1 HEIDEGGER L’environnement d’un philosophe Ouiza Gallèze Chercheure – CNRPAH I
1 HEIDEGGER L’environnement d’un philosophe Ouiza Gallèze Chercheure – CNRPAH INTRODUCTION La philosophie est comme un arbre dont on connait le fruit, on voit le feuillage, les branches et parfois les épines mais on soupçonne rarement dans quel humus il a puisé sa saveur et la consistance de sa chair. Le terreau du philosophe, c’est son environnement, ceux dont il tire son inspiration, ceux à qui il transmet son enseignement mais aussi les découvertes scientifiques et technologiques de son époque qui influe directement sur le changement des mentalités, l’histoire politique du pays et des pays voisins qui agit sur la stratégie globale, en plus des différentes pratiques locales auxquelles il est généralement très sensible. Heidegger est un philosophe du XXème siècle qui a entrepris d’expliquer « l’être », la condition humaine ou le phénomène de l’existence dans un langage particulièrement complexe. Pour asseoir son propre système de penser, il a pris connaissance de toute l’histoire de la philosophie, des présocratiques à nos jours. Il a eu des maitres et des disciples, a été influencé par des courants de pensées et a été à l’origine de création de plusieurs écoles. Il a pris des positions, des risques, a eu des préférences et a rejeté les modèles qui ne conviennent pas à sa façon de voir les choses. Ainsi, il a largement influencé la philosophie contemporaine enrichissant des courants de penser, philosophies et sciences humaines. Ce qui nous ramène à dire que la philosophie est une dynamique continue où le philosophe ne cesse de se positionner par rapport à un monde fluctueux. Issu d’une famille très catholique, Martin Heidegger (1889-1976) est l’enfant d’un père sacristain. Il a fait toutes ses études dans des établissements religieux et se voyait naturellement destiné à la prêtrise. A l’université de Freiburg-en-Brisgau, il reçoit un enseignement soutenu en théologie Mais il manque vite de conviction, ce qui le pousse à suivre en parallèle des cours de philosophie, de mathématiques et de sciences. Adulte, il abandonne la théologie pour s’adonner à la philosophie tout en restant en dialogue permanent avec les religieux en général et les protestants en particulier comme Martin Luther et Søren Kierkegaard. Il reconnait d’ailleurs l’importance de la source théologique sur son évolution : « Sans cette provenance théologique, je ne serais jamais parvenu sur mon chemin de pensée », écrit-il dans l’Entretien sur la parole avec un Japonais1. Malgré ces profonds échanges, la religion reste pour lui radicalement incompatible avec la philosophie. Il a vécu dans une Allemagne foisonnante de nouveautés philosophiques, de questionnement économique et de polémique politique, baignant dans une mer de notions et concepts mis en place par les différentes théories scientifiques, ce qui l’aidera à créer à son tour son propre langage particulièrement compliqué. Ses efforts principaux portent sur la critique de la métaphysique traditionnelle. En voulant répondre à la question sur le sens de « l’être », il constate que celle-ci a été victime d’un 2 couvrement, d’un voilement, d’un éloignement et s’est perdue dans les dédales de la philosophie à travers les siècles. Il faudrait retourner aux Grecs anciens notamment les présocratiques pour la retrouver dans son ensemble. D’après lui, les penseurs du moyen-âge ont contribué à des niveaux variés à ce voilement. Malgré ça, il fait référence à une multitude de penseurs, philosophes et théologiens de cette époque qui ont été pour lui une source profonde, voire la raison principale qui l’a conduit à la philosophie comme Duns Scot ou Saint Augustin, notamment parce qu’eux aussi expriment une inquiétude vis-à-vis de ce voilement. HEIDEGGER ENTRE MAITRE ET DISCIPLES Ses disciples Heidegger est un des plus grands philosophes du XXème siècle même si son espace géographique fut très restreint : Constance, Freiburg et Marbourg dans le sud-ouest de l’Allemagne auront été le théâtre de sa vie et quelques voyages par-ci par-là, notamment en France. L'importance qui lui est consacrée dans les courants de la phénoménologie et de la philosophie postmoderne est très grande. Emmanuel Levinas parle de « la dette [que] tout chercheur contemporain [doit] à Heidegger2». C’est, à lui-seul, une école philosophique qui a eu des disciples, des clubs et des cercles d’excellence qui continuent de fonctionner et de produire à ce jour. Il a su pousser ses élèves au bout de leur compétitivité et tirer le meilleur d’eux. Même si d’aucuns considèrent que son influence ait pu être critique pour certains qui n’osaient point écrire de peur de paraitre ridicule devant leur maitre. Gadamer disait : « écrire représenta pour longtemps un véritable tourment, j’avais toujours la damnée sensation que Heidegger regardait par-dessus mon épaule3.» Gadamer