PHENOMENOLOGIE DE LA SPIRITUALITE. Jean Vion-Dury 1,2,3 Gaëlle Mougin 1,2 1 - A
PHENOMENOLOGIE DE LA SPIRITUALITE. Jean Vion-Dury 1,2,3 Gaëlle Mougin 1,2 1 - Aix Marseille Univ, CNRS, PRISM, Marseille, France 2 - Unité de Neurophysiologie, Psychophysiologie et Neurophénoménologie, Pôle Universitaire de Psychiatrie, CHU Ste Marguerite, 13009 Marseille, 3 - Atelier de Phénoménologie Expérientielle et Exploratoire (APHEX2), Auteur correspondant: Jean Vion-Dury, Unité de Neurophysiologie, Psychophysiologie et Neurophénoménologie, Pôle Universitaire de Psychiatrie, CHU Ste Marguerite, 13009 Marseille, jvion-dury@ap-hm.fr I) INTRODUCTION. La spiritualité humaine est un fondement civilisationnel. Quelles que soient les croyances, la religion ou la foi de chacun, nous sommes bien obligés de constater que la spiritualité1 est une caractéristique propre de l’humain depuis au moins le paléolithique, qu’elle prenne un aspect intime de l’ordre de la méditation, ou bien un aspect collectif dans un lien avec une transcendance divine ou sécularisée (la patrie, l’Internationale, le progrès etc.) ou bien avec le Tout ou l’univers. Il semble aussi évident que l’agnosticisme reste un fait marginal, mais non sans importance, dans l’histoire des civilisations humaines. Même s’il existe de grandes disparités selon les pays et les régions du monde, un article de 2013 indique que 84% de la population mondiale est croyante en des valeurs religieuses2. Ainsi, la spiritualité, quelle qu’en soit la forme, reste une donnée de base de l’être de l’homme, et peut-être ce qui le différencie, plus que langage articulé, des mammifères supérieurs non humains. Il revient à la phénoménologie de décrire non pas extérieurement la structure des rites, l’organisation des religions, la sociologie de celles-ci, mais tout simplement ce qu’il en est de l’expérience spirituelle, et ce, dans la totalité de ses déploiements. Ce chapitre sera donc consacré à l’expérience spirituelle, telle qu’elle peut être pensée non pas extérieurement mais intérieurement, comme expérience unique d’une personne unique, à un moment unique. Nous aborderons l'expérience spirituelle sous le regard de la phénoménologie, cette philosophie qui est en elle-même méthode et science (au sens le plus fort de science, comme savoir originel) de l'expérience consciente. Dans un premier temps il nous faudra revenir sur la démarche phénoménologique et sur la manière dont les phénoménologues se sont saisis de ce difficile problème, puis contraster l’approche psychologique par rapport à la démarche phénoménologique et enfin, aborder de front ce qu’il en est de l’expérience spirituelle. II) QU’EST-CE QUE LA PHENOMENOLOGIE ? La phénoménologie n’est pas un courant spirituel en elle-même, bien qu’elle soit parfaitement compatible avec des spiritualités (contrairement par exemple au positivisme logique). Ce n’est pas non plus la simple description de ce qui se passe dans un processus expérimental, comme description de phénomènes (comme parfois les neurosciences le laissent supposer). La phénoménologie ne se réduit pas non plus à l’introduction de l’expérience subjective dans un protocole neuroscientifique qui viserait le cas échéant à mettre en évidence par exemple des aires cérébrales activées lors de la prière. A) Qu'est-ce qu'un phénomène, qu'étudie la phénoménologie ? La phénoménologie est un courant philosophique occidental majeur comme le platonisme/néoplatonisme, le positivisme logique, le marxisme etc. Elle a pour but de décrire l'apparaître même des phénomènes. 1 Nous prendrons ici la définition de spiritualité comme la vie de l'esprit au sens religieux de cette expression, c'est à dire mettant en avant une conception du monde pré-supposant un aspect non uniquement matériel de la vie humaine (voir (Lalande, 2010). 2 Voir : http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/84-de-la-population-mondiale-est-religieuse-18-01-2013- 2925_118.php. On note ainsi que les croyants se répartissent de la manière suivante : Christianisme : 2,355 milliards; Islam : 1,635 milliard; Judaïsme : 15 millions ; Religions dharmiques ; 1, 523 milliards (510 millions de bouddhistes, 25 millions de sikhs et 6 millions de jaïnistes) ; Religions de l'Est asiatique : 543 millions (434 millions d'adeptes des religions chinoises (taoïsme, confucianisme), 106 millions de shintoïstes et 3 millions d'adeptes des religions vietnamiennes. ; Religions tribales : 243 millions ; Agnosticisme : 684 millions ; Athéisme : 136 millions ; Nouveaux mouvements religieux : 63 millions. (https://www.zamanfrance.fr/article/poids-religions-dans-monde-7807.html#poids-religions-dans-monde- 7807.html?