VIE DE PROCLUS PAR MARINUS DE NEAPOLIS. PROCLUS OU DU BONHEUR 1. Si j'avais con

VIE DE PROCLUS PAR MARINUS DE NEAPOLIS. PROCLUS OU DU BONHEUR 1. Si j'avais considéré le grand esprit et tout ce qui fait la haute valeur du philosophe Proclus, notre contemporain, les documents que doivent avoir préparés et les qualités oratoires que doivent posséder ceux qui se proposent d'écrire la vie d'un tel homme, et si j'avais ensuite regardé ma propre insuffisance dans la pratique de l'éloquence, j'aurais, je crois, eu raison de me tenir tranquille, de ne pas, comme dit le proverbe, sauter le fossé et de ne pas me lancer dans cette œuvre périlleuse. Mais ce n'est pas sur ces exigences que je me suis mesuré : et j'ai réfléchi que, même dans les sacrifices, ceux qui se présentent aux autels ne font pas tous des offrandes d'un prix égal, mais que les uns par le sacrifice de taureaux, ou de chèvres ou d'autres victimes semblables s'efforcent de se montrer digne de participer aux dieux dont ils abordent les autels, et même leur composent avec art des hymnes tantôt en vers, tantôt en prose, tandis que les autres n'ayant rien de semblable à offrir, ne présentent en sacrifice qu'un gâteau, ou quelques grains d'encens et, n'adressant aux dieux qu'une courte invocation, n'en sont pas moins favorablement entendus : mû par ces réflexions et de plus craignant, selon le mot d'Ibycus, non pas de manquer aux Dieux car ce sont ses propres termes, — mais de manquer à ce grand sage, pour m'assurer, par mon attitude, les éloges du monde (j'ai craint en effet que ce ne soit pas un acte de piété de me taire, moi seul, parmi ses amis, et d'omettre de raconter sur lui la vérité, dans la mesure de mes forces, quand c'est a moi sans doute surtout qu'incombe le devoir de parler) ; et peut-être même auprès des hommes, je n'obtiendrais pas cet honneur (car ils ne croiraient probablement: pas que c'est pour éviter l'ostentation, mais par une certaine paresse d'esprit, ou même par quelque défaut d'âme plus grave encore que je me suis dérobé à celte entreprise); — par toutes ces raisons, j'ai estimé que c'était pour moi une obligation île rapporter par écrit quelques-unes des hautes et si nombreuses qualités dont le philosophe a fait preuve dans sa vie, et de les rapporter dans toute leur vérité. 2. Je ne commencerai pas comme le l'ont la plupart des écrivains, qui divisent méthodiquement leur matière en chapitres se succédant en ordre régulier: je prendrai pour le fondement le plus convenable de ce discours, le bonheur dont a joui cet homme véritablement bienheureux. Car je crois qu'il a été le plus heureux de tous les hommes dont on ait célébré, dans une longue suite de siècles, la félicité, je ne dis pas seulement le plus heureux du bonheur qui est le partage des sages, quoi que celui-là aussi, il l'ait possédé pleinement, ni parce qu'il a eu tous les avantages physiques qui permettent de jouir de la vie, ni non plus sous le rapport de la fortune, où la plupart mettent leur bonheur, quoique sous ce rapport le hasard l'eût très favorisé, et plus qu'aucun autre (car tous les biens qu'on appelle extérieurs lui furent prodigués avec largesse), je veux parler d'un bonheur complet et parfait, auquel rien absolument ne manqua, et qui réunit les doux conditions de la félicité. 3. D'abord si nous divisions par genres les vertus, en vertus physiques, morales et politiques, et au-dessus de celles-ci les vertus purificatives et théorétiques, et celle qu'on appelle du nom de théurgiques, sans parler de celles qui sont d'un ordre encore plus élevé et qui dépassent, la condition de l'humanité, nous commencerons par celles qui ont un caractère plutôt physique, et que nous possédons dès la naissance et qui naissent avec nous. Cet homme que nous appelons heureux, les a eues toutes naturellement dès son origine : ce qui se voyait manifestement dans cette enveloppe extérieure que nous portons comme l'huître sa coquille -: d'abord une extrême délicatesse des sens, qu'on peul appeler la prudence corporelle, surtout des plus nobles de nos sens, la vue et l'ouïe, qui ont été données par les dieux aux hommes pour qu'il puissent se livrer à la philosophie, et goûter les douceurs du bien être : notre philosophe les a conservés intacts pendant toute sa vie; — ensuite une constitution corporelle très robuste, qui résistait aux grandes chaleurs comme aux grands froids, et n'était altérée ni par un mauvais régime de vie. ni par la négligence