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VOTRE DOCUMENT SUR LABASE-LEXTENSO.FR - 16/05/2020 11:35 | UNIVERSITE DE SAVOIE La liberté d'expression en France : de la protection constitutionnelle aux menaces législatives Issu de Revue du droit public - n°1 - page 231 Date de parution : 01/01/2007 Id : RDP2007-1-012 Réf : RDP 2007, p. 231 Auteur : Par Bertrand Mathieu, Professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I), Directeur du Centre de recherche de droit constitutionnel SOMMAIRE I. _ L'ANCRAGE CONSTITUTIONNEL DE LA LIBERTÉ D'EXPRESSION A. _ La liberté de la pensée, une liberté polymorphe B. _ L'expression de la portée constitutionnelle du principe de la liberté d'expression au travers de régimes législatifs spécifiques II. _ LE DÉVELOPPEMENT DES LIMITES LÉGISLATIVES APPORTÉES À LA LIBERTÉ D'EXPRESSION A. _ Les limites tenant à la protection d'autres exigences constitutionnelles 1. La protection de l'ordre public et des droits d'autrui 2. La protection des valeurs de la République B. _ Les limites tenant à la détermination de vérités législatives 1. La loi dit l'histoire 2. Vérités légales et liberté de la recherche La liberté d'expression occupe au sein du système des droits fondamentaux une place essentielle. En effet, constituant une condition de la liberté de la pensée, elle exprime l'identité et l'autonomie intellectuelles des individus et conditionne leurs relations aux autres individus et à la société. De ce point de vue, elle s'inscrit au coeur des libertés de la pensée qui peuvent être définies, pour reprendre les propos de Jacques Robert, comme « la liberté pour chaque individu d'adopter dans n'importe quel domaine l'attitude intellectuelle de son choix, qu'il s'agisse d'une attitude intérieure, d'une pensée intime ou d'une prise de position publique ». Les vicissitudes de son histoire en France sont étroitement liées à la nature des régimes politiques en place. Sous l'Ancien régime, la censure était potentiellement sévère et la réalité plus libérale. Comme le relève J. Morange1 « le principal tort de l'Ancien régime est peut être d'avoir réussi à la fois à donner l'image d'un régime despotique sans en utiliser les moyens ». Inscrite, on y reviendra, dans la Déclaration de 1789, comme réaction au principe même de la censure existant sous l'Ancien régime, la liberté d'expression sera balayée sous la Révolution, au nom d'une vision idéologique et téléologique de la liberté elle même. Ainsi en 1792, un arrêté de la Commune de Paris prévient que « les empoisonneurs de l'opinion publique tels que les auteurs de journaux contre-révolutionnaires seront mis en prison et leurs presses, caractères et instruments distribués entre les imprimeurs patriotes ». Les lois des 27 et 28 germinal an IV suppriment le droit à la discussion politique et prévoient la peine de mort pour quiconque proposerait un Gouvernement autre que celui posé par la Constitution de l'An III2. On ne peut également de ce point de vue oublier la loi des suspects du 17 septembre 1993. Sous l'Empire la censure se fera moins brutale, mais tout aussi efficace. Comme le dira Napoléon « puisqu'on est convaincu généralement que nos journaux sont l'oeuvre du gouvernement, il faut qu'ils le soient effectivement »3. C'est en fait de la Restauration que datent les premières dispositions en faveur de la liberté d'expression et plus précisément de la presse. La loi du 18 juillet 1828 fait disparaître les régimes d'autorisation et de censure, et c'est leur rétablissement en 1830 qui contribuera largement au soulèvement qui entraînera la chute du régime. Alors même que la Charte constitutionnelle de 1830 affirme que la censure ne pourra jamais être rétablie, les délits de presse se développeront à partir de 1835. En 1852, l'instauration du Second Empire est marquée par un retour à un système d'autorisation préalable en matière de presse qui sera supprimé en 1868, accompagnant ainsi la libéralisation du régime4. Sous la IIIe République, la grande loi sur la presse du 29 juillet 1881, s'inscrit dans la logique d'une conception libérale de la liberté d'expression. Ce texte, comme on le verra, largement modifié depuis, fédère les éléments législatifs qui caractérisent le principe et les limites de la liberté d'expression, alors même que ce principe et ces limites dépassent le champ de la presse. Alors que cette loi avait considéré que l'interdiction des cris et chants séditieux proférés dans des lieux ou réunion publics suffisait à protéger la République, la loi du 28 juillet 1894 sanctionne la provocation à la révolte ou à la désobéissance dans un but de propagande anarchiste. Le décret loi du 6 mai 1939, abrogé depuis, institue un régime d'autorisation administrative pour les publications de presse étrangères. La loi du 16 juillet 1949 établit des mesures répressives