UNIVERSITÉ D’AIX-MARSEILLE FACULTÉ DES ARTS, LETTRES, LANGUES ET SCIENCES HUMAI
UNIVERSITÉ D’AIX-MARSEILLE FACULTÉ DES ARTS, LETTRES, LANGUES ET SCIENCES HUMAINES ÉCOLE DOCTORALE ED 356 « COGNITION, LANGAGE, ÉDUCATION » UNITÉ DE RECHERCHE EA 3276 « INSTITUT D’HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE » LE PAPYRUS DE DERVENI DE LA FORMATION DU COSMOS À LA GENÈSE DES MOTS INTRODUCTION, ÉDITION CRITIQUE, TRADUCTION, NOTES ET ÉTUDE MONOGRAPHIQUE DES FRAGMENTS DU PAPYRUS Volume I Thèse présentée en vue de l’obtention du grade de Docteur de l’Université d’Aix-Marseille et soutenue en séance publique et contradictoire le 6 décembre 2016 par Oreste SALAMONE sous la direction de Monsieur le professeur Alonso TORDESILLAS Jury : Alberto BERNABÉ PAJARES (Universidad Complutense de Madrid, Espagne) Francesc CASADESÚS BORDOY (Universitat de les Illes Balears, Palma de Mallorca, Espagne) Jean-Luc PÉRILLIÉ (Université de Montpellier III, France) Maria Michela SASSI (Università degli Studi di Pisa, Italie) Alonso TORDESILLAS (Université d’Aix-Marseille, France) 2016 3 5 INTRODUCTION 5 1. NATURE DE LA THÈSE 1.1. Objectifs de la thèse Cette thèse est une édition critique du Papyrus de Derveni (dorénavant PDerv) enrichie d'une traduction française1, d’un apparat critique, de notes au texte et d’une étude générale des principales thématiques philosophiques issues de ce document. Pour y parvenir nous avons analysé de manière systématique tous les fragments et les photographies du PDerv afin de réaliser une version inédite qui intègre à l’editio princeps de Kouremenos, Parássoglou et Tsantsanoglou (dorénavant KPT) du PDerv les nouvelles contributions apportées au texte ces dernières années2. Avec cette thèse nous avons donné une version plus ample et complète du PDerv. Notamment, grâce aux suggestions inédites apportées aux colonnes 0-6 par Franco Ferrari, à certaines solutions suggérées dans l’œuvre monumentale d’Alberto Bernabé sur les fragments orphiques, ou encore aux contributions de Richard Janko, Luigi Battezzato, Gábor Betegh, Dirk Obbink, Valeria Piano, Mirjam Kotwick et à d’autres apports que, vu l’importante bibliographie que 1 Depuis la publication de l’editio princeps de KPT (2006) la seule traduction en français du Papyrus de Derveni reste à ce jour celle de Jourdan (2003) publiée en 2003 aux éditions des Belles Lettres. Cependant, la publication de Jourdan est tout simplement la traduction de la version interim de Janko parue en 2002 dans la revue Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik. La publication de Jourdan est donc antécédente à l’editio princeps du Papyrus de Derveni pour des évidentes raisons chronologiques. Qui plus est, le travail de Jourdan n’est pas une édition critique du Papyrus de Derveni, car il ne comporte aucun choix philologique quant à l’édition du papyrus, ni aucun apparat critique du texte. Pour une critique détaillée de la publication de Jourdan (2003), cf. la recension de Skarsouli parue dans la Bryn Mawr Classical Review de 2005, 10, 44, disponible à l’adresse internet : http://bmcr.brynmawr.edu/2005/2005-10-44.html. 2 Cf. Bernabé (2007a, 2014) ; Betegh (2004) ; Tsantsanoglou (2008, 2011, 2014) ; Ferrari (2007, 2010, 2011a, 2011b, 2011c, 2013, 2014) ; Janko (2002, 2008, 2010) ; Battezzato (2007) ; Piano (2011, 2016) ; Kotwick (2016). 6 ce document a engendrée ces dernières années, nous ne pouvons pas tous citer. En fournissant un texte plus complet, on espère avoir aussi contribué à une meilleure compréhension de celui-ci. Outre le choix du texte du PDerv, nous avons aussi réalisé une étude détaillée des théories cosmologiques, philosophiques et théologiques manifestant un lien plus ou moins direct avec celles exposées dans le PDerv. Nous avons également pris en compte l’ensemble des fragments et des témoignages orphiques et présocratiques3 afin de mieux insérer l’œuvre du PDerv, ainsi que son auteur inconnu, dans le contexte historique et philosophique de son époque. Cette thèse vise à étudier d’un point de vue général l’articulation entre les thématiques principales issues du PDerv, les conceptions eschatologiques anciennes, les exposés théogoniques et cosmogoniques tels qu’on les trouve chez les poètes Homère, Hésiode et Orphée, et l’exégèse allégorique telle qu’elle est proposée par certains philosophes présocratiques. En particulier, nous avons considéré comme essentiel pour notre recherche d'accomplir une analyse globale de ce phénomène herméneutique qui concerne la réinterprétation par les philosophes présocratiques des principaux textes de la poésie grecque antique ainsi que de sa tradition mythologique et théologique. Nous avons d'abord analysé cette nouvelle méthode interprétative4, puis nous avons essayé de dégager quels sont les 3 Pour les fragments et les témoignages relatifs aux Présocratiques, cf. Diels (1879) ; Diels, Kranz (1952) ; Kirk, Raven, Schofield (1999) ; Mansfeld (1987 et 1990) ; Giannantoni (1969) ; Untersteiner (1949, 1962). Pour les fragments et les témoignages orphiques, cf. Kern (1922) ; West (1983) ; Bernabé (2004, 2005, 2007). 4 Cf. Ch. 3. 