de l'alimentation, ni par les excès de travail auxquels il se livrait la nuit comme le jour, tantôt plongé dans les prières, tantôt compulsant les livres de science, tantôt écrivant, tantôt s'entretenant familièrement avec ses amis, et tout cela avec une application aussi soutenue, que s'il n'était occupé que d'une seule chose. Une telle puissance pourrait être justement appelée vaillance de corps. La troisième qualité corporelle qu'il possédait, est celle qu'on peut comparer à la tempérance, il laquelle on rapporte avec raison la beauté corporelle : car de même que la première consiste dans l'accord et la convenance entre elles des facultés de l'âme, de même l'autre, la beauté du corps. se laisse voir dans une certaine symétrie de ses parties organiques. Il était d'un aspect extrêmement agréable; car non seulement il avait la beauté des justes proportions, mais il émanait de son âme je ne sais quelle lumière vivante, une sorte de fleur merveilleuse qui rayonnait sur son corps et qu'il est absolument impossible de décrire par la parole. Il était tellement beau qu'aucun peintre n'a pu saisir sa ressemblance, et que, à tous les portraits qui circulent de lui, quoique eux mêmes très beaux, il manque encore beaucoup de traits pour représenter sa personne dans toute la vérité. La quatrième vertu corporelle dont il était doué est la santé, qu'on compare habituellement à la justice dans l'âme ; car elle est dans le corps une sorte de justice, analogue à celle qui est dans l'âme ; la justice n'est pas autre chose, en effet, qu'une sorte d'habitude, ἕξις, qui empêche les bouleversements des parties de l'âme, et ce qui opère l'ordre et le concert mutuel entre les éléments δésordonnés du corps: c'est là ce que les Asclépiades nomment la santé : elle était des son berceau si profondément enracinée en lui. qu'il put dire lui-même combien de fois il était tombé malade, c'est à dire seulement deux ou trois fois dans le cours d'une longue vie d'une durée de soixante quinze ans accomplis ; et une preuve éclatante de ce fait et dont je peux moi- même porter témoignage c'est que dans sa dernière maladie, il ne distinguait pas quelle était la nature de ses souffrances, parce qu'il ne les avait pas de longtemps éprouvées, 4. Et quoique ce soient là des avantages purement corporels, on pourrait dire qu'ils étaient les prodromes des espèces particulières dans lesquelles nous divisons la vertu. Les premiers biens de l'âme qui étaient comme nés avec lui et qu'il n'avait pas eu besoin d'apprendre, et ce sont pourtant là ces parties de la vertu qui, d'après Platon, sont les éléments d'une nature philosophique; on est étonné de voir à quel haut degré il les possédait. Car il était doué d'une grande mémoire, d'une intelligence ouverte à toutes les études; il était libéral, d'un abord plein de grâce, amant et pour ainsi dire frère de la vérité, de la justice, du courage et de la tempérance. Jamais volontairement il ne dit un mensonge : il en avait une extrême horreur, et ne chérissait rien tant que la sincérité et la véracité. Et en effet, il fallait bien que celui qui devait atteindre à l'être vrai, fût, dès sa jeunesse, passionné pour la vérité; « car la vérité est le principe de tous les biens, chez les dieux comme chez les hommes ». Qu'il avait un profond mépris pour les plaisirs des sens, et qu'il était ami surtout de la tempérance, il suffit d'en apporter une seule preuve, c'est son ardeur extrême et son penchant tout puissant pour les sciences et pour tous les genres de sciences, qui ne permettent pas même de commencer a naître aux plaisirs de la vie grossière et animale, et souvent ont, au contraire, la force d'imprimer en nous les joies pures et sans mélange de l'âme. On ne saurait dire combien il était éloigné de l'amour du gain, à ce point que dès son enfance, il négligea le soin de la fortune que lui avaient laissée ses parents, qui étaient fort riches, par suite de son amour passionné pour la philosophie. Aussi était il absolument étranger à la ladrerie et à tous les sentiments de bas étage, son âme étant toujours portée vers l'universel et le tout, soit dans T ordre divin, soit dans l'ordre humain. De cet état d'esprit était née une hauteur d'âme qui lui faisait voir le néant de la vie humaine, et l'empêchait de considérer, comme les autres, la mort avec effroi. Il n'éprouvait aucune crainte de uploads/Philosophie/ vie-de-proclus.pdf

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