Titre original : Zur Ontologie des gesellschaftlichen Seins. Georg Lukâcs Werke
Titre original : Zur Ontologie des gesellschaftlichen Seins. Georg Lukâcs Werke, Band 13 et 14, Luchterhand Verlag, Darmstadt und Neuwied, 1984 et 1986. Le présent ouvrage est la traduction des chapitres I (Die Arbeit) et II (Die Reproduktion) de la deuxième partie. © The Estate of Gyôrgy Lukâcs, 2011 ©Éditions Delga, 2011 Éditions Delga, 38 rue Dunois, 75013 Paris editionsdelga@yahoo.fr Tél.: 01 44 23 90 89 www.editionsdelga.fr ISBN: 978-2-915854-26-8 Georges Lukâcs Ontologie de l'être social Le travail La reproduction Préface de Nicolas Tertulian Traduction de Jean-Pierre Morbois révisée par Didier Renault Préface de Nicolas Tertulian Prélude à l'Ontologie1 Dans une lettre datée du 10 mai 1960, Georg Lukâcs annonçait à son ami Ernst Fischer, l'achèvement de Y Esthétique (en fait la première partie d'un ensemble qui devrait en comporter trois) et son intention de commencer sans retard l'élaboration de VEthique. Lettre importante, du fait qu'elle situe avec assez de précision le moment où le philosophe entame la préparation de son dernier grand ouvrage, mais aussi du fait qu'elle contient un aveu intéressant sur la genèse de sa création. Lukâcs s'y révèle non pas comme une simple machine spéculative, génératrice d'abstractions sur les espaces quasi infinis d'oeuvres gigantesques, mais comme un être qui « vit ses idées ». 1. Le texte inclut des extraits d'une conférence donnée à la Société fran- çaise de Philosophie le 26 mai 1984 sous le titre L 'Ontologie de Georges Lukâcs (cf. Bulletin de la Société française de Philosophie, 78e Année, n° 4, pp. 129-158) et d'un article paru sous le titre La pensée du dernier Lukâcs dans la revue Critique (n° 517-518, juin-juillet 1991, pp. 594-616). 3 8 Ontologie de l'être social Dans les mois et les années qui suivirent cette lettre, mois d'intense réflexion, il arriva à la conclusion que Y Éthique devait être précédée d'une Introduction, où seraient examinées les composantes fondamentales et la structure de la vie sociale. L'envergure de la tâche, que se proposait de mener à bonne fin le philosophe âgé alors de 75 ans, ne tenait pas compte des limites de l'existence humaine. VÉthique est restée à la phase de projet; seule 1' « Introduction », qui allait absorber les dix dernières années de sa vie, fut réalisée sous le titre 1' « Ontologie de l'être social » (Zur Ontologie des gesellschaftlichen Seins). Mais Lukâcs n'eut pas le temps de donner Vimprimatur de la publication intégrale de son dernier grand ouvrage philosophique, qui, à sa mort, intervenue en juin 1971, resta à l'état de manuscrit. On peut se demander si le volumineux manuscrit de plus de 2000 pages (y compris les Prolégomènes, écrits un an avant sa mort), se présente comme une première version qui attendait encore un profond travail de remaniement et d'affinement (« Le travail avance très lentement. Je suis assez mécontent du manuscrit », écrivait- il le 5 août 1970 à son éditeur ouest-allemand, Frank Benseler2), ou si nous nous trouvons au contraire devant un ouvrage plus ou moins accompli, vrai terminus ad quem d'un itinéraire intellectuel exceptionnellement long. Mais indépendamment des conjectures qu'on peut formuler sur les intentions finales de l'auteur, la lecture du texte qui est devenu Vopus postumum de Georg Lukâcs, en atteste pleinement l'importance. L'initiative lukâcsienne de jeter les bases d'une ontologie de l'être social n'est pas une entreprise si isolée ou insolite que pourrait le laisser croire le titre de son ouvrage. Georg Simmel, le premier maître à penser du jeune Lukâcs avait déjà lancé dans sa Sociologie, 2. La lettre est encore inédite, nous avons pu la consulter aux Archives- Lukâcs de Budapest. Préface 7 la question décisive qui hante la pensée de l'auteur de YOntologie de l'être social: « Comment la société est-elle possible? » (Wie ist Gesellschaft môglich ?). Enfin les travaux beaucoup plus récents de Jurgen Habermas, depuis ses contributions à une « reconstruction du matérialisme historique » jusqu'à ses recherches sur l'action communicationnelle, s'inscrivent elles aussi dans la même direction. Mais il nous semble que l'originalité de la dernière synthèse philosophique de Lukâcs doit être cherchée ailleurs, dans une autre perspective historique. Avant d'indiquer la place qu'occupe cet ouvrage dans la biographie intellectuelle de l'auteur lui-même, nous serions tentés d'identifier une de ses sources importantes, sinon la plus importante, dans un mouvement de pensée extrêmement puissant, dont on peut dire aujourd'hui qu'il a bouleversé le paysage philosophique allemand et international à partir des années 20 de notre siècle. La résurrection de l'ontologie en tant que discipline philosophique fondamentale, après les décennies de pensée néo-kantienne, est, en effet, liée à deux grands noms, auxquels l'avenir réservait, certes, des audiences très diverses, mais qui ont marqué chacun à sa manière la pensée philosophique contemporaine : Nicolai