Alkemie Revue semestrielle de littérature et philosophie Numéro 5 / Juin 2010 L

Alkemie Revue semestrielle de littérature et philosophie Numéro 5 / Juin 2010 Le Vide Directeurs de publication Mihaela-Genţiana STĂNIŞOR (Roumanie) Răzvan ENACHE (Roumanie) Comité honorifique Sorin ALEXANDRESCU (Roumanie) Marc de LAUNAY (France) Jacques LE RIDER (France) Irina MAVRODIN (Roumanie) Sorin VIERU (Roumanie) Conseil scientifique Paulo BORGES (Portugal) Magda CÂRNECI (Roumanie) Ion DUR (Roumanie) Ger GROOT (Belgique) Arnold HEUMAKERS (Pays-Bas) Carlos EDUARDO MALDONADO (Colombie) Joan M. MARIN (Espagne) Simona MODREANU (Roumanie) Eugène VAN ITTERBEEK (Roumanie, Belgique) Constantin ZAHARIA (Roumanie) Comité de rédaction Cristina BURNEO (Equateur) Massimo CARLONI (Italie) Nicolas CAVAILLÈS (France) Aurélien DEMARS (France) Pierre FASULA (France) Andrijana Golubovic (Serbie) Aymen HACEN (Tunisie) Dagmara KRAUS (Allemagne) Ariane LÜTHI (Suisse) Sorin Claudiu MARICA (France) Daniele PANTALEONI (Italie) Ciprian VĂLCAN (Roumanie) Johann WERFER (Autriche) ISSN: 1843-9012 Administration et rédaction: 5, Rue Haţegului, ap. 9, 550069 Sibiu (Hermannstadt), Roumanie Courrier électronique: mihaela_g_enache@yahoo.com, Site web: http://alkemie.philosophie-en-ligne.fr/ Tel : 004069224522 Périodicité : revue semestrielle Revue publiée avec le concours de la Société des Jeunes Universitaires de Roumanie Les auteurs sont priés de conserver un double de leur manuscrit. Tous droits réservés. SOMMAIRE Mihaela-Genţiana STĂNIŞOR, Quelques tentatives scripturales de remplir le vide .............. 5 AGORA Ciprian VĂLCAN, Statues et panthères. ...................................................................... 13 Eugène VAN ITTERBEEK, Cioran, lecteur des « révélations de la mort ».............. 17 Simona CONSTANTINOVICI, Paradoxe, abîme, jeu. Aspects stylistiques du texte poétique de Paul Claudel.............................................................................. 25 DOSSIER THÉMATIQUE : LE VIDE Massimo CARLONI, De l’abîme du néant à la plénitude du vide : l’itinéraire spirituel de Cioran.............................................................................. 41 José Thomaz BRUM, Dieu, le vide et quelques choses de moindre importance............ 58 Odette BARBERO, Le vide : un essai de définition..................................................... 59 Heinz WISMANN, Atomos idea (traduit de l’allemand par Marc de LAUNAY)... 76 Emilian CIOC, Industries supplétives. Usure et recyclage. ............................................ 94 Mihaela GRIGOREAN, Le vide plein dans L’Évangile de Thomas – herméneutique transdisciplinaire.......................................................................109 DÉS/DEUX ORDRES DU MONDE ET DU LANGAGE Pierre FASULA, Réalisme littéraire et réalisme philosophique..................................127 Constantin MIHAI, L’Imaginaire et le discours obsessionnel. Étude de psychologie culturelle...........................................................................................140 EXPRESSIS VERBIS « Il n’y a d’autre autobiographie possible que le modeste journal de nos illusions » Entretien avec Philippe LEJEUNE réalisé par Mihaela-Genţiana Stănişor. ....151 ÉCHOGRAPHIES AFFECTIVES Laurent FELS, à contre-jour. .......................................................................................161 Paul MATHIEU, La mansarde de la nuit.................................................................162 Eugène VAN ITTERBEEK, Trois poèmes sur la mort..............................................164 Monsif Ouadai SALEH, Poèmes................................................................................166 LE MARCHÉ DES IDÉES Ariane LÜTHI, Deux poètes majeurs du XXe siècle . ..................................................171 Aymen HACEN, Traduire le silence. L’expérience mystique de Mohamed Ghozzi............175 LISTE DES COLLABORATEURS..................................................................183 5 Quelques tentatives scripturales de remplir le vide « Tout est rempli de dieux », disait Thalès, à l’aube de la philosophie ; à l’autre bout, à ce crépuscule où nous sommes parvenus, nous pouvons proclamer, non seulement par besoin de symétrie, mais encore par respect de l’évidence, que « tout est vide de dieux ». (Cioran, De l’inconvénient d’être né) La notion de vide est d’habitude liée, poétiquement et philosophiquement, à l’état d’être ou plutôt de non-être. On connaît bien le jugement de Parménide : « L’être est, le non-être n’est pas. » Le vide signifie justement qu’il n’y a pas de matière, de contenu, d’essence, de consistance. Le vide n’existerait donc qu’à l’extérieur de l’être, celui-ci étant plein, comme le soutenait Platon. Mais les distinctions ne sont plus si évidentes. Des mutations importantes, au plan individuel, social et religieux, se sont produites depuis l’Antiquité. Nous vivons à une époque où les antinomies disparaissent, où il n’y a plus d’opposition ou d’inséparabilité entre le vide et le plein, le rien et le tout, le néant et Dieu (pour Cioran « Dieu est le néant suprême », par exemple), où l’on peut bien parler de la plénitude du vide, où la vie personnelle, sociale et religieuse de l’individu est dominée par des paradoxes et des contradictions. Le vide c’est l’espace qui n’est pas occupé par la matière, synonyme de vacuité : « les atomes et le vide » dont