est un de ses admirateurs invétérés. Il raconte sa première rencontre avec le philosophe en disant : « la première rencontre avec son regard montrait tout de suite qui il était : quelqu’un qui voit, un penseur qui a des yeux4 ». C’était en 1923. C’est cela qui fait toute sa singularité parmi les maitres philosophes de notre temps, ce don qu’il avait de toujours rendre si intuitives les choses. Pour lui, la connaissance est intuition, elle ne trouve son accomplissement que dans le regard qui parvient à embrasser la chose d’un seul coup d’œil, c’est la doctrine fondamentale de la phénoménologie de Husserl. « Quant à sa voix- dit encore Gadamer-, quand elle est dans les tons graves, elle s’entend vigoureuse et mélodieuse, alors que dans les tons aigus elle donne l’impression d’être un peu gênée et à la limite un peu surmenée voire angoissée5.» Heidegger a influencé bon nombre de personnes qui ont su, en même temps ou par la suite, marquer l’histoire. En plus de son maitre Edmond Husserl avec qui il était très intime, Heidegger avait des amis de tous âges : Jean Beaufret, Max Scheller, Nicolai Hartmann, Rudolf Bultmann, Werner Jaeger, Paul Natorp et d’autres non moins connus. Il a rencontré Karl Jaspers à Freiburg en 1920 à l’occasion du soixantième anniversaire d’Husserl mais leur relation était limitée car leurs philosophies notamment existentielles n’allaient pas dans le même sens. Enfin, lorsque Max Scheller décède en 1927, Heidegger prononce son éloge dans un cours en disant : « un chemin de la philosophie vient à nouveau de sombrer dans l’obscurité». Il a eu aussi des élèves qui sont devenus ses amis comme Hannah Arendt, Leo Strauss, Emmanuel Lévinas, Jean Wahl, Hans Jonas, Herbert Marcuse, Max Horkheimer, Oscar Becker, Walter Biemel, Karl Löwith, Hans-Georg Gadamer, Eugen Fink, Jan Patočka, Peter Sloterdijk, Ernst Tugendhat et Blankenburg. On peut ajouter, au niveau européen, 3 nombre de philosophes de renom qui ont été, soit formés à sa pensée soit, largement influencés par son œuvre. En Italie, on parle de Giorgio Agamben, Massimo Cacciari, Ernesto Grassi, Gianni Vattimo… ; en Espagne José Ortega y Gasset, Xavier Zubiri et Julián Marías ; en Grèce Kostas Axelos ; en Roumanie Alexandru Dragomir… Aux États-Unis et au Canada également, nombreux sont les penseurs qui se réfèrent à lui ou ont reçu son influence, tels que Hubert Dreyfus, Stanley Cavell, Richard Rorty, Charles Taylor. Il a eu aussi une énorme influence au Japon, notamment à l’université de Kyoto où on étudie encore ses œuvres. Dans la lignée de la phénoménologie et des philosophies de l'existence notamment l’existentialisme athée, Heidegger est un penseur de référence pour une pléiade d'auteurs tels Jean-Paul Sartre, Maurice Merleau-Ponty, Alexandre Kojève, Paul Ricœur, Emmanuel Lévinas, Michel Henry, Jean-Luc Marion, Claude Romano ; et pour de grands noms du structuralisme comme George Lacan, Michel Foucault, Louis Althusser ; et enfin pour des écrivains comme Maurice Blanchot, Georges Bataille, René Char, Roger Munier, Michel Deguy. Dans la lignée de la psychiatrie phénoménologique nommée « Daseinsanalyse », on peut citer Ludwig Binswanger, Medard Boss ou Henri Maldiney. Quant à la philosophie pure, Heidegger inspire, par son idée de retour aux Grecs anciens, ce qui donnera des aristotéliciens des temps postmodernes comme Pierre Aubenque et Rémi Brague ou des platoniciens comme Jean-François Mattéi, pour qui Heidegger était un modèle. Dans la perspective de la déconstruction de la métaphysique on peut citer Jacques Derrida et ses propres élèves tels Jean-Luc Nancy, Philippe Lacoue-Labarthe et Barbara Cassin dans une perspective de philosophie de la rhétorique ainsi que Jean Beaufret, son interprète attitré en France, suivi de François Fédier. Il a influencé également Gérard Granel et l’anthropologue Remo Guidieri. En dehors de l’Allemagne, c'est en France que l'influence de Heidegger a été la plus prégnante. La parution en 2001 de "Heidegger en France" de Dominique Janicaud en est la consécration. Alors que dès 1943 Jean Paul Sartre va vouloir montrer les liens solides qui le lient à Heidegger par la publication de L’Etre et le Néant et en 1946 la célèbre conférence L’Existentialisme est un humanisme. Mais dès cette année, Heidegger prend ses distances par rapport à l’existentialisme sartrien, en faisant paraitre Lettre sur l’humanisme pour signifier leurs différences. Et même si chacun veut marquer son territoire, les deux hommes finissent par se rencontrer en 1952 pour ouvrir le débat sur leurs convergences. Invité en France en 1955, par Maurice de Gandillac et Jean Beaufret, il rencontre Jacques uploads/Philosophie/article-heidegger-et-son-environnement-galleze-pdf.pdf
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- Publié le Fev 15, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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