1 / « Voie positive » et « Voie négative » « On peut nommer Dieu le Très-Haut p

1 / « Voie positive » et « Voie négative » « On peut nommer Dieu le Très-Haut par tous les Noms ; Comme on peut ne Lui en attribuer aucun. Dieu, Il n'est rien et Il est tout, - sans nulle subtilité ; Car nomme-moi ce qu'Il est, et puis ce qu'Il ne serait pas ? » (Angélus Silésius – Le Voyageur chérubinique, V, 196-197) Les traditions métaphysiques, quelles qu'elles soient – nous pourrions ainsi dire la tradition métaphysique - ont de tous temps discernées deux « voies » vers Dieu : l'une « positive » ou « affirmative » (via positiva, via affirmativa), l'autre « négative » ou « abstractive » (via negativa, via aphairetica). Le Principe Suprême (Brahma), en Sa Réalité Totale, est, d'après la terminologie Hindoue, à la fois « Être et Non-Être » (Sadasat), « Manifesté et Non-manifesté » (Vyaktâvyakta), « Sonore et Silencieux » (Shabdâshabda), etc1 ; en d'autres termes, Il est Celui qui manifeste et Se manifeste, 1 Cf. A. K. Coomaraswamy – Hindouisme et Bouddhisme, éditions Gallimard, 1949, I, Théologie et Autologie, p.25. Ainsi : « Dieu est une essence sans dualité (adwaita), ou, comme certains le soutiennent, sans dualité mais non sans relations (vishishtâdwaita). Il ne peut être appréhendé qu'en tant qu'Essence (asti), mais cette Essence subsiste dans une nature duelle mais, également, Celui qui Transcende infiniment toute manifestation - « C'est le suprême Brahma, Sans-commencement, et dont on dit qu'Il n'est ni l'Être ni le Non-Être. (…) Manifesté à travers les propriétés de tous les sens, Il est pourtant dépourvu de tout sens. Détaché de tout, Il soutient toutes choses. Étranger aux Attributs, Il fait l'expérience des Attributs. Il est à l'extérieur et à l'intérieur des êtres, Immobile et Mobile à la fois. Inconnaissable de par Sa subtilité, Il est à la fois Lointain et Proche. Indivisible, Il paraît se répartir entre les êtres » (Bhagavad-Gîtâ, XIII, 12-16). Cette distinction fondamentale correspond à celle entre Nirguna Brahma ou « Brahma non- Qualifié », Principe Suprême sans relation aucune avec la contingence cosmique en Son incomparable Infinité, et Îshwara (« Seigneur »), qui est Saguna Brahma ou « Brahma Qualifié », Principe déterminé en tant que « Producteur » de l'Existence intégrale et, partant, doté d'Attributs (aishwarya) ou de Qualités (guna) par l'intermédiaire desquels Il va agir dans les mondes et Se manifester en eux1. Cette doctrine de l'« Essence Une » et de la « Nature duelle » implique donc une double voie : l'affirmation ou l'« analogie » appréhende le Divin à partir de ce qu'Il est, la négation ou l'« abstraction » à partir de ce qu'Il n'est pas. Cette apparente symétrie n'implique cependant pas l'équivalence ; en effet, de même que l'Absoluité Impersonnelle du Divin est « supérieure » à Son Hypostase « tournée vers la manifestation » (c'est la raison pour laquelle Nirguna Brahma est désigné comme Para ou « Suprême », et Îshwara comme Apara ou « Non-Suprême »2), de même la (dwaitîbhâva), comme être et comme devenir ». 1 Cette distinction cruciale entre Saguna et Nirguna sera traitée avec tous les détails nécessaires au prochain chapitre ; nous nous contenterons donc pour le moment d'indications cursives, tout juste suffisantes pour comprendre la suite de cet exposé. 2 Parallèlement, deux types de Connaissance, « Suprême » (Para-vidyâ, Brahma-vidyâ) et « Non-Suprême » (Apara-vidyâ, Îshwara-vidyâ), sont également distingués, selon qu'ils se rapportent au Nirguna ou au Saguna. D'une façon générale, la Connaissance d'Îshwara est celle à « voie d'abstraction » est supérieure à la « voie d'affirmation ». Nous pourrions dire également : comme la Déité est « plus » en Son Infinité, Son Incommensurabilité, Son Incomparabilité qu'en Ses rapports avec le fini, évoquer ce qu'Elle Transcende et L'éloigne du contingent est plus élevé qu'évoquer ce qui La Qualifie et La rapproche du relatif – « en abandonnant ce qui existe, on célèbre le Sur-essentiel selon un mode sur-essentiel »1. Ainsi, la via negativa ne parle du Principe qu'en termes de forme négative (Immuable, Incorruptible, Inaltérable, Non-duel,...)2, c'est-à-dire par négation de ce qu'Il n'est pas ou laquelle se sont consacrés les Kshatriyas, tandis que la Connaissance de l'Ultime Brahma – la seule à pouvoir mener positivement à la « Délivrance » (moksha) – est celle qu'ont développé les Brâhmanas. En effet : « C'est à la réalisation immédiate de l’''Identité Suprême'' que les Brâhmanas se sont toujours attachés à peu près exclusivement, tandis que les Kshatriyas ont développé de préférence l’étude des états qui correspondent aux divers stades du dêva-yâna [la « Voie des Dieux »] aussi bien que du pitri-yâna [la « Voie des Ancêtres »] » (René Guénon – L'homme et son devenir selon le Vêdânta, XXI). Nous ne pouvons aborder ici la question du dêva- yâna et du pitri-yâna ; indiquons provisoirement qu'au premier correspondent les états individuels de l'être (c'est-à-dire ceux qui ne dépassent pas la « Sphère de la Lune », conçue comme milieu d'élaboration des formes), tandis qu'au second correspondent les états supra-individuels ou informels (le pinacle de la « Voie des Dieux » étant l'état de « sommeil profond » ou « condition de Prâjna », qui est en somme le degré de l'Être Pur ou Îshwara même) ; pour plus d'informations à ce sujet, voir ?. 