parlait Voltaire ; un espace vide c’est un milieu où il n’y a pas d’objets sensibles (choses ou personnes), synonyme de néant ; d’où les expressions faire le vide autour de quelqu’un signifiant l’isoler, écarter tout le monde de lui ou - faire le vide dans son esprit - pour ne plus penser à rien ; le vide c’est également l’espace où manque quelque chose, synonyme de blanc, lacune, trou ; il représente aussi le caractère de ce qui manque de réalité, d’intérêt, synonyme d’inanité, néant, vacuité ; le vide de l’existence.1 Il faut déjà remarquer les domaines où le vide apparaît avec prédilection : celui de la physique, de la philosophie, de l’ontologie et du langage. On y retient surtout les expressions qui marquent l’intrusion du vide dans la vie personnelle de l’individu, dans ses actions et ses sensations. Si jadis on tentait de parler du vide dans les domaines des sciences exactes, aujourd’hui le vide est entré dans les préoccupations quotidiennes de l’individu. La recherche de soi mène, parfois tragiquement, au vide, à la non-substance de l’existence, au non-sens et au néant personnel et universel. De toute façon, le vide est une notion qui incite à une sorte d’autoanalyse. C’est le moi qui entre en jeu, qui se voit disséqué, mis à nu, anéanti : 1 Cf. Le Petit Robert. Dictionnaire de la langue française, 1996, p. 2386. 6 Une ruse du moi : sacrifier le moi empirique pour préserver un Je transcendantal ou formel, s’anéantir pour sauver son âme (ou le savoir, y compris le non-savoir).2 L’âme se trouve en double quête : de soi et de Dieu. Tentation et tentative destructrices et autodestructrices. Le vide, c’est le désastre, une composition bien dosée de solitude, d’absence de Dieu et d’angoisse existentielle : Solitude qui rayonne, vide du ciel, mort différée : désastre.3 Pour arriver à soi, à l’essentiel, à la plénitude de l’être, de l’existence, il faut pourtant passer par le vide ou mieux dire, il faut faire le vide en soi-même, se libérer du tumulte des images, des désirs ou des émotions. Il est impérieux de dépasser le personnel, le vécu, l’éphémère, pour se soumettre à la fascination de l’absolu, de l’éternel, du divin. C’est une manière de se découvrir de l’intérieur, de s’auto-connaître dans ses profondeurs, dans ce qu’il y a au-delà de l’apparence et du passable. Le vide, c’est encore l’abolition, la négation, la dénudation. Selon Jacques Maritain, le vide est une énergie, c’est l’acte d’abolition de tout acte. Dans ses Essais sur l’individualisme contemporain, Gilles Lipovetsky4 décrit cette « ère du vide », cette société post-moderne, dominée par la logique du vide, où l’individualisme hédoniste et personnalisé est devenu légitime : Les grands axes modernes, la révolution, les disciplines, la laïcité, l’avant-garde ont été désaffectées à force de personnalisation hédoniste ; l’optimisme technologique et scientifique est tombé, les innombrables découvertes s’accompagnant du surarmement des blocs, de la dégradation de l’environnement, de la déréliction accrue des individus ; plus aucune idéologie politique n’est capable d’enflammer les foules, la société post-moderne n’a plus d’idole ni de tabou, plus d’image glorieuse d’elle-même, plus de projet historique mobilisateur, c’est désormais le vide qui nous régit, un vide pourtant sans tragique ni apocalypse.5 L’homme moderne a la conscience du vide existentiel, il vit intérieurement ce vide, tout en exprimant, par le langage, ce qu’il vit. Parler du vide, est-ce une manière de le remplir ? Certainement. Les mots viennent matérialiser les sensations, ce sentiment profond et déchirant, qu’il n’y a rien à faire de l’existence, que c’est la mort qui vient couronner l’absence de substance de la vie. Sur le plan ontologique, le vide représente le désir de disparaître. Cioran nous en donne poétiquement l’explication : Le désir de disparaître, parce que les choses disparaissent, a si violemment empoisonné ma soif d’être que, au sein des étincellements du temps, mon souffle s’éteignait 2 Maurice Blanchot, L’écriture du désastre, Paris, Gallimard, 1980, p. 26. 3 Ibid., p. 220. 4 Gilles Lipovetsky, L’ère du vide. Essais sur l’individualisme contemporain, Paris, Gallimard, 1983. 5 Ibid., pp. 15-16. 7 et le crépuscule de la nature me drapait d’ombres innombrables. Et, comme je vouais le temps en tout, j’espérais tout affranchir du temps.6 Le vide ontologique suppose « le non-sens de tout geste ou de tout effort », « le déraisonnable nécessaire à tout acte », « la nullité des voluptés et des vérités » (La Gamme du vide).7 L’être est mis sous le signe du reniement, de l’abstraction, la seule action qu’il veut encore entreprendre étant celle de se vider de soi, de rêver le non-être. L’homme intérieur c’est l’homme qui se vide, qui détruit par volonté ses relations avec les autres, avec le temps (avec son passé et ses ancêtres), qui nie toute matérialité et toute réalité. C’est un être altéré, aliéné, qui se voue à la recherche de lui-même, avec la conscience de l’échec, de sa propre destruction, de son propre anéantissement : (De reniement en reniement, son existence s’amenuise : plus vague et plus irréel qu’un syllogisme de soupirs, comment serait-il encore un être de chair ? Exsangue, il rivalise avec l’Idée ; il s’est abstrait uploads/Philosophie/ revue-de-litterature-et-philosophie-alkemie-n5-le-vide.pdf

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