RAPPORT Choix d’orientation et origine sociale : mesurer et comprendre l’autoce

RAPPORT Choix d’orientation et origine sociale : mesurer et comprendre l’autocensure scolaire Nina Guyon (National University of Singapore, Department of Economics et LIEPP) et Elise Huillery (Sciences Po, Department of Economics et LIEPP) Décembre 2014 Appel à projets « Egalité des chances à l’école » Projet de recherche AUTOCENS* Choix d’orientation et origine sociale : mesurer et comprendre l’autocensure scolaire Rapport final - Décembre 2014 Nina Guyon† et Elise Huillery‡ * Ce projet de recherche a reçu l’appui financier du Laboratoire Interdisciplinaire d’Evaluation des Politiques Publiques (LIEPP) de Sciences Po en janvier 2012, du comité scientifique de Sciences Po en mars 2012, ainsi que de l’appel à projets « Egalité des chances à l’école » lancé par la DEPP, le Défenseur des Droits et l’Acsé en juillet 2012. Le projet a également reçu l’appui administratif du LIEPP tout au long de sa mise en œuvre. Les auteurs tiennent à remercier Séverine Chauvel pour sa participation à la réflexion autour du projet et sa mise en œuvre, ainsi que Cyril Granier pour sa contribution à la revue de littérature liée au projet, Sébastien Bauvet pour l’excellente organisation et coordination de l’enquête, Alexandre Naudet pour avoir coordonné la saisie des questionnaires, et Cécile Ballini pour sa participation à l’analyse des données. Nous remercions aussi les enquêteurs qui ont réalisé l’enquête sur laquelle s’appuie cette étude : Mbayi Mukendi, Cécile Ballini, Rokhya Konate, Nicolas Hovart et Rabeh Mbaigoto. Enfin, nous sommes très reconnaissantes aux rectorats de Versailles, Paris et Créteil d’avoir soutenu cette étude et aux 59 établissements qui ont accepté de participer à l’enquête. Nous remercions les enseignants qui ont donné leur temps d’enseignement pour la passation du questionnaire et les élèves pour l’attention qu’ils ont consacrés au questionnaire. Les auteurs de ce rapport sont seules responsables de toute erreur éventuelle. † National University of Singapore, Department of Economics et LIEPP ‡ Sciences Po, Department of Economics et LIEPP 2 Synthèse I. Les différences d’orientation selon l’origine sociale  L’origine sociale entretient un lien avec l’orientation des élèves à l’issue de la 3ème à niveau scolaire égal. Ce lien se caractérise par une sur-sélection des élèves d’origine modeste dans les orientations les plus sélectives, c’est-à-dire qui accueillent des élèves de niveaux scolaires moyens les plus élevés : la voie générale et technologique, le redoublement et la sortie du public et privé sous contrat, au profit des orientations moins sélectives : la voie professionnelle et le CAP. Sur l’ensemble des établissements des académies de Paris, Versailles et Créteil, les inégalités d’orientation selon l’origine sociale sont substantiels : par rapport aux élèves d’origine favorisée de même niveau scolaire, les élèves d’origine modeste ont une probabilité 5% plus petite d’être orientés en seconde générale et technologique, 74% plus petite de redoubler, et 10% plus petite de sortir du public et privé sous contrat. Inversement, ils ont une probabilité 93% plus élevée d’être orientés en seconde professionnelle et 169% plus élevée d’être orientés en CAP.  Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, cet écart selon l’origine sociale n’est pas expliqué par un « effet Education Prioritaire ». Au contraire, les écarts observés concernant l’orientation en seconde générale et technologique touchent uniquement les élèves d’origine modeste hors Education Prioritaire, et ceux concernant l’orientation vers la seconde professionnelle touchent tous les élèves d’origine modeste, quel que soit le statut de leur collège. La modestie des orientations est donc bien liée à la modestie du milieu familial et non à celle de l’établissement.  Les inégalités d’orientation selon l’origine sociale ne concernent pas tous les élèves de la même manière : o Les inégalités d’orientation ne concernent pas les bons et très bons élèves (les élèves du tiers supérieur), qui sont très majoritairement orientés en seconde générale et technologique quelle que soit leur origine sociale. o Pour les élèves faibles, l’origine sociale modifie l’arbitrage entre voie professionnelle et CAP d’une part, et redoublement et sortie du public ou privé sous contrat d’autre part. Les élèves d’origine favorisée évitent la voie professionnelle et le CAP plus que ne le font les élèves d’origine modeste. o Pour les élèves moyens, l’origine sociale modifie l’arbitrage entre voie générale et technologique et voie professionnelle : les élèves moyens d’origine modeste sont plus souvent orientés vers la voie professionnelle et moins souvent orientés en seconde générale et technologique que les élèves d’origine favorisée du même niveau. II. Les différences de préférences d’orientation selon l’origine sociale  En début de 3ème, les élèves d’origine sociale modeste ont une probabilité 11% moins élevée de préférer la seconde générale et technologique que les élèves d’origine favorisée de même niveau scolaire. Inversement, ils sont plus nombreux à préférer la voie 3 professionnelle, le CAP, et à ne pas déclarer de préférence (mais ces dernières différences sont statistiquement plus imprécises).  