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Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 2002 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 05/28/2021 9:43 p.m. Sociologie et sociétés Théorie du choix rationnel ou individualisme méthodologique ? Raymond Boudon La théorie du choix rationnel contre les sciences sociales ? Bilan des débats contemporains Volume 34, Number 1, Spring 2002 URI: https://id.erudit.org/iderudit/009743ar DOI: https://doi.org/10.7202/009743ar See table of contents Publisher(s) Les Presses de l'Université de Montréal ISSN 0038-030X (print) 1492-1375 (digital) Explore this journal Cite this article Boudon, R. (2002). Théorie du choix rationnel ou individualisme méthodologique ? Sociologie et sociétés, 34(1), 9–34. https://doi.org/10.7202/009743ar l’individualisme méthodologique La théorie du choix rationnel (tcr) étant une variante de l’«individualisme méthodo- logique» (im), on précisera d’abord la signification de cette notion. Elle désigne un paradigme, c’est-à-dire une conception d’ensemble des sciences sociales, qui se définit par trois postulats. Le premier pose que tout phénomène social résulte de la combi- naison d’actions, de croyances ou d’attitudes individuelles (P1 : postulat de l’individua- lisme). Il s’ensuit qu’un moment essentiel de toute analyse sociologique consiste à «comprendre» le pourquoi des actions, des croyances ou des attitudes individuelles responsables du phénomène qu’on cherche à expliquer. Selon le second postulat, «com- prendre» les actions, croyances et attitudes de l’acteur individuel, c’est en reconstruire le sens qu’elles ont pour lui, ce qui — en principe du moins — est toujours possible (P2 : postulat de la compréhension). Quant au troisième postulat, il pose que l’acteur adhère à une croyance, ou entreprend une action parce qu’elle a du sens pour lui, en d’autres termes que la cause principale des actions, croyances, etc. du sujet réside dans le sens qu’il leur donne, plus précisément dans les raisons qu’il a de les adopter (P3 : postulat de la rationalité ). Ce dernier postulat exclut, par exemple, qu’on explique les croyances magiques par la «mentalité primitive», la «pensée sauvage» ou la «violence symbo- lique», ces notions faisant appel à des mécanismes opérant à l’insu du sujet, à l’instar raymond boudon CNRS – GEMAS Maison des sciences de l’homme 54, boulevard Raspail 75270 Paris Cedex 06, France Courriel : rboudon@noos.fr 9 Théorie du choix rationnel ou individualisme méthodologique? des processus chimiques dont il est le siège. Il n’implique pas cependant que le sujet soit clairement conscient du sens de ses actions et de ses croyances. On reviendra plus loin sur ce point délicat. Il n’implique pas non plus que les raisons des acteurs ne dépendent pas de causes, telles que les ressources cognitives de l’acteur ou d’autres variables carac- téristiques de sa situation, au sens large de ce terme, et du contexte dans lequel il se trouve. historique de l’im Si le paradigme de l’im est courant dans les analyses sociologiques les plus anciennes, c’est seulement à la fin du xixe siècle qu’il est identifié. Pour désigner ce que nous appe- lons aujourd’hui im, l’économiste autrichien C. Menger (1871; 1883) emploie l’expres- sion d’«atomisme», bien malencontreuse, car elle semble ignorer que les individus sont insérés dans un contexte d’institutions, de règles, de traditions, qu’ils ont des res- sources, des dispositions, des capacités sociales et cognitives variables. L’expression d’«individualisme méthodologique» proposée à l’origine par Schumpeter sur la base d’une indication de Max Weber, ne comporte pas ces connotations. C’est sans doute pourquoi elle s’est imposée. L’im étant apparu dans le contexte des discussions théoriques et méthodologiques entre économistes, ces derniers, à la suite de C. Menger, associent généralement aux postulats de l’im, le postulat selon lequel les actions individuelles obéiraient à des moti- vations utilitaristes. L’im se trouve alors conjugué avec la tradition benthamienne, selon laquelle l’individu agit sous l’empire d’un «calcul des plaisirs et des peines» ou, dans un langage plus moderne, d’un «calcul coût-avantage» ou «calcul coût-bénéfice» (ccb). Mais de conjuguer l’im et l’utilitarisme n’est en rien nécessaire. L’im n’implique, en aucune façon par lui-même, une représentation du comportement, des attitudes ou des croyances les faisant dériver d’un ccb. Ce point a été vu avec une parfaite clarté par les sociologues se recommandant de l’im, notamment par Max Weber. le jeu des restrictions possibles de l’im Les sciences sociales utilisent ainsi diverses déclinaisons de l’im. Pour ne prendre en compte que les principales : certains sociologues s’en tiennent aux postulats fonda- mentaux P1, P2 et P3. Pour