&_suid=146496324986103607389561011161). Un phénomène est « Ce qui apparaît dans la conscience, ce qui est perçu, tant dans l’ordre physique que psychique… Se dit au sens le plus large de tous les faits constatés qui constituent la nature des sciences... Pour Kant, le phénomène est ce qui est « objet d’expérience possible », c’est à dire tout ce qui apparaît dans le temps ou l’espace, et qui manifeste des rapports déterminés par des catégories (c’est la réalité sensible)» (Lalande, 2010) (p 765). On doit différencier ainsi ce qu'est un fait (par exemple scientifique) de ce qu'est un phénomène: « un fait est en quelque sorte un phénomène arrêté, précis, déterminé, ayant des contours que l’on peut saisir et dessiner… le phénomène c’est le fait en mouvement, c’est le passage d’un fait à l’autre, c’est le fait qui se transforme d’instant en instant ». (Janet cité dans (Lalande, 2010) . Ainsi la phénoménologie "est la science de l'expérience vécue par un « Je », elle traite de ce qui apparaît en tant que contenu de conscience (Bewusstseinsinhalt), non pas en ce sens que tout objet soit pour ainsi dire contenu dans la conscience mais au sens où quelque objet que ce soit est réduit à la sphère immanente de la conscience, c'est-à-dire comme phénomène" (Thumser, 2016). Comme le dit Husserl, la phénoménologie est un « retour aux choses mêmes ». Ce retour s’effectue dans une démarche très rigoureuse; cette rigueur est celle de Husserl, qui fut mathématicien et logicien avant d'être phénoménologue. Parce qu'elle touche à la manière dont nous est donné le monde et les choses du monde, la phénoménologie, si elle ne répugne pas à utiliser des concepts, n'est pas une philosophie qui se déploie dans l'articulation des concepts et les débats abstraits sur des idées. C'est avant tout une philosophie de la vie, de l’expérience de la vie et à ce titre tout ce qui relève de la vie en tant que vécue, relève de la phénoménologie. B) La phénoménologie comme méthode rigoureuse. La phénoménologie, bien que possédant des racines dans toute une tradition philosophique allant des sceptiques grecs à Hegel en passant par Descartes et Kant, est une philosophie du XXème siècle dont le déploiement a correspondu à la révolution scientifique de la physique quantique, à l'invention de la psychanalyse, à de nouvelles formes d'art (expressionnisme, impressionnisme, abstraction) et de musique (musique atonale, dodécaphonique). Et la phénoménologie, comme retour aux choses mêmes, accompagne ce courant majeur d'approfondissement et de remise en cause qui se situe autour de la première guerre mondiale, elle-même séisme civilisationnel majeur. C'est à partir du doute cartésien des Méditations métaphysiques (Descartes, 2010) qu'Husserl fonde la phénoménologie. Il va ainsi généraliser et radicaliser l’approche cartésienne dans le but d’établir « la fondation la plus profonde de toutes les sciences objectives dans l’universalité de la conscience connaissante » (Husserl, 1998) (p. 26). "Il s’agit de créer une science transcendantale dirigée vers les profondeurs cachées de la vie gnosique effectuante3 » (idem p. 27). Pour Husserl, le logicien, la phénoménologie est une science véritable conférant à l’ego (le sujet) transcendantal le statut absolu d’unique fondement de la scientificité. Le « motif transcendantal » (présent chez Descartes comme chez Kant), « c’est celui de la question–en-retour sur l’ultime source de toutes les formations de connaissance, c’est l’auto-méditation du sujet connaissant sur soi-même et sur sa vie de connaissance… » (Husserl, 2004) (p 113). La démarche phénoménologique procède alors par ce que Husserl appelle des réductions. Il faut les comprendre comme un geste ou un mouvement, une prise de conscience du sujet qui modifie sa relation au monde et aux objets: il s’agit d’une re-ductio, c’est à dire un retour, une redirection4. 3 Par l'expression "vie gnosique effectuante", Husserl signifie de la vie de la connaissance (gnose) en train de se faire. A tout moment de notre vie, nous sommes dans une position (due à la conscience intentionnelle) qui consiste à tenter de connaître ce qui nous est donné. Dès lors, dans le phénoménologie transcendantale, Husserl cherche les ressort intime de cette vie de connaissance se faisant ici et maintenant. 4 La réduction en phénoménologie ne doit en aucun cas être confondue avec le processus de réduction opérée dans l’approche physicaliste, ne relève en aucun cas du réductionnisme du physicalisme dans lequel il s'agit de définir les concepts ou les termes d'une première discipline scientifique (par exemple la biologie) , à l'aide des concepts ou termes d'une seconde discipline (par exemple la physique) (Nadeau, 1999) (p. 591). Mais la réduction husserlienne est inséparable du geste initial de l'épochè, de la suspension du jugement de validité de l’évidence naturelle, de la validité de ce qu’on nous dit de ce monde donné comme allant de soi, dans l’héritage même de tout ce qui nous a été transmis comme "vérités" à propos du monde. "Dans l’épochè, chaque prétention à la validité (d’une visée intentionnelle ou d’un jugement) est mise entre parenthèses, suspendue, inhibée. Mais dans la réduction proprement dite, le croire positionnel est pris comme thème renouvelé d’un croire définitif, la prétention première à la validité est prise comme question à résoudre, pour la vague seconde de la connaissance uploads/Philosophie/ phenomenologie-de-la-spiritualite-hal.pdf
Documents similaires
-
24
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 28, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2960MB