7 principes cosmologiques, physiques, analogiques et discursifs qui la gouvernent, et enfin, nous avons tenté d'expliquer comment notre auteur, en interprétant les poèmes de la tradition dite orphique, articule, de manière quasi-acrobatique, langage, style et sens en un style présocratique. Ce travail a donc analysé et pondéré en profondeur une technique d’exégèse qui, dans le PDerv, est décrite comme juste interprétation de la tradition littéraire orphique, certes énigmatique, mais qui par le déploiement de son sens allégorique révèle, outre la réelle signification du texte interprété, la véritable nature du cosmos. Qui plus est, cette thèse de recherche a permis de mettre en évidence la manière dont la philosophie, à ses débuts, s’appuie non seulement sur des transmissions initiatiques et orales – comme le soutiennent certains interprètes5 – mais aussi sur une tradition éminemment herméneutique et littéraire appliquée à l'égard des plus importants mythes de l'antiquité. Nous retrouvons des traces de cette tradition exégétique dans le programme d’éducation que Platon attribue au sophiste Protagoras au sein du dialogue éponyme6 : Pour moi, j’ose affirmer que la profession de sophiste est ancienne ; mais ceux qui la pratiquaient dans les premiers temps, craignant la défaveur qui s’y attache, la pratiquaient sous le déguisement ou le voile de la poésie, comme Homère, Hésiode, Sémonide, ou des mystères et des oracles, comme Orphée, Musée […] Je suis d’avis, Socrate, dit-il, que l’objet principal de l’éducation est la connaissance de la 5 Cf. Kapsomenos (1965), pp. 3-12 ; Scalera Mcclintock (1988), pp. 139-149 ; Radcliffe Guest (2008), pp. 16-39. 6 Cf. Platon, Protagoras, 315 b-316 d, 338 d-339 a 8 poésie, c’est-à-dire la capacité de discerner ce qui est bien et ce qui est mal dans les œuvres des poètes, et le talent de les analyser et de résoudre les questions qu’elles soulèvent. Ainsi donc, par la réinterprétation rationaliste des mythes fondamentaux de la tradition grecque antique et par l'introduction d'une nouvelle attitude éthique, le mouvement présocratique, et en particulier celui des sophistes, bouleversa littérairement l'ancien système social grec. L'introduction d'une vision relativiste du monde fit en sorte que l'homme grec devint mesure de la réalité et de tout ce qu'elle contient, c'est-à-dire, du cosmos, de la divinité, de la justice, de l'ordre social et moral en général. L’auteur du PDerv partage avec les sophistes7 une certaine tendance à interpréter et à rationaliser les croyances et les mythes de la tradition grecque. Bien que l’auteur du PDerv parvienne à des conclusions différentes de celles des sophistes, ces derniers partagent une certaine théorie du langage et de ses outils d’interprétation ainsi qu’une certaine passion pour l’exégèse des poèmes et le dégagement du véritable sens d’un texte littéraire. Corrélativement, cette recherche a affronté le difficile problème de la formation philosophique de l’auteur ainsi que celui du statut et de la nature du commentaire issu du PDerv, en apportant une réponse possible aux questions concernant la relation que la tradition orphique entretient avec les premières philosophies grecques. Nous avons aussi analysé comment les méthodes herméneutiques d'interprétation de textes mythiques, méthodes que 7 Cf. Janko (1997), pp. 87-94 et (2001) ; Lebedev cité par Sider (dans Laks et Most, 1997), p. 129 n. 2. 9 l’on trouve déjà à l’œuvre chez les présocratiques, ont contribué à la constitution d'une vision plus rationnelle et scientifique de la réalité. Pour autant, une lecture approfondie du papyrus et des fragments retrouvés à Derveni, ainsi qu'une mise en perspective de ce texte avec l’ensemble des textes orphiques et présocratiques dont nous disposons, nous montrent que, quand bien même on ne réussirait pas à découvrir l’identité de l’auteur du papyrus, il n’en reste pas moins que celui-ci participe d’un mouvement spirituel et intellectuel qui, s'il reste d’une part lié aux théogonies traditionnelles d’Orphée, d'Homère et d'Hésiode, va d'autre part contribuer à la formalisation d'une sorte d'exégèse philosophique des textes de la tradition antique (en l’occurrence ici d’extraits d’un poème orphique) qui prendra par la suite le nom d’herméneutique philosophique. Rapportant et interprétant des textes capitaux d'Orphée, d'Héraclite et sûrement d'Anaxagore, par l'emploi d'une méthode qui distingue à la fois le sens littéral et allégorique des phrases ainsi que la paronymie et l'étymologie des mots, le PDerv contribue par la même occasion à la compréhension des méthodes exégétiques anciennes et se situe entre une cosmogonie en passe de devenir cosmologie - par le biais de l’importance accordée à l’Intellect- cosmique, ce qui le rapproche de la physique d’Anaxagore, de Diogène d'Apollonie et d’Archélaos d’Athènes - et une herméneutique philosophique qui ouvre la voie aux analyses étymologiques dont le uploads/Philosophie/ these-le-papyrus-de-derveni.pdf
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- Publié le Apv 08, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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