Hartmann et Martin Heidegger. Ceux qui connaissent la trajectoire philosophique de Lukâcs ont découvert avec surprise la profonde solidarité intellectuelle qui lie sa pensée dans la dernière période de sa vie à la philosophie ontologique de Nicolai Hartmann. Il est vrai que l'effort considérable déployé par ce dernier, à travers une œuvre d'une grande richesse, pour déplacer le centre de la problématique philosophique de l'épistémologie vers l'ontologie, pour interroger avant tout la ratio essendi des choses, en subordonnant la ratio cognoscendi à celle-ci, et pour réactualiser ainsi une grande tradition métaphysique, qui va d'Aristote à travers l'ontologie médiévale jusqu'à Kant et à la Logique de Hegel, n'a pas 3 8 Ontologie de l'être social eu les suites escomptées. Si l'on en juge d'après le silence, de plus en plus lourd, qui a entouré l'œuvre de Hartmann dans les décennies qui ont suivi sa mort (1950), on peut même croire que sa tentative pour rétablir l'ontologie dans ses droits, s'est soldée par un échec. La prééminence de l'existentialisme et du néo-positivisme sur la scène de la philosophie contemporaine en fournissent la preuve. La situation de Martin Heidegger est, bien sûr, tout à fait différente, car l'influence et l'audience de sa pensée n'ont cessé de s'accroître. Mais il faut reconnaître qu'après la fameuse Kehre (après la conversion, dans la période postérieure à Sein und Zeit), après que l'auteur lui-même eut renoncé au concept d ' « ontologie fondamentale », le jugeant encore trop enraciné dans la tradition métaphysique de la philosophie, et surtout après qu'il eut entrepris dans de nombreux écrits la « déconstruction » (ou, plus précisément, la destruction) de cette tradition ontologique, on a commencé à oublier combien la résurrection de l'ontologie dans la philosophie contemporaine est liée à l'impulsion décisive de la pensée du premier Heidegger : les affinités profondes qui la liaient sur ce plan, malgré leurs grandes différences, voire leur opposition, avec la pensée de Nicolai Hartmann, nous semblent évidentes. C'est surtout maintenant, grâce à la publication dans la série des œuvres complètes des cours de la période 1919-1930, entre autres, par exemple: Ontologie der Faktizitàt (1923), Prolegomena zur Geschichte des Zeitbegriffs (le cours donné à Marbourg en 1925), Die Grundprobleme der Phànomenologie (cours de 1927, toujours à Marbourg), Metaphysische Anfangsgriinde der Logik (cours de 1927, à Marbourg), sans oublier le dernier de cette série: Die Grundbegriffe der Metaphysik. Welt, Endlichkeit, Einsamkeit (cours de 1929-30, à Fribourg) que le poids de cet aspect éminemment ontologique de la pensée de Heidegger peut être mesuré à sa juste valeur. Préface 9 Le rapprochement Heidegger-Lukâcs ne doit pas sembler hasardeux, si on se rappelle les spéculations réitérées auxquelles ont donné lieu les similitudes de problématique entre la critique de la réification dans l'ouvrage de jeunesse de Lukâcs, Histoire et conscience de classe (Geschichte und Klassenbewufitseiri) (1923) et l'analyse heideggérienne de la tension entre l'existence inauthentique et l'existence authentique de l'être-là, développée dans Sein und Zeit. Si l'attitude de Lukâcs à l'égard de Heidegger reste très critique dans l'Ontologie, il ne faut pas en effet oublier qu'en tant qu'Ontologie de l'être social, l'ouvrage de Lukâcs constitue, dans sa partie la plus intéressante, une philosophie du sujet, en accordant une place importante à l'analyse de ce qu'on pourrait appeler les niveaux phénoménologiques de la subjectivité : les actes d'objectivation, d'extériorisation, de réification et d'aliénation ou désaliénation du sujet. Cette problématique rappelle inévitablement les analyses heideggériennes de la structure ontologique du Dasein, spécifiques à la période de Sein und Zeit (bien que des différences fondamentales, séparant les deux penseurs, soient évidentes), tandis que, dans l'œuvre de Nicolai Hartmann, si nous ne nous trompons pas, le concept d'aliénation n'est même pas évoqué en tant que tel. Les sources de ces concepts lukâcsiens se trouvent bien sûr dans les écrits de Hegel et de Marx (Lukâcs a consacré au concept d'aliénation chez Hegel, le paragraphe final de son important livre sur Le jeune Hegel), et non dans Heidegger, mais on peut rappeler en passant la présence des concepts de chosification ( Versachlichung) et de réification ( Verdinglichung) dans la Philosophie de l'argent de Georg Simmel (livre qui a beaucoup marqué le premier Lukâcs) et celui de Verdinglichung dans l'étude de Husserl, Philosophie als strenge Wissenschaft (parue dans la revue Logos en 1910-1911, la même année que l'essai de Lukâcs sur la Métaphysique de la tragédie), deux auteurs uploads/Philosophie/ lukacs-gyoergy-ontologie-de-l-x27-etre-social-le-travail-la-reproduction-2011-2012-delga-pdf.pdf
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- Publié le Dec 08, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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