De l'illusion transcendantale par Robert Theis, Luxembourg A Frank O'Farrell On
De l'illusion transcendantale par Robert Theis, Luxembourg A Frank O'Farrell On sait que la deuxieme partie de la Logique transcendantale dans la Critique de la Raison Pure, c'est-ä-dire la Dialectique transcendantale, est introduite par un court chapitre qui s'intitule «De l'illusion transcendantale». Fait curieux, a premiere vue, car le lecteur de la Critique s'attendrait, apres l'Analytique des concepts et celle des principes qui correspondent, selon le plan de la Logique, aux deux premiers moments de la doctrine elementaire, a l'expose d'une Analytique des Idees dont le correspondant, au niveau de la_ Logique, est la partie portant sur le syllogisme1. Si donc Kant fait preceder la theorie de la raison comme faculte des principes ainsi que celle des idees proprement dites par ce chapitre sur Pillusion, c'est que, par la- meme, il entend donner ä cette deuxieme partie de la Logique transcendantale une orientation particuliere qui ne se laisse plus expliquer ä partir de Phomogeneite toute formelle avec le plan de la Logique. En effet, c'est dans le theme de Pillusion que le sens meme de l'enquete transcendantale, a savoir la question de la possibilite d'un discours metaphysique objectif, vient ä son achevement. Si l'Esthetique transcendantale et la premiere partie de la Logique transcendantale ont montre que la connaissance objective doit se limiter aux seuls objets d'une experience possible, le but de la Dialectique est de devoiler les apories qui decoulent d'un usage non-critique (au sens kantien) des conditions de la connaissance objective. Or Villusion transcendantale est le concept meme quipermet de donner a la Dialectique cette orientation critique legitime, et cela en raison du fait qu'elle est affirmee etre naturelle et inevitable2. Le present propos entend etudier ce qu'il sera permis d'appeler le «probleme» de Tillusion, c'est-ä-dire ses antecedents dans le developpement de la pensee de Kant, son Statut exact dans la Critique de la Raison Pure ainsi que la valeur de sä necessite. 1 Voir la division de la Logik de Kant, editee en 1800 par Jäsche. La doctrine elementaire comporte 1) une etude des concepts (§$1-14), 2) une etude des jugements ($§15-^°)» 3) une etude des syllogismes (§§41-93). 2 Ci.Kr.d.r.V. B353. 120 Roben Theis 1. Le theme de la critique de la metaphysique dans les ecrits de 1765-1770 1. C'est dans les Reves d'un visionnaire suivis de reves metaphysiques de 1765 que se trouve la premiere ebauche d'une critique de la metaphysique. Celle-ci est un des effets de la «crise» empiriste que traverse Kant dans la premiere moitie des annees soixame. Quels sont les themes centraux de cette premiere critique du discours metaphysique? Cet ecrit au titre insolite est, a premiere vue, une polemique contre les dieses d'un visionnaire suedois, E. Svedenborg. Mais le sens profond, le «but»3 de l'ecrit, reside ailleurs et consiste en une critique de la metaphysique ä partir de la discussion d'un concept de la psychologie rationnelle, celui d'esprit. En fait, les pemieres ebauches de la position kantienne de 1765 remontent jusqu'ä un ecrit de 1763, Essai sur lesgrandeurs negatives (Versuch, den Begriff der negativen Größen in die Weltweisheit einzufüh- ren4), oü Kant traite des consequences methodiques d'une diese enoncee dans un autre ecrit de la meme annee 1763, celui sur \Sunique preuve de l'existence de Dieu (Der einzig mögliche Beweisgrund zu einer Demonstration des Daseins Gottes)5, ä savoir la these selon laquelle Pexistence n'est pas un predicat, mais la position absolue d'une chose6. Dans les ultimes pages de l'ecrit sur les grandeurs negatives, Kant applique cette these au probleme de la causalite qui ne lui semblait plus pouvoir etre resolu par les seuls moyens d'une metaphysique purement analytique: «Comment dois-je compren- dre que, puisque quelque chose est, quelque chose d'autre soit?»7 Teile est la question, mais dans cet ecrit, Kant avait conclu de maniere encore hesitante qu'il lui parait douteux que « puisse dire quelque chose de plus que ce que j'en ai dit, ä savoir en effet, que cela n'a pas Heu (geschehe) par le principe de contradiction.»8 Quelles sont les theses centrales des Reves en ce qui concerne le probleme de la metaphysique? On peut, nous semble-t-il, les regrouper autour de deux affirmations: (1) aucun concept de Pexperience ne saurait convenir au suprasensible, ce qui implique que celui-ci ne peut etre pense positivement9. (2) Si neanmoins le discours metaphysique a Heu, il repose* sur des concepts subreptices («erschlichene Begriffe»10) dont la valeur cognitive est nulle. Ces deux affirmations sont sous-tendues par une nouvelle these au sujet de la connaissance - these qui deviendra paradigmatique ä partir de la Dissertation de 1770 - ä savoir que la connaissance presuppose l'experience. Cette these est l'effet, comme nous l'avons dejä suggere, de la conception enoncee des 1762, conception selon laquelle les jugements existentiels ne sont pas des propositions analytiques (ou: l'existence n'est pas un predicat). 