M Maurice Clavelin Galilée, homme de cour : Sur un ouvrage de Mario Biagioli/Ga
M Maurice Clavelin Galilée, homme de cour : Sur un ouvrage de Mario Biagioli/Galileo, courtier : On a book by Mario Biagioli In: Revue d'histoire des sciences. 1998, Tome 51 n°1. pp. 115-126. Citer ce document / Cite this document : Clavelin Maurice. Galilée, homme de cour : Sur un ouvrage de Mario Biagioli/Galileo, courtier : On a book by Mario Biagioli. In: Revue d'histoire des sciences. 1998, Tome 51 n°1. pp. 115-126. doi : 10.3406/rhs.1998.1315 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0151-4105_1998_num_51_1_1315 Galilée, homme de cour : Sur un ouvrage de Mario Biagioli (*) Maurice Clavelin (**) Le livre de Mario Biagioli, Galilée homme de cour, s'inscrit dans la lignée des interprétations contextuelles (ou contextualisantes) de la science, mais d'une façon originale et qui le distingue fortement des inter prétations sociologisantes habituelles. Plutôt que de chercher une illu soire relation de causalité entre la science galiléenne et les structures sociales (ou leur mutation), l'auteur prend comme objet d'étude cet « artefact historique » bien précis que fut la carrière de Galilée, notamment après 1610. Son but premier est donc de reconstituer cette carrière en la repla çant, avec le maximum de détails, dans le contexte socioculturel où elle se déroula : celui des « cours baroques » avec leur système patron/client hautement organisé. Tout en procédant à cette reconstruction, il vise en fait trois objectifs en qui réside la véritable ambition de l'entreprise. Le premier, très logiquement, est d'établir que les travaux de Galilée après 1610 sont indissociables tant dans leur forme que dans leur contenu de la dynamique propre au système patron/client dans lequel il allait désor mais évoluer (à Florence pour l'essentiel jusqu'en 1622, à la fois à Flo rence et à Rome après cette date); montant d'un cran, il espère ensuite montrer qu'avant la constitution des Académies et la mise en place de procédures spécifiques de contrôle et d'acceptation, « la légitimation épis- témologique » de la science nouvelle dépendait largement, sinon essen tiellement, de « la légitimation sociale de ses praticiens » (p. 82), laquelle à son tour renvoie directement (comme dans le cas de Galilée) à la pro motion socioprofessionnelle que pouvait seule apporter le patronage prin cier (cf. p. 16-18, 49, 58-59, 84, 87, etc.); enfin (troisième objectif), grâce à cette insertion méthodique de l'œuvre galiléenne dans son cadre réel, il pense être en mesure de jeter une lumière nouvelle sur des questions débattues trop abstraitement par l'histoire ou la philosophie des sciences, en particulier l'interprétation hypothétique des théories astronomiques ou (*) Mario Biagioli, Galileo courtier : The practice of science in the culture of absolu tism (Chicago : The Univ. of Chicago Press, 1993), 16 x 23,7 cm, 402 p., Ш., bibliogr., index. (**) Maurice Clavelin, 4, rue Saint-Saëns, 75015 Paris. Rev. Hist. ScL, 1998, 51/1, 115-126 116 Maurice Clavelin l'incommensurabilité entre la science nouvelle et la philosophie naturelle traditionnelle. Un ouvrage aussi original et complexe peut naturellement être abordé de différentes façons. On peut tout d'abord le lire d'un point de vue his torique général, sans trop s'attacher à ses ambitions épistémologiques. Ainsi perçu, le livre de M. Biagioli est d'un intérêt évident, et quoi qu'on puisse être conduit à dire quand on réintroduit ces ambitions, mérite toute notre attention. Il est même difficile de lui rendre pleinement justice, tant sont nombreux les passages qu'il conviendrait de citer. La description du système du patronage, et notamment quand le patron est un prince absolu, est ausssi brillante que précise (chap, i); la façon dont intervient le prince (p. 67 sq.), l'importance de son rôle et des réseaux aristocratiques aux débuts de la science moderne (p. 73-74) sont soulignés à juste titre, et l'on montre de façon convaincante comment la forme même du dis cours scientifique en ce début du xvn* siècle est liée au statut social des personnes en présence (p. 60 sq.). Surtout, le lecteur trouvera une recons titution plus que plausible de la carrière de Galilée à partir de 1610, et l'on suit sans difficulté l'auteur lorsqu'il met en relief la recherche constante par Galilée de patrons de plus en plus puissants — les tractations avortées auprès des Médicis avant 1610 étant à cet égard des plus révéla trices (p. 19 sq.); le spécialiste ne peut qu'apprécier le commentaire péné trant consacré à la dédicace du Sidereus Nuncius (p. 128-130), et on admire les pages où est décrite l'exceptionnelle convergence dont Galilée sut si bien se servir entre la vision dynastique des Médicis (centrée autour de