Tocqueville, Weber et de nombreux auteurs contempo- rains, les acteurs font ce qu’ils font ou croient ce qu’ils croient, parce qu’il ont des raisons de faire ce qu’ils font ou de croire ce qu’ils croient, mais ils admettent que ces raisons sont de natures diverses selon les circonstances et qu’il est impossible de les réduire à un type unique. D’autres ajoutent la restriction que le sens de l’action pour l’acteur réside toujours pour lui dans les conséquences de ses actions (P4 : postulat conséquentialiste). On peut qualifier cette version de l’im de conséquentialiste ou d’ins- trumentaliste. D’autres admettent de surcroît que, parmi les conséquences de son action, les seules qui intéressent l’acteur sont celles qui le concernent personnellement (P5 : postulat de l’égoïsme). 10 sociologie et sociétés • vol. xxxiv.1 Plus restrictivement encore, on peut admettre que toute action comporte un coût et un bénéfice et que l’acteur se décide toujours pour la ligne d’action qui maximise la différence entre les deux (P6 : postulat du ccb). C’est la version de l’im à laquelle s’arrê- tent généralement les économistes et, à leur suite, les sociologues se recommandant de la tcr. Ce modèle ne comporte toutefois aucune restriction sur le contenu des intérêts et des préférences du sujet. Il le suppose donné et donc extérieur au domaine de l’expla- nandum. On peut ainsi encore introduire des restrictions sur ce point et admettre, par exemple, comme les sociologues d’inspiration nietzschéenne et/ou marxienne, que le sujet est tenaillé par la volonté de puissance (P7) et/ou qu’il est avant tout concerné par ses intérêts de classe (P8). Les modèles instrumentalistes (postulats P1 à P4) doivent leur succès, d’abord au fait qu’ils proposent une théorie simple du comportement, des croyances et des atti- tudes. Ils sont, de plus, porteurs d’une promesse de théorie générale. Les fonctionna- listes qui retiennent le modèle instrumentaliste dans sa forme non restreinte (postulats P1 à P4) ont présenté leur approche comme générale. G. Becker (1996) avance que la tcr (postulats P1 à P6) est la seule théorie capable d’unifier les sciences sociales. Bien avant lui, des moralistes français classiques, comme La Rochefoucauld, avaient annoncé la tcr en proposant d’ériger l’amour-propre en théorie générale (Boudon et Cherkaoui, 1999). Les sociologues d’inspiration marxiste et/ou nietzschéenne présentent de même leur modèle préféré (postulats P1 à P6 + P7 et/ou P8) comme étant généralement valide. La popularité des modèles instrumentalistes provient aussi de ce qu’ils sont por- teurs d’un effet de démythification. Max Scheler (1954) avance, à juste titre, que l’uti- litarisme (i.e. la tradition de pensée issue de Bentham) doit son influence à ce qu’il met à jour le «pharisaïsme» des relations sociales. Cela est tout aussi vrai des modèles tirant leur inspiration de Marx ou de Nietzsche. De plus, comme ils jettent soupçon et discrédit sur les interprétations du sens commun, les modèles instrumentalistes passent facilement pour « profonds », comme capables de mettre en lumière les « choses cachées» derrière les «apparences». Mais l’influence de ces modèles ne résulte pas seulement de considérations extra- scientifiques. En ce qui concerne la tcr, une dimension essentielle de son attrait a été bien mise en évidence par J. Coleman (1986) : «la raison pour laquelle, écrit-il, l’action rationnelle a une force de séduction particulière en tant que base théorique est qu’il s’agit d’une conception de l’action qui rend inutile toute question supplémentaire». Auparavant, Hollis (1977) avait exprimé la même idée en des termes voisins : «rational action is its own explanation» (cité in Goldthorpe, 2000). Dans ces deux citations, l’expression «action rationnelle» désigne l’action guidée par le ccb. Il est vrai que, dès lors qu’on a expliqué que le sujet X a fait Y plutôt que Y’ parce qu’il lui paraissait plus avantageux du point de vue de ses objectifs de faire Y, l’explication est complète. Même si la biologie était capable de décrire les phénomènes électriques et chimiques qui accompagnent un processus de décision, cela n’ajouterait rien à l’explication. On ne voit guère quelle objection sérieuse on pourrait opposer à l’idée que la tcr est capable de proposer des explications de caractère «définitif» ou, comme on peut 11 Théorie du choix rationnel ou individualisme méthodologique? encore dire, «sans boîte noire». En revanche, on peut et l’on doit se demander s’il faut suivre ses partisans lorsqu’ils déclarent la considérer comme générale et comme la seule théorie capable de produire des explications «définitives». Une autre raison de uploads/Philosophie/ theorie-du-choix-rationnel-ou-individualisme-methodologique.pdf

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