3 Träume eines Geistersehers, erläutert durch Träume der Metaphysik (ehe: Träume), A114—115 (Ak II, 367-368). 4 Cite: Negative Größen. 5 Cite: Beweisgrund. 6 Beweisgrund A 8 (Ak II, 73). 7 Negative Größen A 68 (Ak II, 202). 8 Negative Größen A 71 (Ak II, 203). 9 Cf. Träume A 80 (Ak II, 351). 10 Träume A10, note (Ak II, 320). De l'illusion transcendantale 121 II importe d'etudier l'argumentation de Kant en ce qui concerne la constitution des concepts subreptices, car eile est caracteristique de la maniere dont va s'articuler, plus tard, la critique du discours metaphysique. Dans le cadre de la discussion du concept d'esprit, Kant se demande, de maniere generale quelle est l'origine des concepts metaphysiques. Ainsi, le concept d'esprit par exemple ne peut pas etre obtenu par abstraction ä partir de concepts d'experience, car dans ce cas, il faudrait pouvoir produire les realites sensibles qui seraient ä son origine. Quelle en est des lors l'origine? Et Kant de repondre: «Beaucoup de concepts s'originent (entspringen) sur la base de conclusions secretes et obscures a l'occasion des experiences et se propagent par apres sur d'autres sans la conscience de l'experience ou de la conclusion qui a produit le concept sur celle-lä. De tels concepts peuvent etre appeles subreptices.»11 Ceux-ci sont partiellement une «folie» (Wahn) de Timagination, c'est-ä-dire purement illusoires, partiellement vrais, mais accidentellement seulement.12 Ce qui est frappant, dans la maniere de voir de Kant, c'est le fait que la raison ultime du passage des concepts de leur champ signifiant ä un champ insignifiant n'est pas elucidee (des conclusions «secretes et obscures»). Or il faudra attendre pratiquement jusqu'a la Critique de la Raison Pure pour etre renseigne sur ces raisons. Des deux affirmations enoncees plus haut decoule un corollaire quant au Statut de la metaphysique: la metaphysique est definie par Kant en reference au concept de connaissance dont eile devient la «science des limites»13. Or ceci constitue une rupture, non seulement par rapport ä la conception traditionnelle de la metaphysique qui se definissait, d'apres Baumgarten, comme une «scientia primorum principiorum in humana cognitione»14, mais aussi par rapport ä la conception kantienne de la metaphy- sique .dans les annees 50, et qui pouvait alors encore se traduire dans la tentative d'en reformuler le projet dans une Principiorum primorum cognitionis metaphysicae nova diluadatio™. Retenons de ce premier ecrit que c'est a partir du fait critique lui-meme, fonde dans une redetermination du concept de connaissance qu'est modifie le sens meine de la täche de la metaphysique. 2. La Dissertation de 1770 dont Pinterrogation porte sur le Statut de la connaissance du monde, donc sur un probleme d'ordre gnoseologique, prolonge les theses des Reves tout en leur donnant une allure plus rigoureuse et plus systematique. En redefinissant la metaphysique, ä la fin des Reves, comme «science des limites de la raison», Kant avait note ne pas encore avoir determine ici la limite de maniere precise16. Or ce sera la precisement une des taches de la Dissertation. 11 Träume A 9-10, note (Ak II, 320). 12 Cf. ibid. 13 7n*«meA115(AkII,368). M Baumgarten, Metapkysica, 1779, 71ed, $1. 15 Cet ecrit fut publie en 1755. * " Träume A116 (Ak II, 368). 122 Robert Thcis Dans la cinquifcmc et dernifcre partie, la Dissertation traite du probleme de la mctaphysique sous Ic titre «De mcthodo circa sensitiva et intellectualia in Metaphysi- cis». Lc titre de cette scction est revelateur: en effet, le theme des «sensitiva* a Pintericur du discours metaphysique fait penser immediatement a la critique des Reves". Mais, a y regarder de pres, la problematique est de loin plus complexe. On sait que la Dissertation definit, dans la deuxieme et dans la troisieme section, de manicre programmatique, les reseaux cognitifs de la connaissance sensible (pFescientifi- que aussi bien que scientifique). Les concepts majeurs en sont Pespace et le temps. Ccux-ci, consideres comme des intuitions pures11, sont les principes formels1* qui rendent possibles la constitution de representations des choses telles qu'elles nous apparaissent20. Leur competence est limitee au domaine de la connaissance sensible dont ils garantissent la verite21. La Dissertation distingue positivement entre la connaissance sensible ou la connais- sance circa sensitiva d'une part, la connaissance intellectuelle d'autre part. Certes, la maniere dont Kant definit Pobjet de cette derniere est significative: «quod autem nihil continet, nisi per uploads/Philosophie/ theis-de-l-x27-illusion-transcendantale-pdf.pdf
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- Publié le Jan 16, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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