Les inégalités de préférences selon l’origine sociale concernent deux groupes d’élèves, les plus faibles d’une part et les élèves moyens-bons à bons d’autre part : o Les préférences des élèves les plus faibles se caractérisent globalement par des aspirations trop hautes, et ce phénomène est significativement plus prononcé chez les élèves d’origine sociale favorisée qui ont une préférence très marquée pour la voie générale et technologique malgré leur faible performance scolaire. o Les préférences des élèves moyens-bons à bons se caractérisent par des aspirations trop faibles, et ce phénomène est significativement plus prononcé chez les élèves d’origine sociale modeste qui préfèrent la voie professionnelle par rapport à la voie générale et technologique plus souvent que les élèves d’origine favorisée. Etant donné que leur niveau scolaire leur permettrait d’entrer en seconde générale et technologique, ce résultat est la preuve statistique d’une auto-sélection chez cette catégorie d’élèves moyens à bons d’origine modeste.  Les préférences pour les études supérieures sont également différenciées selon l’origine sociale à niveau égal. Par rapport aux élèves d’origine favorisée de même niveau scolaire, les élèves d’origine modeste ont une probabilité 17% plus importante de ne pas donner de préférence et 20% plus importante de préférer ne pas faire d’études supérieures. Inversement, ils ont une probabilité 37% plus faible de préférer des études supérieures de 3 ans et plus. III. Effet de l’action scolaire et parentale  L’action scolaire et parentale entre le début et la fin de la 3ème joue un rôle contrasté sur les inégalités sociales : premièrement et de manière très positive, elle rapproche le destin scolaire des élèves médians et au-delà de la médiane pouvant accéder à la voie générale et technologique, même si elle ne parvient toutefois pas à faire totalement disparaitre l’écart social. Pour ces élèves moyens et bons, l’enjeu est donc d’aller plus loin dans le rapprochement avec les élèves d’origine favorisée. Pour cela, il est nécessaire de comprendre les ressorts de l’auto-sélection des élèves d’origine modeste et de concevoir des actions nouvelles adaptées pour la diminuer.  Deuxièmement, et de manière plus problématique, l’action scolaire et parentale éloigne le destin scolaire des élèves en dessous de la médiane pour qui l’accès à la voie générale et technologique semble un choix plus risqué. Pour ces élèves, les inégalités d’orientation ne proviennent pas tant d’une auto-sélection des élèves d’origine modeste que des résistances de la part des parents favorisée vis-à-vis des voies autres que la voie générale et technologique, ainsi que d’anticipations défavorables de la part des professionnels de l’orientation concernant les chances de réussite futures des élèves d’origine modeste par rapport à celles des élèves d’origine favorisée de même niveau scolaire. Pour réduire les inégalités d’orientation des élèves en dessous de la médiane, l’enjeu est donc de revaloriser la voie professionnelle et le CAP aux yeux des familles favorisée d’une part, et de se méfier de l’influence des stéréotypes associés à l’origine sociale sur l’action scolaire et parentale d’autre part. 4 IV. Les causes des différences de préférences d’orientation selon l’origine sociale Le coût des études ? Très peu d’élèves d’origine modeste anticipent des difficultés logistiques et financières (déménagement, emprunt, temps de transport important) concernant les orientations qu’ils connaissent après la 3ème, ce qui suggère que ces difficultés ne sont pas à l’origine des écarts de préférences d’orientation selon l’origine sociale après la 3ème. En revanche, concernant les études supérieures, 1 élève sur 4 (toute origine confondue) anticipe qu’au moins une des orientations connues l’obligerait à emprunter. Comme on sait que la capacité d’emprunt des élèves d’origine modeste est inférieure à celle des élèves d’origine favorisée, il est possible que la nécessité d’emprunter limite l’accès à ces orientations de manière différentielle selon l’origine sociale et explique une part des écarts d’aspirations concernant les études supérieures. Les chances de réussite dans les études ? Les élèves ont le sentiment que les facteurs sociaux et familiaux (habiter un quartier défavorisé, avoir des parents étrangers, avoir un membre de sa famille qui a réussi ses études et sa carrière) ont une large influence sur les chances de réussite future à niveau scolaire actuel égal. Cette anticipation, qu’elle soit juste ou non, peut contribuer à expliquer les écarts de préférence d’orientation chez les élèves. Si elle est partagée par les équipes éducatives uploads/Philosophie/choix-orient-et-origine-sociale.pdf

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