemarāja précise que cela correspond à saṃhāra). Alors, une trace s’installe en sa mémoire. Vient finalement la dissolution, la disparition de l’objet en tant qu’objet. 9 L’ignorance de «cela» consiste à ne pas voir que la quintuple activité est l’œuvre de la Lumière consciente (Śiva). 3 tadaparijñāne svaśaktibhirvyāmohitatā saṃsāritvam 13. Quand il y a parfaite connaissance de cela, le mental lui-même, du fait de la montée du niveau de conscience par la contemplation intérieure, (s’identifie à) la Lumière consciente. tatparijñāne cittam eva antarmukhībhāvena cetanapadādhyārohāt citiḥ 14. Le feu de la Lumière consciente, même obscurci lors de la chute vers des niveaux inférieurs, brûle graduellement le combustible de la perception10. citivahnir avarohapade channo’pi mātrayā meyendhanaṃ pluṣyati 15. En atteignant la force, on s’approprie l’univers11. balalābhe viśvam ātmasāt karoti 16. La libération en ce monde vient avec la stabilité du constat de l’identité avec la Lumière consciente, quand on atteint la béatitude de la Lumière consciente même en percevant le corps et d’autres objets. cidānandalābhe dehādiṣu cetyamāneṣu api cidaikātmyapratipattidārḍhyaṃ jīvanmuktiḥ 17. C’est par l’éclosion lumineuse de l’interstice qu’est atteinte la béatitude de la Lumière consciente12. madhyavikāsāc cidānandalābhaḥ 18. À cet effet, les voies d’accès sont la cessation de la pensée dualiste, la contraction et l’expansion de l’énergie, la cessation du courant, la prise de conscience du point au début et à la fin, etc13. vikalpakṣaya śaktisaṃkocavikāsa vāhacchedādyantakoṭinibhālanādaya ihopāyāḥ 19. L’atteinte du samādhi ininterrompu procède d’une prise de conscience répétée de l’identité avec la Lumière consciente durant l’activité de l’état de veille imprégnée du samādhi. samādhisaṃskāravati vyutthāne bhūyo bhūyaś cidaikyāmarśān nityoditasamādhilābhaḥ 10 Autrement dit, l’incarnation est une exploration des objets de perceptions qui finit, tôt ou tard, par nous faire voir qu’il n’y a ni objets ni sujet percevant séparés dans l’univers. 11 L’homme réoccupe alors l’univers entier de façon intemporelle en tant que pure Lumière consciente au lieu de s’exténuer à vouloir s’en approprier des parties infimes pour un moment ridiculement bref. 12 L’interstice (madhya), un concept très important dans le shivaïsme cachemirien, se réferre à ce qu’il y a entre deux perceptions, entre deux pensées, entre deux souffles, entre le sommeil profond et l’état de veille. Ce qui est là dans l’interstice est inconcevable et ne peut faire l’objet d’un souvenir. L’acitvité mentale, que Patañjali nomme cittavṛtti, recouvre habituellement l’interstice et nous fait mener des vies complètement à la surface de notre petit monde fabriqué à partir des impressions mentales laissées par toute nos expériences de perception et agencé par l’intellect. 13 Le courant en question ici est celui de l’énergie vitale toujours en quête d’un devenir; il est aussi intimement lié au souffle. Le point au début et à la fin se réfère au fait que toutes choses semblent émerger et retourner au Point, qui n’est nulle part dans l’espace et le temps. 4 20. Alors, en pénétrant l’essence de la béatitude de la Lumière14 (consciente) et le plein sentiment du Je, dont la nature est la puissance du grand mantra, on rejoint la Conscience innnée qui suscite sans cesse toute création-dissolution et la souveraineté sur la roue des déités; telle est la libération finale15. tadā prakāśānandasāramahāmantravīryātmakapūrṇāhantāveṣāt sadā sarvasargasaṃhārakārinijasaṃvid devatācakreśvaratāprāptir bhavatīti śivam La Reconnaissance La Reconnaissance (pratyābhijñā), tout comme le courant de la Conscience vibrante (spanda) dont elle est issue, ne s’intéresse aucunement aux rituels de nature sexuelle tels qu’on les retrouve dans les deux autres tendances du shivaïsme cachemirien que sont le Krama et le Trika. Par contre, elle fait une place beaucoup plus large que les autres courants cachemiriens à la métaphysique, bien que celle-ci uploads/Philosophie/ reconnaissance.pdf

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