Jupiter) et la découverte à l'automne 1609 des satellites entourant la planète Jupiter (chap, n); la sorte d'anoblissement que reçut Galilée en entrant à la cour avec une position officielle — passant ainsi du clientélisme au mécénat — est de même parfaitement évoquée (p. 84 sq.). Et l'on men- tionera encore pour cette période tant les pages où est discutée la façon dont Galilée sut utiliser les réseaux européens des Médicis pour diffuser ses découvertes (p. 133 sq.), que celles où est analysé le statut qui fut rée llement le sien vis-à-vis de son patron princier (p. 149-154). J'ai parlé jusqu'ici des premiers chapitres. Même s'il reste réservé sur divers points, et parfois d'importance, le lecteur ne prendra pas moins d'intérêt aux chapitres suivants (1). Il goûtera la reconstitution minutieuse du débat sur les corps flottants qui vit la première confrontation publique de Galilée, promu philosophe du Grand-Duc, avec les philosophes uni versitaires. Ou encore l'analyse peut-être la mieux informée, et parmi les plus subtiles, qui ait été consacrée au célèbre débat sur les comètes (1) Avec une exception peut-être pour le chap, rv : « Anthropologie de l'incommensur abilité » qui fait un peu figure de pièce rapportée. Galilée, homme de cour 117 qui, commencé en 1618, culmina avec la publication en 1623 du Saggia- tore {L'Essayeur). Ce dernier épisode convient d'ailleurs particulièrement bien à la méthode de M. Biagioli, et les mises au point qu'elle lui suggère appellent toute notre attention : qu'il s'agisse du tournant survenu dans les rapports avec les Jésuites (p. 275 sq.), de l'hostilité de Galilée vis-à-vis de Tycho-Brahé (p. 280 sq.), ou encore de l'appréciation générale du Sag- giatore perçu comme un ouvrage relevant de la culture de cour (p. 298 sq.) et permettant ainsi à son auteur, qui ne disposait pas contrairement à ses adversaires d'un système complet, de « faire passer » certaines de ses idées philosophiques les plus importantes (p. 303 sq.). « Le résultat, conclut non sans raison Biagioli, fut un texte qui ne visait à rien démontrer de spéci fique sur les comètes ou l'astronomie copernicienne, mais tentait — en adoptant le langage de cour — de légitimer sa façon de faire de la philo sophie naturelle et de délégitimer celle de ses adversaires » (p. 309). Enfin, la « contextualisation » proposée du procès de 1633 (chap, ví) ne laissera pas davantage indifférent ; sans apporter de faits nouveaux, mais en pré sentant « la mise à mort de Galilée » à la lumière de ce phénomène socio culturel typique des cours baroques qu'était « la chute du favori », elle rappelle un aspect ordinairement négligé de ce dramatique événement. Bref, le portrait de Galilée homme public que nous offre Mario Biagioli est sans doute le meilleur qui à ce jour ait été réalisé. L'ouvrage, toutefois, ne se veut pas seulement étude historique, mais, comme je le notais dès les premières lignes, se propose, en les contextua- lisant, de rendre compte à la fois quant au style et au contenu de quel ques œuvres majeures de Galilée après 1610 {Discours sur les corps flottants de 1612, Saggiatore de 1623, et au moins partiellement Dialogue sur les deux plus grands systèmes du Monde de 1632). Ce qui vient d'être dit montre assez que pour la forme le point de vue adopté par Biagioli ne saurait guère être contesté, tant la présentation, l'argumentation et le ton qui caractérisent ces ouvrages furent déterminés par le public auquel ils étaient destinés. Le vrai problème, comme chaque fois où il s'agit d'expliquer par contextualisation, concerne en fait le contenu. Jusqu'à quel point Biagioli, si brillant dans la reconstitution historique, peut-il ici être suivi? Or, avant même d'engager la discussion, une difficulté préalable doit être levée. Elle touche à la nature exacte du contextualisme (ou relativisme) adopté par l'auteur : est-il du type modéré ou du type fort? Selon les pages et les exemples, sa position peut paraître étonnam ment changeante. A l'appui de la première possibilité une réserve for melle en faveur de la théorie du mouvement (p. 4), ou encore, peu après, la nette affirmation que si Galilée après 1610 fut pris dans la logique propre au système du patronage, il ne fut pas non plus « modelé passive ment par le contexte environnant » (p. S); dans le même sens va aussi la remarque que ni Kepler ni le père Clavius ne gagnèrent leur crédibilité 118 Maurice Clavelin simplement en raison de « leurs titres ou de leurs patrons » (p. 58, 352); et le meilleur exemple de cette modération uploads/Philosophie/clavelin-maurice-galilee-homme-de-cour-sur-un-ouvrage-de-mario-biagioli-galileo-courtier.pdf
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- Publié le Oct 08, 2022
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