pour les publications présentant un danger pour la jeunesse. Plus récemment, la loi du 17 juillet 1970 vise à protéger la vie privée des personnes et la loi du 1er juillet 1972 sanctionne la diffamation envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ainsi que la provocation à la discrimination Depuis une quinzaine d'années, dans le cadre ou en dehors du champ de la loi de 1881, les interdictions à la manifestation d'opinion se sont développées. Elles recouvrent des préoccupations différentes, la lutte contre le négationnisme du génocide juif (lois du 13 juillet 1990 et du 16 décembre 1992), la reconnaissance de l'esclavage comme un crime contre l'humanité (loi du 21 mars 2001), la reconnaissance du génocide arménien (loi du 29 janvier 2001), l'élargissement du champ de la répression de la provocation aux crimes et délits et de la diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle (« homophobie ») ou de leur handicap (loi du 30 décembre 2004). Elles visent toutes, au nom de la protection d'intérêt spécifique, à retreindre le champ de la liberté d'expression. Le lien historique qui existe donc entre la nature du régime politique et l'étendue de la liberté d'expression ne peut que conduire à s'interroger sur l'évolution contemporaine qui tend incontestablement à la restriction du champ de cette liberté, quelle que soit la légitimité des intentions des 1/10 auteurs de ces dispositions. Les réflexions qui pourraient être faites à ce propos dépassent très largement les limites de cette étude. L'on se bornera à lancer quelques pistes de réflexion. Alors que depuis la IIIe République, les limites à la liberté d'expression visaient la protection de l'intérêt public, à laquelle s'est ajoutée la protection des intérêts individuels, aujourd'hui les limites sont à la fois idéologiques et communautaristes5. Alors que l'Occident, et la France en particulier, connaissent une crise d'identité en termes de valeurs, ces lois visent à sécuriser la pensée en limitant son expression. Le législateur a alors pour mission d'interdire non seulement ce qui est dangereux, mais aussi ce qu'il est moralement et historiquement injuste de dire ou de penser. Les droits fondamentaux, ou l'interprétation qui en est donnée, tiennent lieu de religion et la société marque de ce point de vue un repli dogmatique sur lequel il convient de se pencher. Face à la concurrence d'autres systèmes de valeurs, dont certains s'ancrent dans la religion, la civilisation occidentale se sent menacée dans l'universalisme qu'elle revendique. Contestée de l'intérieur et de l'extérieur, elle hésite entre la crispation et la repentance. Paradoxalement, alors que l'idée selon laquelle la conception occidentale des droits de l'homme et de la démocratie prévaudront dans le monde entier se heurte aux logiques propres à d'autres civilisations, la défense de ces valeurs s'opère au prix d'un reniement partiel de ce qui les fonde6. Entre l'universalisme, ciment fédérateur, légitime mais irréaliste et le multiculturalisme, réaliste mais destructeur, l'Europe des droits de l'homme s'avère incapable de résoudre ses contradictions. Si de ce point de vue, la France occupe une position avancée, c'est probablement parce que la société est habituée à tout attendre de l'État et même en l'espèce qu'il guide les consciences, de la même manière qu'en matière de religion la France était gallicane. Ce sont ces là des questions tout à fait fondamentales qui marquent une rupture plus qu'une évolution avec le principe de liberté d'expression qui prévaut dans la Déclaration de 1789 et dans une société qui se veut laïque et démocratique. L'analyse du cheminement parcouru doit partir de l'analyse des fondements constitutionnels sur lesquels reposent la liberté d'expression avant d'analyser les limites qui ont pu lui être apportées par le législateur ainsi que les logiques dans lesquelles elles s'inscrivent. I. _ L'ANCRAGE CONSTITUTIONNEL DE LA LIBERTÉ D'EXPRESSION Trouvant un solide ancrage dans la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen de 1789, la liberté d'expression se manifeste de multiples manières dans nombre de dispositions constitutionnelles et dans l'interprétation qu'en donne le Conseil constitutionnel. Ces principes relèvent de la liberté de la pensée. Ils ont vocation à s'appliquer dans l'ensemble des régimes législatifs qui s'imposent aux différents canaux d'expression dont le nombre et la nature tendent à se développer à l'instar des supports techniques. A. _ La liberté de la pensée, une liberté polymorphe La liberté de la uploads/Philosophie/ la-liberte-dexpression-en-france-de-la-protection-constitutionnelle-aux-menaces-legislatives-16-05-2020-11-35-57.pdf
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- Publié le Apv 10, 2022
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