1 Pseudo-Denys l'Aréopagite – Traité de la Théologie Mystique, II. La métaphore du sculpteur employée plus bas est tirée du même passage. 2 Toutes les négations apophatiques trouvent leur synthèse et leur point culminant dans le terme « Infini », qui représente la négation la plus totale : celle de toute limite quelle qu'elle soit – et, donc, de toute condition ou détermination. soustraction de Caractères, la « Super-Essentialité » (hyperousios)1 du Suprême étant au-delà de toute condition, et, donc, de toute affirmation nécessairement limitative ; le Pseudo-Denys emploie à cet égard la métaphore du sculpteur qui, retranchant du bloc de marbre tout le superflu, dévoile la « forme cachée » et « révèle la beauté latente ». La via affirmativa, quant à elle, traite de la Déité en tant qu'Elle est « Personnelle » via des adjectifs de forme positive exaltant les Divines Perfections ; ainsi, par exemple, les ternaires « Sagesse – Force - Beauté » Maçonnique (les « Trois Piliers du Temple »)2 et Sachidânanda Hindou (« Être – Conscience - Béatitude »), ou encore, d'après la tradition Islâmique, les sept « Attributs entitatifs » (aç-çifât al-ma'ânî) et « qualitatifs » (ma'nawiyah) d'Allâh : « Puissance, Science, Vie, Volonté, Ouïe, Vue, Parole »3. 1 « On donne à Dieu le nom d'essence, mais Il n'est pas proprement essence, Lui à qui rien n'est opposé ; Il est donc hyperousios, c'est-à-dire Super-Essentiel. De même, Il est dit bonté, mais Il n'est pas proprement bonté, car à la bonté s'oppose la malice : Il est donc hyperagathos, plus que bon, et hyperagathotès, c'est-à-dire plus que bonté. Il est dit Dieu, mais n'est pas Dieu à proprement parler (…) Il est donc hyperthéos (…) Le même raisonnement doit être observé pour tous les Noms Divins. En effet, on ne parle par proprement d’Éternité, puisqu'à l’Éternité s'oppose la temporalité : Dieu est donc hyperaionios et hyperaionia, plus qu’Éternel et plus qu’Éternité », et ainsi de suite (Jean Scot Érigène - Periphyseon). Cette méthode ne manquera pas d'évoquer la via eminentia, dont nous aurons à dire quelques mots plus loin. 2 Comme l'indique par ailleurs René Guénon (L'homme et son devenir selon le Vêdânta, XXIII), ces trois « Piliers » correspondent en termes Hindous à Saraswatî, Pârvatî et Lakshmî, qui représentent les trois Shakti ou « Puissances Maternelles » de Brahmâ (principe producteur) Shiva (principe transformateur) et Vishnu (principe conservateur et animateur) ; ces Attributs, pris ensemble, constituent la Trimûrti ou « triple manifestation », c'est-à-dire les trois « Visages » ou Aspects principaux qu'assume Îshwara dans Sa manifestation. 3 Ibn 'Âshir distingue ainsi treize Attributs Divins (çifât Allâh) fondamentaux, généralement Cependant, toute affirmation est effectivement restrictive par nature, ce qui est une chose n'en étant pas sous le même rapport une autre (c'est là, bien sûr, ce qu'implique le fameux « principe de non-contradiction » Aristotélicien), et cette tendance inévitable à l'exclusion est impropre à rendre compte de la Non-dualité Essentielle et de son Indépendance totale à l'égard de toute condition ; c'est pourquoi certains maîtres Chrétiens n'ont pas hésité à dire que « rien de vrai ne peut être affirmé de Dieu ». Le retranchement d'attributions positives, quant à lui, apparaîtra alors comme la négation de limites, et, partant, comme la plus haute et scrupuleuse affirmation de l'Illimitation ou de l'Infinité ; il serait donc légitime de dire que, métaphysiquement, toute affirmation est une négation, et toute négation une affirmation - la via negativa représentant, dès lors, l'affirmation la plus totale qui puisse être dans l'ordre du « discours sur le Divin » (théo-logos). C'est là d'ailleurs toute la différence doctrinale entre « Non-dualité » et « Unité », la première correspondant au « Zéro métaphysique » et au Non-Être, quand la uploads/Philosophie/ 2-voies-positive-et-negative.pdf

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