TG1 et TG4 - cours de philosophie du 4 avril 2022 b. Le langage : point de basc

TG1 et TG4 - cours de philosophie du 4 avril 2022 b. Le langage : point de bascule vers le monde humain Partons d’une citation de Benveniste (un linguiste français dont j’ai déjà parlé dans ce cours) : « Le caractère du langage est de procurer un substitut de l’expérience apte à être transmis sans fin dans le temps et l’espace. » Ce que dit ici Benveniste, c’est que le langage n’est pas simplement un moyen d’exprimer le monde, mais qu’il est bien plus que cela : il s’y substitue, il prend sa place. Pour bien le comprendre, je vous propose une petite expérience de pensée (comme nous en avons déjà fait - souvenez-vous de « l’âne de Buridan » ou de la « pierre de Spinoza ») Imaginons p.ex. une société humaine sans langage, qui pour assurer sa subsistance aurait besoin d’échanger des biens. Les hommes qui échangent devront, pour être compris, désigner ces biens (tel mouton, telle quantité de farine, tel arbre, telle chaise, etc.) par des gestes. Cela implique que ces biens devront être présents dans le champ de l’expérience sensible (le champ visuel p.ex.) Les échanges seraient ainsi lents, pénibles et très difficiles. À l’inverse, les mots (les symboles) qui désignent ces biens (« mouton », « farine », « arbre », « chaise », etc.) s’échangent sans difficulté, parce qu’il n’est plus nécessaire que les biens soient présents dans le champ de l’expérience ! Faisons un pas de plus dans l’interprétation de la phrase de Benveniste. Au fond, elle suggère que le langage est bien autre chose qu’un simple « moyen de communication ». Cette idée courante (doxa) est pauvre. Voici pourquoi : - D’abord parce que l’homme est dans le langage avant même de communiquer ses pensées aux autres, car il recourt déjà au langage dans le rapport à soi-même ! Hegel fait p.ex. remarquer que nous ne prenons conscience de nos pensées qu’au moment où nous les « déposons dans les mots ». Comme si le langage et la pensée ne faisaient qu’un. NB : c’est 1. ce que disent aujourd’hui tous les linguistes 2. cette identité langage/pensée conceptuelle est confirmée par l’imagerie neuro-scientifique. - Ensuite, avant même de penser, il se pourrait bien qu’on ait déjà besoin du langage pour percevoir la réalité. En effet, pour percevoir un objet, je dois l’identifier, le reconnaître. Cette opération consiste à séparer l’objet de ce qui l’entoure ; de « découper » une « forme » sur un « fond » sur lequel il émerge. P.ex, pour percevoir « le ciel », il faut que je le sépare (mentalement) de la « terre » ; pour percevoir une « pomme », je dois la séparer de la branche qui la porte, et ainsi de suite. Or, cette opération d’identification est en grande partie due au langage. J’ai besoin de posséder le mot « pomme » pour séparer l’objet-pomme de son environnement immédiat (branche, arbre, ciel, etc.) car les seules caractéristiques sensibles de la pomme ne suffisent pas. Le petit enfant a besoin du mot « chat » pour reconnaître tel ou tel chat, sur le tapis, dans les champs, les gouttières, etc. - Enfin (dernier argument - purement conceptuel) : le propre d’un moyen est qu’on peut s’en dispenser, ce qui paraît tout simplement impossible pour un être humain. Au fond, tout ce qui est proprement humain (cf. le titre du petit b. : « …monde proprement humain ») est d’essence langagière : de la prise de conscience de mes états mentaux à la perception des objets qui m’entourent, je baigne dans le langage. Mais il y a bien plus, car « penser » et « percevoir » ne sont que les opérations primitives de l’esprit humain. Voyons à présent jusqu’où va l’extension de ce « monde humain » dont la dimension langagière (càd symbolique) est indiscutable. Prenons le cas de l’éthique. Les animaux sont capables d’empathie et de sollicitude, cela est indiscutable. Seulement, cette sollicitude se limite toujours au proche : au congénère présent dans les limites de son expérience. Un loup p.ex. prendra soin d’un autre loup blessé, à la condition qu’il l’entende, le voie ou le flaire. En un mot donc : l’animal doit être directement affecté par la souffrance de son congénère pour lui venir en aide. À l’inverse, l’empathie humaine s’émancipe des limites de la proximité et accède à 1 l’universalité de la condition humaine par le langage. Daniel Denett, un philosophe américain « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » peut-on lire dans le Nouveau Testament. Or, justement, le « prochain », c’est le premier 1 venu, c’est-à-dire n’importe quel homme. Le prochain n’est pas simplement le « proche » : celui qui me ressemble, mon père, mon frère ou mon compatriote. contemporain écrit ceci : « La conversation nous unit. Nous pouvons avoir une idée de ce que c’est c’est qu’être un pêcheur norvégien, un chauffeur de taxi nigérien, une none âgée de quatre-vingt dix ans, un champion d’échec, une prostituée ou un pilote de chasse ». On retrouve la même idée dans un texte classique d’Aristote : L’homme est un animal politique plus que n’importe quelle abeille et que n’importe quel animal grégaire. Car, comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain ; or seul parmi les animaux l’homme a un langage. Certes la voix est le signe du douloureux et de l’agréable, aussi la rencontre-t-on chez les animaux ; leur nature, en effet, est parvenue jusqu’au point d’éprouver la sensation du douloureux et de l’agréable et de se le signifier mutuellement. Mais le langage existe en vue de manifester l’avantageux et le nuisible, et par suite aussi le juste et l’injuste. Il n’y a en effet qu’une chose qui soit propre aux hommes par rapport aux autres animaux : le fait que seuls ils aient la perception du bien, du mal, du juste et de l’injuste et des autres notions de ce genre. Or, avoir de telles notions en commun c’est ce qui fait une famille et une cité. Aristote, Les politiques (IVe siècle av. JC) Aristote dit ici que l’animal a une voix (phonè en grec), mais pas de parole (logos). Sa voix communique ses passions (le « douloureux et […] l’agréable »), mais pas plus loin qu’elle ne porte : de la bête isolée à l’ensemble du troupeau par exemple. Par ailleurs, cette voix ne transmet que des « passions », càd des sensations que l’animal éprouve physiquement et qui peuvent alors physiquement émouvoir son congénère. Mais cela s’arrête là. À l’inverse, par l’effet de la parole, un homme peut comprendre une injustice même s’il ne la ressent pas lui-même et même si celui qui la subit lui est inconnu. C’est ce qui peut nous arriver, devant les crimes de guerre commis en Syrie, au Yemen ou en Ukraine. Pour Aristote donc, la parole nous conduit à nous soucier de ce qui est juste/injuste en soi (objectivement, de façon absolue, etc.) et pas simplement à ce qui est bon/mauvais pour moi (ou même « pour nous », lorsque ce « nous » se fonde sur un lien naturel). Enjeux philosophiques du texte. La philosophie d’Aristote est dite « finaliste ». Pour lui, « la nature 2 ne fait rien en vain ». Autrement dit, tout ce qui existe s’explique par une raison, càd une « fin » à atteindre. On retrouve dans ce texte un argument de type finaliste. Car pour Aristote, la parole est le « signe » d’une intention de la nature : faire de l’homme l’« animal politique » par excellence. La parole est en effet le moyen de comprendre ce qui est juste ou injuste abstraction faite de ses propres intérêts. Cela montre bien que l’homme n’est pas simplement un animal qui aspire à la survie et à la défense ses intérêts qui en découle. Il est un animal politique au sens où 1. il s’associe à des semblables pour former une Cité (comme les animaux sociaux) et au sens où 2. cette association n’a pas seulement pour but d’assurer la survie mais aussi d’instaurer la justice. C’est précisément cela qui rend l’association « politique » et pas simplement « économique » dit Aristote. P.ex., les Athéniens avaient des partenaires commerciaux (Sparte, etc.) Mais les deux ne formaient pas une association politique. Pour cela, il faut un souci commun de la justice. De même, si la seule chose qui nous réunit aujourd’hui était l’efficacité économique, nous exclurions tous les inactifs de la communauté politique (les vieux, les handicapés, etc.) ce qui serait évidemment très injuste. Pour Aristote, une communauté est politique à partir du moment où la fin de l’association n’est pas simplement l’efficacité économique, mais la justice. Prenons maintenant le cas des les réalités instituées (texte de John R. Searle suivant) Considérons par exemple une tribu primitive qui se met à construire un mur autour de son territoire. Le mur est un exemple de fonction imposée en vertu de la pure et simple physique : on uploads/Philosophie/ tg1-et-tg4-cours-de-philosophie-du-4-avril-2022.pdf

  • 17
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager